Albert au frigidaire

Albert au frigidaire
Auteur

Emmanuel Villin

Illustratrice

Emilie Sandoval

Editeur

Ecole des Loisirs – 2022

Catégories : , Étiquette :

Eléonore a parfois tendance à exagérer, pour rendre la réalité plus intéressante. C’est pour qu’on fasse un peu attention à elle, sinon personne ne la prend jamais au sérieux. Par exemple ce matin, elle a beau leur expliquer, ses parents ne font rien du tout, alors que ce n’est franchement pas normal de trouver un éléphant dans le frigo.

Mots-clés : nature-écologie

Présentation générale

La première phrase donne d’emblée le principe de départ du récit : « Éléonore a un petit problème avec la vérité. ». Éléonore ne ment pas vraiment, elle n’affabule pas toujours, elle prend juste quelques liberté par rapport à la réalité. Elle se l’approprie pour la rendre plus intéressante… et se rendre plus intéressante ! En effet Éléonore a l’impression d’être transparente, personne ne l’écoute, ni ses parents, ni sa maîtresse, ni les autres enfants. Alors elle invente jusqu’à ne plus savoir d’ailleurs si ce qu’elle dit est vrai ou faux.

Or un matin elle trouve un éléphant installé dans son frigo qui lui bloque l’accès pour préparer son petit-déjeuner. Comment faire ? Elle est bien obligée de le dire à ses parents pour qu’ils l’aident à dégager l’animal. Mais ils ne la croient pas, comme d’habitude. C’est la même chose à l’école. Quand elle veut expliquer ce phénomène étrange à sa maîtresse, elle est punie et atterrit dans le bureau du directeur. Mais voilà Albert, l’éléphant, qui entre dans la cour de récréation. C’est la panique générale. Qu’est-ce qu’un éléphant peut bien venir faire dans une cour d’école ? La réponse à cette question est simple, il vient juste retrouver Éléonore. Albert, comme tous les éléphants, a l’habitude de vivre dans des grands espaces et il se sentait à l’étroit dans l’appartement de sa nouvelle amie.

Éléonore prend alors la situation en main. Elle fait le lien entre Albert, ses camarades et les enseignants Elle parle pour lui, dénonce ses conditions de vie qui l’obligent à se réfugier au froid chez elle. S’ensuit une ovation générale pour Éléonore et Albert prolongée par un défilé dont le slogan est « Non à ce monde morose. Vive les éléphants roses ! ». L’envie de changement est bien là ! Les médias ont vent de l’affaire, les journalistes affluent. Éléonore est enfin reconnue, surtout elle est enfin entendue !

Peu importe la véracité de l’histoire. Éléonore et Albert forment un duo bien sympathique pour rêver d’un monde plus juste dans lequel le droit à la parole des petits serait vraiment reconnu. Peut-être une solution pour améliorer notre environnement…

Nos commentaires

Tout le monde connaît les histoires de cochons pendus au plafond, de souris verte qui court dans l’herbe… Ici il n’est question que d’un éléphant dans un réfrigérateur (il aurait pu se balancer sur une toile d’araignée). Et pourquoi pas ? La situation de départ peut paraître complètement loufoque mais elle ne perturbera pas des jeunes lecteurs ouverts à toute invraisemblance. Il fallait juste y penser ! C’est inattendu, complètement bizarre et plutôt amusant.

Éléonore est à peine surprise quand elle ouvre son frigo. C’est une enfant sérieuse, lucide et logique. Elle s’interroge juste sur les courses de la veille qui ne comportaient aucun pachyderme. Son premier problème est de déjeuner, elle cherche donc l’aide de ses parents pour prendre son petit déjeuner. Mais elle s’en doute, ce sera peine perdue.

Éléonore sait ce qu’elle voit mais ses parents ne la croient pas. Ils font semblant d’être convaincus et vont dans le sens du discours de leur fille mais il s’agit d’un jeu humoristique peu accessible à l’enfant. Ils détournent l’affirmation de la présence de l’éléphant en proposant un autre animal aussi peu probable, le mammouth pour le père, l’ours polaire pour la mère, ils demandent des précisions sur l’origine de l’animal.. Ils ne prennent pas Éléonore au sérieux et veulent montrer l’absurdité de la situation. Mais Éléonore ne comprend pas leurs plaisanteries. Cela n’a pas de sens pour elle. C’est un éléphant bleu-gris qu’elle a vu dans le frigo. Et cela suffit. Cette situation d’incompréhension entre adultes (parents ou non) et enfants est bien connue des jeunes lecteurs. Quel enfant n’a pas été confronté à l’incompréhension des plus grands ? Et comment s’en sortir ?

Grâce à l’empathie ! Éléonore est excédée par les réactions de ses parents et elle décide de prendre la défense de l’animal, envers et contre tous. En argumentant sur le besoin de protéger l’éléphant elle arrive tout naturellement à la nécessité de protéger la planète. C’est un peu rapide au niveau du discours mais c’est dans l’air du temps comme le dit Éléonore c’est « tout ce qu’on nous répète à la radio à longueur de journée ». La tirade d’Éléonore sur le réchauffement climatique, la pollution, les émissions de gaz et tout le reste a pour mérite de faire réagir l’éléphant qui était resté silencieux jusqu’alors. Il confirme le diagnostic d’Éléonore, il est « un animal classé vulnérable ». Albert et Éléonore font connaissance en laissant de côté les deux parents qui sont définitivement classés comme ignares. Ils font en sorte de se préserver des adultes qui n’écoutent rien et s’organisent pour que chacun d’entre eux puisse continuer sa journée tranquillement.

La deuxième moitié du récit se déroule en extérieur. A l’école, Éléonore reste une enfant peu considérée, sa maîtresse ne l’écoute pas, le directeur oublie sa présence dans son bureau. L’arrivée d’Albert change la donne. Éléonore va pouvoir prendre toute sa place, voire devenir populaire. L’éléphant n’est pas bavard, Éléonore, elle, n’a pas sa langue dans la poche. Elle exprime ses pensées de façon affirmée, elle se permet même de s’insurger face aux propos un peu trop complaisants du directeur. De façon naturelle elle devient chef de file d’un élan solidaire et spontané pour préserver la planète ! Un clone de Greta Tomberg, interviewée par des chaînes de télé et de radio ! Cette fin triomphale est peut-être un peu surfaite. Elle donne néanmoins toute sa place à l’expression d’une enfant trop peu écoutée qui a tant de choses à dire. Les vers de Baudelaire qui clôturent le roman sont assez énigmatiques. L’important est que c’est la maîtresse qui les a choisis.

Les illustrations tout en douceur ponctuent l’histoire et alimentent l’humour du texte. En effet différents jeux de langage plus ou moins explicites apportent au récit une légèreté à la lecture. Outre les rapprochements sonores (« Albert au frigidaire »), les oxymores (« la vérité menteuse »), les mots à rallonge (« abracadabrantesque »), les expressions d’Éléonore peuvent faire rire. On notera toutefois quelques abus de langage, notamment les termes utilisés par Éléonore pour discréditer la mauvaise écoute de ses parents.

Des parents ancrés dans la réalité, une petite fille qui se situe davantage dans le rêve et le désir, Albert au frigidaire est un petit roman fantaisiste qu’on pourrait classer dans l’absurde. Les petits lecteurs y trouveront un peu d’humour, une pointe de revendication écologique et surtout ils pourront apprécier le retournement de situation d’une petite fille peu écoutée.

 

Pour prolonger la lecture

Un album qui joue sur l’absurde pour les plus petits qui nous avait beaucoup plu

 

Mise en ligne en novembre 2022