La fille des quatre vents

La fille des quatre vents
Auteure

Myriam Dahman

Illustrateur

Paul Echegoyen

Editeur

Glénat Jeunesse – 2023

Un conte moderne où se mêlent poésie du merveilleux et souffle épique, pour former une ode à la nature et à la liberté.Alors qu’elle n’est qu’un bébé abandonné au creux d’un arbre, Ninlil est recueillie par les quatre vents : Borée, le vent du Nord, Euros, le vent de l’Est, Notos, le vent du Sud, et enfin le vent d’Ouest, Zéphyr. Ninlil grandit au-delà des nuages, sous le regard aimant de ses pères mais le monde des humains l’attire et depuis le royaume des vents, elle rêve de fouler la terre ferme. Son destin va basculer…

Mots-clés : adoption, rejet, différence

 

Notre présentation

Ninlil est choyée par ses pères adoptifs qui lui offrent de nombreux cadeaux tels que des coquillages, des perles, des bijoux d’or et d’argent…. Elle vit dans un endroit idyllique composé de nuages et d’étoiles. Elle a tout pour être heureuse. Mais Ninlil se pose de nombreuses questions sur le monde des Hommes, or les vents n’en disent que du mal, sans apporter de détails. Ils mettent Ninlil en garde contre « le monde d’en bas » qu’ils qualifient de « cruel », de « froid », d’« imprévisible »… Ils lui font promettre de toujours rester chez eux. La fillette n’est pas convaincue.
Une espèce de sorcière inquiétante et énigmatique apparaît alors, une femme/oiseau dénommée Pie. Elle propose à Ninlil une solution pour dépasser l’interdit sans dévoiler, bien sûr, les véritables conséquences de l’acte que commettra, tôt ou tard, l’enfant. Le jour fatidique arrive. Ninlil, excédée par les réponses de ses pères, agit comme la sorcière Pie le lui avait suggéré. Elle prononce une formule magique et ouvre une outre, magique elle aussi. Les quatre vents sont immédiatement aspirés et disparaissent. Pie arrive aussitôt, victorieuse et conquérante. Elle s’empare du royaume des vents et expédie l’enfant chez les humains. Ninlil est enfin libre, elle peut visiter le monde des Hommes, mais à quel prix !
Sa venue sur terre se passe très mal. Les hommes s’inquiètent de l’absence de vent, de l’absence d’air. C’est inhabituel, étrange, inquiétant. Or cette situation est apparue en même temps que la fillette, cette étrangère arrivée d’on ne sait où. Ninlil est accueillie par des regards méfiants. Les gens chuchotent sur son passage. Elle est traitée de voleuse, de sorcière. Obligée de s’enfuir, elle se réfugie dans un bois et trouve une aide en Renard, un jeune garçon qui habite dans la forêt.

Ninlil trouve enfin du réconfort. Elle peut se réchauffer, se restaurer et surtout s’ouvrir à quelqu’un qui la comprend et qui comprend aussi la situation. Renard connaît Pie, sa rouerie et son avidité. Il adhère au désir de Ninlil d’être libre, il compatit aussi à sa tristesse d’avoir fait du tort à ceux qu’elle aime. Il n’a pas le pouvoir de ramener les vents mais il propose à Ninlil de l’envoyer là où ils sont. Elle pourra ainsi libérer les vents de leur sortilège. Pour cela elle devra user de son influence pour qu’ils retrouvent la conscience de leur existence propre. Il faut qu’ils se rappellent « qui ils sont ».

Ninlil se retrouve dans un environnement sinistre, gris, minéral. Elle voit au loin ses pères en train de souffler comme des forcenés sur les ailes d’un moulin qui tournent sans fin. Elle réussit à leur redonner la conscience de leur identité en évoquant des souvenirs précis de ce qu’ils lui ont appris. Zéphyr est celui qui le plus de mal à retrouver son nom. Ninlil est prête à se sacrifier, à lui donner son propre nom pour le libérer, preuve de son amour. Zéphyr revient enfin à lui. Tout est bien qui finit bien. Les vents retrouvent leur royaume et leur fonction. Ninlil, elle, a acquis le droit de se promener dans le monde d’en bas.

Quatre vents, une enfant qui veut être libre, une méchante pas sympa, un enfant Renard très gentil… Un conte qui entraîne le lecteur dans une histoire pleine de rebondissements !

Nos commentaires

La fille aux quatre vents est un conte pour grandir. Comme dans de nombreux contes, l’héroïne, en avançant en âge, cherche à découvrir le monde. Ses parents la protègent et refusent qu’elle se mette en danger. Mais leur avis compte peu face à la détermination de la jeunesse. L’usage de la formule et de l’objet magique ne représente pas un déni d’éducation. Ninlil aime ses pères. Mais elle doit trouver le moyen de dépasser les limites qu’on lui impose pour prendre une certaine indépendance. Est-ce qu’elle devient vraiment libre ? Rien n’est moins sûr. Certes elle peut circuler dans le monde d’en bas, mais elle vit d’autres contraintes, elle doit notamment affronter un environnement hostile sur lequel elle n’a pas d’emprise. Tout compte fait sa colère et sa réaction n’ont pas abouti au résultat escompté. Heureusement elle se reprend et fait preuve de courage et d’obstination pour libérer ses pères. La morale est sauve. Ninlil a certes mal agi mais ses intentions étaient bonnes. Elle a retrouvé ses pères et elle a acquis une certaine liberté.

Le conte La fille des quatre vents n’appartient à aucune tradition orale. Il s’appuie néanmoins sur des repères traditionnels solides. Les quatre vents correspondent aux vents emprisonnés dans les îles éoliennes ; Eole donne à Ulysse une outre contenant des vents contraires dans la mythologie grecque. Dans un mythe sumérien Ninlil est le prénom de la déesse de l’air.Outre ces références, la structure de l’histoire reprend des principes qu’on retrouve dans de nombreux contes : l’orpheline recueillie, la méchante qui se métamorphose, l’aide d’un tiers, des épreuves qui font appel au courage et à la persévérance… Ce conte moderne propose de nombreuses correspondances avec les contres traditionnels.

Ninlil est une héroïne plutôt contemporaine. Contrairement aux contes traditionnels elle n’est pas associée à des tâches genrées. Elle ne doit pas faire le ménage ou prendre en charge une famille. Elle n’a pas besoin de combattre ou de s’imposer par la ruse. Sa sensibilité est sa force… et sa faiblesse. La frustration l’amène à prêter l’oreille à l’odieuse Pie, la colère la fait agir, le rejet et la peur l’obligent à s’enfuir, l’empathie de Renard lui permet de se confier, l’amour et le courage sont les clés pour la résolution de son problème. L’héroïne, enfant passive dans le monde céleste, avance dans sa destinée au fil de ses expériences émotionnelles.

Les autres personnages servent les rebondissements du récit sans présenter de caractéristiques bien définies. La fonction des quatre vents reste très générale. Ils correspondent aux saisons, ils rendent des visites dans le monde d’en bas et ils semblent importants dans la vie des hommes. Mais dans quelle mesure et pourquoi ? Pie est un personnage de toute évidence néfaste. Elle manipule Ninlil pour la rendre perméable à ses propositions. Mais ses motivations sont peu approfondies. Pourquoi veut-elle prendre la place des vents ? Quel type de pouvoir vise-t-elle ? Renard, l’ami étrange qui aide Ninlil sans aucune contrepartie, arrive comme ça, par hasard. Pourquoi vit-il dans les bois ? Pourquoi possède-t-il des pouvoirs magiques ? Pourquoi son frère est-il un véritable renard ? En fait l’usage du merveilleux permet de modifier rapidement et simplement le cours de l’histoire. Le lecteur n’a qu’à se laisser porter par la baguette magique de l’auteure et de l’illustrateur pour suivre le récit comme on se laisse porter par le vent.

Les rapprochements avec d’autres contes sont aisés. Pie peut être rapprochée de la sorcière dans La petite sirène pour sa capacité à se métamorphoser et pour l’espèce d’envoûtement qu’elle opère sur sa proie. La fuite de Ninlil dans la forêt fait penser à Hansel et Gretel. La maison de Renard ressemble à la maison en pain d’épice du même conte. Les ailes du moulin qui tournent rappellent le conte des origines Pourquoi la mer est-elle salée avec cette idée de rotation infinie. Toutes ces associations peuvent enrichir les représentations des lecteurs.
Les vents, l’air, les nuages représentent des valeurs symboliques de liberté mais ils sont aussi un support de réflexion sur les éléments de la nature. Maryam Dahman, l’auteure, travaille également en tant qu’experte sur le changement climatique. Elle présente, à juste titre, le dérèglement des flux aériens comme une source d’angoisse intense pour les hommes. Certes le désarroi des villageois est compréhensible mais leur posture agressive et virulente ne les met pas en valeur. Les hommes n’ont pas le bon rôle dans cette histoire. Le merveilleux est prédominant.

L’album, d’un format assez important, permet de plonger visuellement dans le récit. Les illustrations sur double page participent grandement à l’implication du lecteur. Colorées quand les vents agissent, dans des nuances de gris/violet quand Pie intervient, couleur sépia dans le monde des humains, bleu/vert dans la forêt, jaune soleil chez Renard, les couleurs donnent le ton de chaque univers. Les dessins reprennent les codes du conte tels les volutes de la sorcière, le trône du royaume des vents, la végétation luxuriante de la forêt… Avec ses grands yeux et son visage encadré par une frange et deux nattes blanches Ninlil exprime pleinement ses émotions. Ainsi le lecteur peut facilement assimiler les situations et les ressentis.

Le texte est assez volumineux mais le vocabulaire est simple. Les images suffisent à suivre les péripéties de Ninlil quand on connaît la trame du conte. Il nous semble que le livre peut être proposé en lecture autonome à des enfants bons décodeurs mais aussi en lecture oralisée à des enfants qui ont encore du mal à lire seuls. Ils comprendront facilement et apprécieront sûrement les différents rebondissements.

Des vents qui en disent long sur l’équilibre de la vie des hommes. Une héroïne qui comprend que la liberté a un prix. Des rencontres surprenantes parfois inquiétantes. De nombreux coups de baguettes magiques pour progresser dans des univers célestes ou terrestres. La fille des quatre vents est un bel album pour s’évader dans un monde enchanté.