Inès avec accent

Inès avec accent
Auteure

Annelise Heurtier

Illustratrice

Bérangère Delaporte

Editeur

Talents hauts – 2025

Après ma lecture, Brune a passé la main dans ses boucles parfaitement bouclées, et a ajouté de sa voix parfaitement parfaite :
-En fait, le problème, ce n’est pas le texte
Et puis elle a ajouté quelque chose que je n’ai pas entendu. J’ai demandé :
-Qu’est-ce qu’elle a dit ?
Mes amis n’osaient pas me répondre, mais un garçon est passé devant nous et a lâché :
-Elle a dit que le problème, c’est ton accent.

Mots-clés : amitié, identité, différence, émotions, relation adultes-enfants, peur, solidarité

 

Présentation générale

Inès, la jeune narratrice de ce roman, est en CM2. D’origine jurassienne, elle a quitté sa région natale avec ses parents depuis trois ans suite à la mutation professionnelle de sa mère.
Le jour où le maître leur apprend qu’il a inscrit la classe à un championnat de France de lecture à voix haute, les enfants, très vite, marquent leur enthousiasme et la plupart d’entre eux trouvent l’idée « super » ! Il s’agit donc maintenant de constituer des équipes et de se préparer à la première sélection qui concerne toutes les écoles de la ville. Inès, bien entendu, fait équipe avec ses meilleurs amis, Adam, Maryam et Simon. Leur nom est tout de suite trouvé : les AMIS. Il suffit de mettre leurs quatre initiales dans le bon ordre ! Adam ne se sentant pas très à l’aise pour lire devant les autres sera leur remplaçant en cas de besoin…Ensuite, il faut se mettre d’accord sur le choix du texte parmi les trois proposés par le règlement. Maryam a une idée : Si on demandait son avis à une des filles les plus « populaires » de l’école, Brune, qui est dans une autre classe de CM2 ?
Inès a les trois textes en main, c’est donc elle qui se retrouve à lire devant Brune et sa copine Charlotte. Et cela la stresse beaucoup, Brune est tellement « parfaite » ! Et le verdict de cette dernière tombe : Le problème ce n’est pas le choix du texte, c’est l’accent d’Inès ! Tout d’un coup, et pour la première fois de sa vie, l’accent jurassien d’Inès devient donc un « problème »…Même si ses amis ne sont pas d’accord avec Brune, Inès rentre chez elle avec un gros caillou à la place du cœur. Elle fait de très mauvais rêves où elle se ridiculise devant un public qui ne comprend rien à ce qu’elle lit…Elle décide donc de se débarrasser de cet accent et de s’entrainer à lire « normalement ».
Le jour de la première sélection arrive. Le maître motive ses élèves, leur propose des échauffements de la voix, des exercices de relaxation. Mais à la répétition, les amis d’Inès sont consternés par sa nouvelle manière de lire. Ils comprennent que c’est à cause du jugement de Brune qu’elle n’a pas mis le ton comme d’habitude et ils tentent de la remotiver : Tu ne peux pas parler sans ton accent…Ton accent il fait partie de toi !
C’est trop tard. Inès au comble du malaise et de la honte demande à Adam de la remplacer et prétexte une maladie pour être conduite à l’infirmerie. Son père vient la chercher pour la ramener à la maison. Dans la voiture, il décide d’affronter le malaise de sa fille qui dure depuis plusieurs jours, et ses silences : Allez Inès, ça suffit. Ne me prends pas pour un imbécile. Dis-moi la vérité. Pourquoi tu ne veux plus participer à ce concours ? Il va trouver les mots pour remotiver sa fille, lui redonner confiance en elle et en l’originalité de son accent jurassien. Alors elle fonce ! Elle rattrape in extremis son équipe à la mairie, ses amis, éberlués et soulagés, l’accueillent avec joie. Elle lit son texte comme elle lit d’habitude, en mettant le ton et en assumant son accent. Deux équipes, dont celle d’Inès, gagnent le droit d’aller participer aux sélections départementales…
Dans l’épilogue, nous apprenons que l’équipe des Amis ira même jusqu’à Paris pour participer à la finale. Et Inès est maintenant sûre d’une chose : elle est bien décidée à mettre l’accent…et pas seulement sur les émotions !

Nos commentaires

Voilà un petit roman simple, efficace et agréable à lire qui, en dix chapitres courts et rythmés, justifie pleinement sa place dans la collection « Livres et égaux » des éditions Talents Hauts : des romans illustrés qui tordent le cou aux clichés.

Cliché, l’idée que l’uniformisation doit être la règle dans la vie et que les gens importants n’ont pas d’accent. C’est faux, comme l’explique le père d’Inès à la fin du roman : J’en connais plein, moi, des gens importants qui ont un accent. Des gens très importants, même les plus importants du monde. Quand Inès demande : Ah bon ? Qui ?, il cite Mamie, Papy…tous mes frères et sœurs, tous les gens qu’on aime ! (…) et puis toi. Tout dépend de ce qu’on considère comme important.
Cliché aussi l’idée que les filles « populaires » à l’école ont toujours raison, que leur « perfection » (très superficielle) fait de leur jugement une vérité incontestable. Brune a beau être parfaite, intelligente, gentille et hyper jolie, elle a beau parler anglais parce que sa mère est américaine et avoir des boucles parfaitement bouclées, elle se trompe et elle a tort : Inès lit beaucoup mieux quand elle laisse libre court à son accent et qu’elle reste fidèle à elle-même.

Ce que l’on retient de l’histoire d’Inès, c’est l’importance de savoir s’affirmer, d’être soi-même et d’assumer ses différences. La richesse humaine tient dans sa diversité. Comme le lui dit Adam, une Inès sans accent, c’est comme…une console sans jeu ! un pain au chocolat sans chocolat ! un vélo sans les roues ! Son accent fait partie d’elle. Elle n’avait d’ailleurs jamais imaginé qu’il puisse être un « problème ». Pour elle, cet accent racontait le Jura, les paysages, sa famille. Le regard de Brune a tout fait basculer. Mais sans cet accent, on ne la reconnait plus, elle perd ce qui fait d’elle son originalité, son identité.
C’est une bonne idée, rare dans la littérature jeunesse, d’avoir choisi comme thème de ce roman une différence « métropolitaine », un accent régional. Mais bien sûr le message du livre se transpose sans difficulté à une différence de coiffure, d’habillement, de pensée, de couleur de peau, de pays d’origine. Pour des enfants qui sont à l’âge où l’on souhaite tant ressembler aux autres, quitte à se perdre au passage, le sujet est d’importance.

Par ailleurs ce roman est aussi l’occasion de découvrir une belle histoire d’amitié : Quand Inès perd confiance en elle à cause du commentaire de Brune, elle peut compter sur ses amis pour tenter de lui redonner force et courage. Ils la soutiennent, ils ne la reconnaissent plus quand elle lit sans accent. Si dans l’énorme honte qui se met à la ronger, elle doute à un moment de leur sincérité, au bout du compte, c’est ensemble qu’ils finiront par gagner.

Le maître d’école et le père d’Inès sont de beaux personnages positifs sur lesquels on peut s’appuyer (même si le maître reste à l’écart du problème de l’accent). Cet enseignant joue du ukulélé en classe, il organise des semaines sans écran, laisse les enfants deviner la « surprise » qu’il leur a réservée quand le livre commence. On sent bien dans les dialogues l’ambiance joyeuse qui règne dans la classe et que faire plaisir au maître est important pour les enfants.
Quant au père d’Inès, c’est lui qui va lui permettre de se ressaisir, de s’assumer telle qu’elle est et de reprendre confiance en elle. Il lui explique d’abord que c’est normal d’avoir peur et que l’échec c’est de ne pas essayer. Quand il comprend que le problème de sa fille n’est pas vraiment celui de la peur et qu’elle avoue enfin son désarroi face à un accent qu’une seule remarque a détrôné, il trouve encore les mots justes. Ces gens qui critiquent, qui te dit qu’ils ont raison ? Qui te dit que leur opinion compte davantage que la tienne ? le problème, c’est seulement dans leurs yeux qu’il existe. Comme le dit le père encore, il y aura toujours des gens qui trouvent à critiquer (…) Etre trop grand, trop petit, être trop gros ou trop maigre, trop mou ou trop dynamique, trop gentil ou pas assez. Avoir des lunettes, un appareil dentaire, un pull qui n’est pas de la bonne couleur, des cheveux trop raides ou trop frisés…, ou une façon de parler. Il propose à sa fille la belle image du parapluie : Imagine que ces méchancetés sont des gouttes de pluie. Tu ne peux pas empêcher la pluie de tomber, n’est-ce pas ? Par contre tu peux ouvrir le parapluie. Et tu ne seras pas mouillée.

Il y a de l’humour dans le texte, même si à un moment Inès n’est vraiment pas bien ; du dynamisme dans les dialogues, des émotions à hauteur des ressentis d’enfant, décrites avec justesse et sensibilité ; des illustrations colorées et très expressives.

Inès, un temps ébranlée, retrouve à la fin sa joie de vire. Elle a compris que l’accent…ce n’est pas « grave », qu’il fait partie d’elle, comme l’orthographe de son prénom. C’est Inès, avec accent. Et c’est très bien comme ça ! On ressort de cette lecture de bonne humeur en ayant fait provision de confiance en soi…

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