Mission Mammouth (péda)

Mission Mammouth (péda)
Auteur

Xavier-laurent Petit

Editeur

Ecole des loisirs – coll Histoires naturelles – 2020

Catégorie : Étiquettes : , , ,

Amouksan est la doyenne de l’humanité. Elle vit en Sibérie, au bord du monde, près du domaine des esprits. À présent, il ne lui reste que ses souvenirs, et trois objets précieux qu’on lui a offerts : un talisman en cuir, une pochette de photos, et une magnifique robe qu’elle a portée une seule fois, il y a très, très, très longtemps. Son père trappeur aurait voulu un garçon, pour lui apprendre à chasser le renne l’hiver, et le saumon l’été. Alors, il a élevé Amouksan comme un garçon. Mais cette année-là, c’est un géant revenu du fond des âges qu’ils vont découvrir ensemble. Un mammouth. Il allait leur offrir la plus incroyable aventure de leur vie.

Mots-clés : Asie, Grand-Nord, nature-écologie, origine

Tout dans ce récit est objet de curiosité : le milieu géographique, le thème scientifique, les situations familiales et sociales. Nous pensons que de jeunes lecteurs s’engageront dans la lecture avec plaisir. Néanmoins la construction narrative n’est pas si simple. Il faut identifier les deux récits imbriqués l’un dans l’autre : un dialogue entre une vieille femme et sa petite fille, une histoire datant du siècle dernier.

Se repérer dans le temps du récit

Le repérage dans le temps du récit est d’autant plus complexe que l’histoire commence par une narration en « je ». Amoutska interpelle directement le lecteur sur sa condition d’aïeule (âgée de 120 ans environ !), étonnée d’être si vieille et d’avoir vécu tant de choses. Installée près d’une de son « arrière-arrière-arrière petite fille » elle lui présente trois objets fétiches et commence à évoquer le passé. Ce n’est qu’au chapitre 9 qu’elle est interrompue par la petite qui l’interroge directement.

Le jeu d’écriture en alternance continue ensuite. Chaque interruption par la petite fille renforce un élément du discours d’Amoutska : son pendentif et son secret, la découverte du mammouth, sa surprise de voir des hommes blancs, l’appareil photo, ses premières impressions à Saint Petersburg. Cela permet d’apporter un certain souffle pour le lecteur et d’approcher le décalage entre les différents temps (d’un siècle environ). On notera la légèreté humoristique apportée par les questionnements un peu loufoques de la grand-mère.

Le découpage en chapitres ne correspond pas à la double narration. Les échanges directs entre l’aïeule à sa petite sont écrits sur un chapitre seulement introduit par le lieu « MYSSOVAÏA – REPUBLIQUE AUTONOME DE YAKOUTIE SIBERIE « et le temps « Eté 201… ». Le temps de l’histoire du mammouth est développé sur plusieurs chapitres numérotés, introduits par un lieu et une année qui évoluent. Ainsi Amouskan raconte le temps d’un été alors que son aventure dure environ deux ans, du printemps 1901 au mois de février 1902.

Se repérer dans des espaces inconnus

On évoque peu les espaces de Sibérie, les étendues désertes et sauvages, le froid, la glace… Or il est important de connaître les difficultés à vivre dans les conditions extrêmes du Grand Nord pour comprendre les conditions de vie d’Amouksa et sa famille. On peut penser qu’un repérage sur différents outils de géographie spatiale (mappemonde, google map…) donnera une dimension à l’identification des lieux.

Le repérage des espaces et des déplacements est facilité par la présentation de plusieurs cartes. La première, avant le début du récit, fait état du voyage des deux scientifiques pour venir voir la découverte. La deuxième, à la fin du récit, présente le parcours pour transporter le mammouth à Saint Pétersbourg. Elles sont presque similaires et montrent bien à quel point l’habitat d’Amouksa est isolé et éloigné des grandes villes russes.

Le nom des lieux n’est pas facile à retenir. On pourra retenir « Myssovaïa », la terre natale qu’Amouksa n’a pas quittée puisque c’est là qu’elle raconte son histoire à sa petite fille. Cet endroit est tellement près du pôle que sa grand-mère l’appelait «le bord du monde ». Nos recherches sur google map ne nous permettent pas de situer ce lieu au même endroit que les cartes du roman…

La rivière Bérézovska proche de Myssovaïa est le lieu principal de l’action. C’est là que le mammouth est trouvé et « travaillé ». C’est un endroit isolé, sauvage, dangereux. Il faut savoir se défendre pour le traverser. Il faut bâtir un campement pour y rester. Nous pouvons noter que ce lieu est également inconnu de Google Map…

Les autres localités sont des lieux de civilisation, des lieux où les hommes se rencontrent. Le père d’Amouksa négocie ses peaux à Kolymskaoï. Yakoutsk, Irkoutsk sont des villes plus importantes. Saint Pétersbourg est la capitale de la Russie. C’est là que vivent le tsar et sa famille. C’est aussi le cœur de la culture russe.

Amouksa / Amouksan, un personnage qui vit au présent

L’héroïne, Amouksa, est une enfant. Elle affronte des conditions de vie qui font d’elle une aventurière à part entière. Les habitudes de vie sont rudes dans sa contrée. Lorsque son père décide de l’emmener avec lui pour apprendre à chasser le renne elle doit faire preuve de persévérance, de résistance et de courage. Son père parle très peu. Elle le suit sans se plaindre. L’épreuve de la solitude lorsqu’elle doit seule surveiller le squelette du mammouth envers et contre les loups est terrible. Mais elle fait ce qu’elle peut et elle ne reçoit aucun reproche… ni aucune gratitude spécifique d’ailleurs.

La double identité d’Amouksa-Amouksan n’est pas le sujet principal du livre mais elle pose la question de l’organisation familiale et du rôle de chacun. Le père se sent obligé de modifier l’identité sexuelle de sa fille pour l’initier à la chasse. Son choix n’est remis en cause par personne. La reconnaissance de Pfitz permet à Amouksa de retrouver sa véritable nature de fille. Néanmoins la robe qu’elle porte à Saint Pétersbourg lui semble aussi incongrue que le costume de son père. Amouksa est avant tout un habitant de la steppe. On notera d’ailleurs qu’elle garde son prénom masculin à la fin de sa vie, au grand étonnement de sa descendante

Amouksa découvre le monde et les autres avec beaucoup de distance. Sa découverte du mammouth est très concrète : corbeaux qui tournoient, puanteur de viande pourrie, lambeaux de peau, boue, empreintes de gloutons et de loups… Sa première rencontre avec les scientifiques est un objet d’étonnement pragmatique : des chevaux, une peau « un peu rose, un peu jaunâtre… un peu moche »… Elle vit au rythme des actions sans se projeter dans un avenir. Les relations qu’elle construit avec les autres, notamment avec Pfitz, évoluent. Un sentiment de confiance s’installe entre eux. Mais Amouksa reste avant l’enfant de la famille.

Amouksa est touchante parce que son obéissance ne correspond pas à un asservissement à son père. Il s’agit plutôt de prendre en charge une fonction nécessaire à la survie de la famille. Amouksa n’a aucune revendication. Devenue une aïeule elle raconte simplement son récit, contente d’avoir été utile et d’avoir vécu tous ces évènements. Ses plaintes portent juste sur le monde moderne et son évolution.

L’importance de la découverte d’un mammouth

Les scientifiques travaillent autour du mammouth, ils dégèlent l’animal, le recongèlent et commentent certaines trouvailles. Amouksa suit le mouvement. La connaissance des conditions de la mort de l’animal donne l’occasion pour Pfitz d’évoquer les origines de la vie qui mène à notre compréhension du monde. Amouksa rit de cette explication.

Il est vrai qu’Amouksa est imprégnée des croyances qu’Ebée, sa grand-mère, lui a transmises. On lui a toujours dit que les mammouths vivaient dans des galeries sous la terre et mourraient dès qu’ils voyaient la lumière. Elle reste décalée par rapport à une approche scientifique, elle ne se projette dans aucun questionnement scientifique. Son voyage lui ouvre les yeux sur différents environnements, sur différentes façons de vivre. Son arrêt à saint Pétersbourg, surtout au Museum, lui donne conscience qu’elle a « tout à découvrir »(p183).

Mission Mammouth offre sans nul doute l’occasion de s’interroger sur la paléontologie. Pourquoi cette branche scientifique est-elle importante ? Pourquoi deux scientifiques accourent-ils à l’annonce de la découverte d’un mammouth ? Pourquoi déploient-ils tant d’énergie et tant d’argent pour transporter le mammouth jusque dans un Muséum ? L’exposition du mammouth au grand public dans un muséum donne également à réfléchir. Quel est l’intérêt d’un tel musée ? Qu’est-ce qui justifie la présence du tsar lors de l’inauguration ?

Les études scientifiques évoluent de tout temps. Très récemment (le 18.02.2021) Cnews a publié un article qui atteste de la découverte du plus vieil ADN extrait d’une molaire de mammouth. Le site geo.fr fait état d’un squelette de mammouth retrouvé très récemment dans un lac de Sibérie .