Le brutalone

Le brutalone
Auteur

Alexandre Lacroix

Illustrateur

jérémy Pailler

Editeur

Kaléidoscope – 2024

Au coeur d’un bois profond vivait le Brutalone. Grâce à sa force colossale et à son cri assourdissant, il menait une vie paisible à l’abri du danger. Mais sa force n’avait d’égales que sa maladresse et sa solitude. Fui de tous les animaux, le Brutalone désespérait : ne pourrait-il jamais avoir un ami ?
L’amitié inattendue entre un colosse au cœur tendre et un gracieux papillon pour célébrer la différence et apprendre à voir au-delà des apparences.

Mots-clés : amitié, différence

Notre présentation

Le Brutalone est un personnage original. Il est fort, il est vaillant, il ne craint rien ni personne. Il vit au fin fond de la forêt, près d’une rivière. Il s’apparente aux géants voire aux ogres des contes. Sa vie semble sans problème. Mais il n’est pas heureux, il est toujours seul et il passe des heures sans rien faire.

Emerveillé par le vol d’un papillon et son habileté à aspirer le nectar d’une fleur, le Brutalone propose à l’insecte de devenir son ami. Celui-ci refuse prétextant le manque de délicatesse du Brutalone. La créature, en colère, tente alors de se jeter sur le papillon qui se dégage à chaque fois avec agilité. Le Brutalone s’avoue vaincu. Mais il n’abandonne pas l’idée d’une amitié en devenir. S’il apprend à être délicat il aura toutes ses chances d’être ami avec le papillon. Serait-ce possible ?

Le papillon, dénommé Farfalle, papillon en italien, accepte d’être l’instructeur du Brutalone. Il lui propose trois épreuves originales qui demandent de la concentration, de la minutie, et un véritable self-contrôle. Les épreuves sont simples mais elles ne sont pas faciles. Le Brutalone est appliqué, investi et il réussit. Il gagne l’amitié du papillon. Il apprend aussi à différencier les moments où il peut laisser s’exprimer sa brutalité pour protéger son nouvel ami et les moments pendant lesquels il doit se montrer délicat.

Un album original et pertinent tant dans le fond que dans la forme. La délicatesse est un sujet très peu traité en littérature de jeunesse. Il est pourtant tellement intéressant de s’interroger sur nos façons de réagir et d’agir, de réfléchir au contrôle de nos émotions et de nos envies. Les illustrations, d’une grande qualité, sont étonnantes. Elles donnent vie à un personnage hors du commun qui tente toujours de mieux faire. Le Brutalone est une belle personne et une belle histoire.

Nos commentaires

Qui est le brutalone ? Ce n’est pas un homme : il porte des cornes, il a une longue queue de lion, et il a une force surhumaine. Alors c’est un monstre, mais quel type de monstre ?
Il est très grand, il a une force colossale et il vit seul dans un grand bois profond. Ces caractéristiques laissent à penser qu’il pourrait être un ogre ou un géant. Mais il lui manque quelques qualités, notamment un odorat développé, et quelques défauts,entre autres une mauvaise vue. Surtout il ne cherche pas à dévorer les enfants ou quiconque. Il ne correspond donc pas à cet archétype. On pourrait aussi l’assimiler à un centaure ou à un faune avec ses cornes. Mais il possède des jambes et se déplace sur ses deux pieds comme tout humain. Qui est-il ?

Le Brutalone est une nouvelle sorte de créature imaginaire qui tient de la mythologie et du conte.
Son côté surpuissant fait penser à Poséidon. La scène dans laquelle il se met en colère contre le papillon, dans un plan rapproché, en contre-plongée, la barbe et les cheveux au vent, les bras levés, fait penser au Poséidon de Milos. Le feuillage rouge, en arrière-plan, peut même être assimilé à des algues agitées des fonds marins. Il faut dire que le contexte forestier, magnifique dans son esthétique, peut parfois se confondre avec un contexte aquatique comme en témoigne la première page où l’entremêlement des champignons pourrait être un fond d’algues et de coraux.
Le Brutalone s’apparente aussi au faune de la mythologie romaine avec ses cornes et surtout sa joie de vivre. Certes il s’ennuie, mais il est tout de même un joyeux luron qui aime rire et chahuter. Son cri, aussi terrible soit-il, ne lui sert qu’à effrayer les chauves-souris au fond de leur grotte pour les voir déguerpir à moitié endormies. Il shoote dans les champignons pour le seul plaisir du jeu. Il subit les chatouilles des fourmis rouges en souriant. On comprend facilement qu’il ait envie de rencontrer un ami pour partager tous ces moments de gaieté.

En fait le Brutalone n’appartient pas à une famille de dieux, de demi-dieux ou de héros, il rejoint plutôt la famille des personnages de conte. Son nom, à l’instar de Blanche Neige ou de Cendrillon, fait état de ses qualités : il est brutal et il est « alone », (seul). Il est confronté à une difficulté qu’il devra dépasser en réussissant un certain nombre d’épreuves, trois en l’occurrence. Rien n’est dit sur son apparence dans le texte mais il apparaît dans l’image comme un être hors normes, fantastique. Malgré son aspect et sa force il arrive à parler au papillon… qui lui répond ! Voilà quelques éléments qui ouvrent facilement au monde merveilleux des contes.

Les épreuves que doit réaliser le Brutalone sont concrètes et relativement réalistes. Il s’agit de placer trois galets en équilibre, de consolider le nid d’une mésange en haut d’un sapin et enfin de sécher les ailes mouillées du papillon. Le Brutalone n’a aucun pouvoir magique à utiliser, il doit travailler sur lui-même. C’est peut-être bien là la force du récit qui pose de façon subtile la question du self-contrôle : comment agir délicatement sans suivre l’envie naturelle de foncer sans trop réfléchir. Tout d’abord il faut se concentrer, le Brutalone tire la langue à chaque épreuve tellement il est centré sur sa tâche. Ensuite il faut être patient, astucieux et audacieux. Et enfin il faut réussir à mesurer sa force et sa gestuelle. Le Brutalone arrive à faire usage de toutes ces qualités. Il anticipe la réparation du nid en prenant du matériel adapté au sol. Il a le courage de grimper au sommet du sapin malgré le risque de tomber. Il répare le nid avec ses doigts boudinés parce qu’il agit doucement, lentement. Il fait même preuve de créativité en insérant une mèche de cheveux pour le confort de la mésange. Pour finir il adapte la forme de sa bouche comme pour faire un bisou pour ne pas souffler trop fort et sécher les ailes du papillon en toute sécurité. La preuve est là, la brutalité peut s’éduquer !

Avant de rencontrer le papillon et de lui proposer une relation amicale le Brutalone ne s’interrogeait pas sur sa force et son énergie. A la limite il ne se trouvait ni brusque ni brutal. Il était comme il était. C’est le regard du papillon qui lui renvoie son manque de délicatesse. Leur premier contact correspond à l’émerveillement du Brutalone devant le papillon qui butine une orchidée. Il est donc capable de s’émouvoir devant la beauté de la nature. En réussissant à dépasser sa colère après le refus du papillon d’être directement son ami le Brutalone montre qu’il ne cherche pas à dominer et qu’il est capable d’admettre une défaite. Il peut donc se remettre en question. Sa quête pour changer ses façons de faire est quelque peu abrupte quand il répond à Farfalle que c’est « la DELICATESSE, bon sang de bois ! » qu’il veut apprendre. Mais sans nul doute il possède les qualités pour évoluer.

Le papillon, aussi petit et fragile soit-il, se montre un instructeur intransigeant. Il explique ce qu’est la délicatesse en la définissant précisément :« Quand tu es délicat tu fais toujours attention à tout et tu maîtrises jusqu’au plus petit de tes mouvements ». Il apporte des exemples concrets en virevoltant autour des fleurs. Il prouve la pertinence du concept en échappant à la colère du Brutalone. Enfin il propose des épreuves complexes mais réalisables qui feront progresser son élève. Son instruction est réussie puisque, à la fin du récit, le Brutalone est capable de moduler sa voix selon les circonstances et de mesurer sa force quand il protège le papillon entres ses mains. C’est une belle victoire qui aboutit sans nul doute à une belle amitié.

Alexandre Lacroix,  écrivain et philosophe, propose une écriture fluide et expressive. Les interpellations au lecteur (« Que faire avec ces dix doigts boudinés ? »), l’usage de différents niveaux de langage (« t’as gagné. »), les nombreux dialogues et la mise en page facilitent la lecture. Il y a autant de plaisir à parcourir le texte qu’à oraliser la lecture.

Les illustrations sont vraiment très réussies. Le Brutalone a une trogne hors du commun, on le voit évidemment terriblement puissant mais il ne fait jamais peur. Le jeu des cadrages, la diversité des plans donnent du rythme au récit. Le Brutalone s’agite, agit sans réfléchir lors d’une triple représentation dynamique sur double page. En gros plan, toujours sur une double page, il se concentre pour arranger le nid de la mésange. Le dessin est précis, détaillé. Le lecteur pourra remarquer ses gouttes de sueur, son ongle cassé, la position de ses doigts notamment le relâchement de son auriculaire. Sur la même illustration, Farfalle, le papillon, vérifie la dextérité du géant une loupe à la main et la mésange attend, posée sur la main du Brutalone, avec un sac contenant ses œufs sur le dos. C’est drôle et touchant. Notons également la double page représentant en vue aérienne le Brutalone dormant sur son lit, épuisé, suçant son pouce, avec son ours en peluche dans les bras. Le côté naïf du personnage est mis à jour avec beaucoup de tendresse et de bienveillance. Indéniablement Jérémy Pailler réussit à créer un univers de conte enchanteur.

Le Brutalone est un album très réussi. Le personnage est totalement inattendu. Il n’est ni un héros, ni une brute épaisse. Il est juste un être délicat qui ne se connaît pas encore, qui n’a pas encore conscience de toutes ses qualités. Sa relation avec le papillon est totalement improbable et pourtant les deux personnages construisent une relation empreinte de respect, d’attachement et d’affection. Ils deviennent de véritables amis. Le récit est sublimé par de magnifiques illustrations qui plongent le lecteur dans un univers féérique, esthétique et émouvant. Approcher le concept de « délicatesse » n’est pas simple. Cet ouvrage parvient à nous le faire toucher du bout des doigts. Sans nul doute les lecteurs se laisseront facilement happer par cet ouvrage.