Ma fugue dans les arbres (péda)

Ma fugue dans les arbres (péda)
Auteur

Alexandre Chardin

Editeur

Magnard jeunesse – 2019

L’anniversaire de ses onze ans restera longtemps pour Albertine à la fois le plus beau et le pire jour de sa vie. Elle à qui son père a toujours interdit de grimper aux arbres décide d’installer dans le jardin une balançoire, à l’ombre du grand chêne. Elle va enfin pouvoir s’élancer vers le ciel, et sans vraiment désobéir ! Mais à peine accrochée, voilà la balançoire coupée, mise à terre par son père. Furieuse, Albertine monte à la corde laissée pendue, enjambe la première grosse branche, s’élève encore plus haut… et annonce que plus jamais elle ne redescendra ! Un malicieux hommage au Baron perché d’Italo Calvino.

Mots-clés : initiation, relation adultes-enfants, nature-écologie

Un roman volumineux mais simple dans sa structure

Des enfants de 10 ans seront peut-être un peu affolés par le volume de lecture. De nombreux dialogues émaillent le texte, apportant une dynamique très plaisante dans le jeu des personnages et l’évolution de la situation. Les phrases sont courtes, l’écriture est fluide. La compréhension du récit est assez facile.

Pour approcher le roman et engager les enfants vers une lecture un peu longue il peut être intéressant de le présenter sous forme de lectures orales. Alexandre Chardin a d’ailleurs enregistré pendant le confinement différentes lectures :

La chronologie du récit est déclinée progressivement par quatre parties bien identifiées grâce à la pagination :

  •  Un prologue de quelques pages introduit les deux enfants.
  •  La première partie, La colère, évoque l’évolution de la situation qui amène Tine à grimper en haut de son premier arbre.
  • La deuxième partie, La vie dans les arbres, est la plus développée. C’est le cœur de l’aventure. Tine doit faire face à de nombreuses difficultés (manger, se laver, dormir, se déplacer…). Elle rencontre des épreuves (l’attaque d’un rapace…). Elle entretient et enrichit ses relations aux autres, notamment avec son père.
  • La dernière partie, La tempête, voit l’aboutissement de l’aventure et le rapprochement véritable de la fille et de son père.

Chaque partie est entrecoupée de chapitres assez courts qui ne correspondent pas forcément à des ruptures de narration. Ils aident davantage le lecteur à entrecouper sa lecture.

Albertine, un personnage original révélateur de la crise familiale

Albertine est la narratrice, c’est elle qui raconte. Elle est au cœur de toutes les situations. Le lecteur est donc d’emblée plongé dans son point de vue et dans sa connaissance des sujets. Sa personnalité est très attachante et le lecteur n’a aucun mal à entrer en empathie avec elle. On peut même dire que l’empathie avec Albertine va grandissant au fil du récit.

Albertine est rebelle sans être une opposante systématique. Elle est toujours respectueuse et se montre attentive aux autres. En fait Albertine revendique différents droits tels que le droit de manger autre chose que des légumes, le droit de porter un pantalon… Plutôt que subir en silence elle agit. Les solutions qu’elle trouve pour résoudre ses problèmes sont de l’ordre du détournement dans un premier temps (des limaces dans le potager, des échanges de vêtements au collège). Les situations sont rocambolesques et prêtent à rire notamment grâce aux dialogues et aux réparties hautes en couleur.

Sa colère monte au fil de la dégradation de sa relation avec son père. Elle revendique le droit de mieux comprendre sa vie, ses relations avec ses enfants, ses choix. En fait elle revendique le droit de savoir comment il considère sa famille (p73 : « Je t’aime mais je sais pas si tu m’aimes, toi) ». Mais tout échange direct reste hermétique. La réaction surdimensionnée du père face à la balançoire est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. L’accusation de désobéissance, le renvoi de Nours représentent des injustices insupportables. Albertine est hors d’elle. C’est là qu’elle se révolte. C’est là qu’elle provoque. Elle s’accroche à une branche et grimpe dans un arbre, ce qui représente pour son père, elle le sait, une véritable provocation.

Lors de sa déambulation dans les arbres Albertine se livre encore plus sur ses ressentis, ses doutes, ses envies. Elle se montre courageuse, persévérante, patiente… Son attitude ne relève pas d’un caprice ou d’une fixation, il s’agit d’une épreuve pour elle et son père. D’un côté elle apprend à mieux se connaître, à vivre en lien avec les arbres, avec la nature. En même temps elle met son père à l’épreuve : à l’épreuve de son autorité, de son amour, de son histoire.

Des personnages secondaires impliqués et révélateurs de liens forts

Tous les personnages sont touchants.

Nours, l’homme de maison, est doux, sensible, structuré et structurant. Il marque son autorité sans être autoritaire. Il a un rôle protecteur, on peut lui parler. C’est l’homme de confiance pour le père comme pour les enfants. Il est rare de trouver en littérature un rôle d’homme aussi fin dans sa relation aux autres.

Sylvain, le petit frère, est très différent de sa sœur. Sans aucun doute Albertine l’influence et le domine. Mais il existe une véritable affection dans la fratrie. Là encore, même s’il y a quelques tensions, les deux frères et sœurs s’aident et se supportent mutuellement, quelque soit les circonstances.

Charles, le père, a un abord froid et distant. On comprend dès le début qu’il a subi un traumatisme. Les enfants savent qu’il parle avec Nours, ils comprennent également qu’il est bloqué avec eux. Son aspect autoritaire est détestable. Mais sa détresse, son désarroi lors de la fugue d’Albertine le rendent de plus en plus attendrissant. On voit sa carapace s’effriter graduellement. La fin du récit ne correspond pas à une chute du personnage mais plutôt à une double renaissance, celle de l’homme et celle de sa relation avec ses enfants.

Tous les personnages permettent de valoriser le parcours d’Albertine. Nours, l’initiateur de la crise, protège Albertine jusqu’à son éviction. Sylvain ne lâche jamais sa sœur malgré les apparences. Camille, la meilleure amie, répond toujours présente pour apporter une aide morale ou matérielle. Même Mika et sa bande, qui semblent opposants, finissent par admirer discrètement la jeune fille. Quant à Charles, sa panique, sa colère, et finalement sa déchéance progressive montre à quel point il est attaché à ses enfants.

L’histoire est foncièrement positive sur le plan des relations humaines. Les personnages partagent des joies intenses mais également des peines extrêmes. La crise est terrible mais pas terrifiante. Elle permet de partager une tension parfois effrayante mais propre à libérer les cœurs… et la parole.

Des arbres comme symboles de conflit et de réconciliation

Les arbres et la forêt sont au cœur du conflit qui oppose Charles à ses enfants.

L’arbre est un trait d’union entre le ciel et la terre. Ses racines sont ancrées dans la terre, ses branches se dressent dans les airs. Il représente la Vie, le lien entre ce qui vit sur terre et le cosmos. Le fait de grimper dans un arbre n’est pas neutre. Outre le fait de dépasser l’interdit, il s’agit peut-être d’aller chercher des éléments de réponses au-dessus du sol.

La forêt tient un rôle symbolique fort dans la littérature de jeunesse. Dans les contes c’est le lieu de tous les dangers, le lieu dans lequel vivent les loups et autres créatures néfastes. C’est aussi un endroit qui permet de passer d’un état à un autre, notamment de l’état d’enfant à l’état d’adulte. Dans sa forêt Albertine apprend à se débrouiller telle Robinson sur son ile. Sa déambulation n’est pas sauvage, elle ne se perd pas. Au contraire, elle s’éloigne pour mieux se rapprocher de la demeure familiale.

Albertine et son père se retrouvent lors d’une tempête. La tempête représente un danger intense. Tout peut arriver, on peut tomber mais on peut aussi se relever pour un nouveau départ. En référence au déluge du premier testament de la bible, la tempête détruit tout mais l’arche permet de survivre.

Une histoire forte en émotions

Le livre est très fort en émotion. On y pleure, mais on y rit beaucoup aussi. C’est ici toute la force de la narration.

Il y a évidemment un drame qui se joue dans cette histoire. La montée de la colère d’Albertine est d’autant plus palpable qu’elle s’exprime sans filtre. Le lecteur identifie d’emblée le problème. Il accompagne facilement Albertine dans sa crise, partageant ses frustrations, ses déceptions, ses incompréhensions, son sentiment d’injustice et d’abandon. Le personnage est généreux, il ne cache pas ses émotions.

Mais il y a aussi beaucoup d’humour. Le prologue annonce le ton en jouant sur l’opposition des personnages et leur capacité à réagir. Imaginer introduire des limaces dans un potager pour ne pas manger de légumes et jouer l’innocence est digne des blagues de Fifi Brindacier ou des célèbres Pim Pam Poum. Personne n’est dupe mais la blague est drôle. Ce jeu de dupe se retrouve dans de nombreuses situations (l’échange de vêtements, les bonbons au cimetière…).

Les dialogues sont vifs, relevés. Dans un langage simple, parfois familier, les protagonistes se répondent du tac au tac. Les échanges peuvent être crus, douloureux. Ils peuvent également être désuets, ironiques. Ils donnent vie à la fiction et emportent le lecteur dans une belle énergie romanesque.

Prolongement

Le site ricochet propose une analyse intéressante du roman

Mise en ligne en avril 2021