Mon coeur gros
Auteure | Isabelle Rossignol |
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Illustrateur | Benjamin Strickler |
Editeur | Talents Hauts – 2022 |
Quand je suis tombée amoureuse de Mathis et que j’ai compris qu’il était amoureux de Lola, j’ai tout de suite pensé que c’était parce que quelque chose n’allait pas chez moi. Et qu’est-ce qui n’allait pas ? N’importe qui aurait deviné : trop grosse évidemment. Depuis, mon complexe est aussi grand que le ciel.
Mots-clés : Emotions, relations adultes-enfants
Présentation générale
Camille est en CE1 dans la classe de Mme Laval et elle a un énorme complexe qui l’empêche d’être heureuse : elle se trouve trop grosse et elle se déteste. Tout a débuté à la grande école quand elle a commencé à se comparer aux autres. Si seulement j’avais pu rester bébé…Et cette année, c’est pire. Elle est amoureuse de Mathis. Et Mathis bien sûr préfère Lola qui est mince et bien trop belle. Voilà que le complexe de Camille est maintenant aussi grand que le ciel, elle se sent comme une vache qui voudrait être un oiseau, elle se croit monstrueuse. Elle ne sait plus comment s’habiller, elle appréhende d’aller à la piscine, le jour de la photo de classe c’est évidemment elle la plus moche de tous. Même pendant la récréation, elle s’isole sur la balançoire de la cour avec un livre et elle passe son temps à se comparer aux autres, à son désavantage bien sûr. Jusqu’au jour où Mme Laval, la maîtresse, vient lui parler et lui demander ce qui ne va pas. Camille pour lui répondre met enfin des mots sur son problème. L’enseignante lui propose alors d’en discuter en classe avec les autres élèves. Et là, la parole se libère, Camille s’aperçoit que tout le monde a un petit complexe secret dans un coin de son cœur. C’est un nez trop petit, un orteil sans ongle, une voix de fille pour un garçon, des dents trop pointues…Et même la maîtresse avoue ne pas aimer ses oreilles ! La séance se termine par de grands éclats de rire. Quant à Lola, si jolie et dont Mathis est semble-t-il amoureux, elle se trouve pourtant trop petite…Camille est soulagée, elle n’est pas seule à souffrir d’être complexée. Son regard sur elle-même et sur les autres qu’on idéalise toujours va pouvoir changer.
Nos commentaires
Mon cœur gros est édité chez Talents Hauts, l’éditeur de livres qui bousculent les idées reçues. Il fait partie de la collection qui porte le joli nom de « Livres et égaux ». Cette collection a pour objectif de désamorcer les problèmes pouvant peser sur la vie des enfants. Elle propose des romans illustrés qui tordent le cou aux clichés. On y trouve le sexisme, l’identité sexuelle, la crainte ou le rejet de la différence, les peurs que l’on craint d’avouer, le deuil, le chômage, l’incarcération des parents etc…
Mon cœur gros s’attaque aux complexes. Ceux que l’on cache tant bien que mal et qui gâchent la vie. Et puis ceux des autres qu’on n’imagine même pas tellement on est persuadé d’être seul à souffrir de ce genre de choses. La question de fond est finalement celle de la normalité. Qu’est-ce qu’être « normal » ? Pourquoi s’acharne-t-on à rêver d’une possible « normalité » ? Sur le site de l’éditeur, on trouve pour certains des romans de la collection des fiches d’exploitation pédagogique. Et il est vrai que ce petit roman, comme les autres titres de la collection, est parfaitement adapté à une utilisation en classe, pour introduire ou illustrer un temps de réflexion et de discussion entre les enfants et avec leur enseignant. Le petit volume de lecture séparé en quatre chapitres, la typographie aérée, les nombreuses illustrations en couleur et très expressives rendent ce livre accessible aux jeunes lecteurs. Il se situe dans un cadre pédagogique bien maîtrisé qui conviendra sans problèmes aux attentes de l’école. D’autant plus que le livre se termine sur cette phrase qui ne peut que réjouir le monde enseignant : Les maîtresses c’est comme les livres. Grâce à elles, on peut aller mieux. Ce qui est souvent vrai ;on l’espère, tout du moins !
Nous sommes à hauteur d’enfant dans ce roman, tant au niveau du vocabulaire employé que des émotions ressenties et exprimées. Camille n’est ni exclue ni moquée par les autres élèves. Elle l’exprime très bien : La seule à ne pas être gentille avec moi, c’est moi. Il est très facile de s’identifier à elle et de partager son mal être, sa solitude. On est forcément en empathie. D’ailleurs les lecteurs sont pris à témoin durant toute l’histoire :Mais vous voyez une vache ? Eh bien c’est moi. Ou encore : Est-ce que vous avez déjà été amoureuse, vous ? Ce qui va se révéler important c’est le rôle de la parole, du dialogue, des échanges pour enfin sortir des impasses que l’on se crée. Le recours à l’adulte est une solution pour ne pas rester prisonnier de soi-même. Ici les parents de Camille passent à côté du malaise de leur fille. Elle ne leur en parle d’ailleurs pas. En parents aimants et bienveillants, ils banaliseraient le problème, pense Camille. Ils penseraient rassurer l’enfant en lui certifiant que non, elle n’est pas grosse, que oui, elle est mignonne. Le papa propose même de lui faire des couettes pour la photo de classe : Vous imaginez une vache avec des couettes ? Bref, l’aide ne viendra pas des parents. Parce qu’il y a aussi tout ce que l’on imagine des autres, tout ce que Camille vit en classe et que les parents ne partagent pas. Il faudra l’attention et la parole d’un adulte extérieur au trio familial pour lancer le sujet enclasse et libérer la parole des enfants. L’enseignante a un rôle très positif ici. Elle se montre attentive, s’applique à complimenter Camille pour l’aider à prendre confiance en elle. Elle repère son isolement. Et va au-devant d’elle, ouvre une fenêtre, propose de discuter en classe de cette fameuse « normalité » qui n’existe peut-être pas…C’est là que Camille va comprendre qu’elle n’est pas seule à détester quelque chose d’elle-même et que ce n’est finalement pas si grave que ça, que ça peut être dit, se partager et même se dépasser. Elle découvre aussi qu’on se fait souvent une fausse idée des autres et que le dialogue permet de mieux se connaitre, de mieux s’accepter, de relativiser. L’autrice aborde tout cela avec une grande finesse psychologique. Un immense soulagement et des éclats de rire concluent la séance. Tout finit bien. Plus de cœur gros. A la place, enfin, un sourire sur le visage de Camille. Et peut-être Mathis portera-t-il désormais un autre regard sur elle, sait-on jamais ?
En filigrane dans le texte, on trouve de petites pistes de réflexion féministes, un questionnement sur les différences entre garçons et filles : Je ne sais pas si les garçons aiment comme nous, les filles. Ou bien : Les garçons, eux, ils ont de la veine. La preuve : « Il faut souffrir pour être beau », ça n’existe pas. Ou encore : Il dit que quand on est une fille, on est bonne en français et mauvaise en mathématiques. Ça alors, c’est bizarre. Il pourra être intéressant de les relever avec les enfants et de les développer.
Petit hommage à la lecture également : Camille s’isole avec un livre pendant les récréations, elle pense que quand on lit, on réfléchit plus que les autres. Ses lectures donnent envie d’ailleurs de rebondir sur deux autres romans qu’elle évoque : S’appeler Raoul, l’histoire d’un petit garçon, un ours en fait, qui n’aime pas son prénom, qui rêve de s’appeler autrement et J’ai mal aux maths où une petite Tamara se demande si être fâchée avec les maths est une maladie réservée aux filles…Comment, à partir d’un livre, donner envie d’en lire d’autres tout de suite !
En conclusion, Mon cœur gros est un excellent petit roman destiné aux premières années d’école primaire, il parle d’un problème forcément partagé par beaucoup d’enfants (et d’adultes !) et pourra aider à le dépasser !
A lire donc dans la foulée !