Quand les poules auront des dents

Quand les poules auront des dents
Auteur - Illustrateur

André Bouchard

Edition

Seuil Jeunesse – 2018

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ANTOINE : — Papa, tu me racontes une histoire ? PAPA : — D’accord, une histoire et puis dodo !

ANTOINE : — Attention, pas n’importe quelle histoire ! Je veux une histoire vraie PAPA : — N’as-tu jamais entendu parler de madame Dujabot ?

ANTOINE : — Dujabot ? Connais pas. PAPA : — Dans ce cas, je vais te raconter l’authentique histoire de madame Dujabot, Colette pour les intimes.

ANTOINE : — Je t’écoute…

Mots-clés :  liberté, identité

Présentation

C’est l’heure de l’histoire du soir. Et l’histoire que raconte le papa d’Antoine n’est pas banale. Entre le récit décalé d’une poule confrontée à un monde sans pitié et les interpellations d’un petit garçon qui refuse différentes incohérences, cet album propose une espèce de fable animalière certes un peu noire mais néanmoins optimiste.

Analyse

L’univers quotidien de la poule est relativement noir. Entre le travail à l’usine et ses cadences infernales, son coq qui n’est rien d’autre qu’un sale type, un licenciement abusif, le chômage, la nécessité de dérober des aliments pour survivre et la peur d’être transformée en nuggets, la poule vit dans une misère économique et sociale peu enviable. Cette partie du récit repose sur les principes de la ferme des animaux de Georges Orwell. Toutes les situations tendent à interroger le lecteur sur le fonctionnement du monde à tous niveaux et notamment sur la place des femmes. Heureusement, la poule arrive à se libérer à la fin du récit. Même si une poule ne peut pas voler, elle parvient à prendre de la distance et à sortir de la ville oppressante qui était le cadre du récit. Surtout, elle impose sa volonté de porter un maillot de bain ! Elle réussit ainsi à s’affirmer pour réaliser son désir. Outre l’humour dégagé par la situation, cette fin est rassurante.
La forme du récit est originale puisqu’il s’agit d’une narration entrecoupée de dialogues, qui renvoient à la situation discursive du départ, l’histoire racontée par le père à son fils. Au niveau du texte comme au niveau de l’illustration, les temps de dialogue donnent un rythme et un souffle au récit principal. On notera que chaque dialogue correspond à une interruption d’Antoine, le garçon. Il ne remet cependant pas en cause les situations métaphoriques que lui expose son père ni les dénonciations sous-jacentes à l’histoire de cette poule. Ses interventions portent sur des détails matériels (les poules n’ont pas de dents, les poules ne volent pas, une poule ne peut pas se baigner). On pourra s’interroger sur la véritable compréhension d’Antoine. Quelles questions pourrait poser Antoine qui permettraient de mieux cerner les situations ? Quelles sont les véritables questions que soulève le récit ? En s’interrogeant de la sorte, le lecteur est invité à dépasser la seule compréhension pour aller vers une ou des interprétations d’un récit finalement assez politique et polémique.
En relisant la 4ème de couverture, on pourra s’interroger sur la notion d’histoire vraie. En effet, la 4ème de couverture indique le pacte de lecture établi entre Antoine et son père. L’histoire de Colette ne serait donc pas une fiction mais un récit authentique. C’est évidemment faux mais cela oblige le lecteur à s’interroger sur le sens et la portée de cette histoire d’aliénation et de libération.

Les illustrations

Les temps de narration et de dialogue sont bien différenciés au niveau des illustrations dans le style, dans les couleurs, dans la mise en page.
On remarquera la variété des arrière-plans de la narration. Certes, le milieu est toujours urbain, mais les architectures sont étonnantes. Il s’agit parfois d’immeubles avec des pans de bois comme les maisons au Moyen Âge. D’autres fois des constructions métalliques font références à la révolution industrielle.
Les illustrations de la fin de l’album nous font penser aux illustrations de Christian Heinrich pour la série des Petites poules. La course avec le goéland et la baignade au coucher de soleil pourraient facilement être associés aux illustrations de l’album La petite poule qui voulait voir la mer.

 

Pour accompagner la lecture

Le titre de l’album est certainement un élément de réflexion pour les enfants. Il s’agit d’un idiotisme qui n’a pas son équivalent à l’étranger. On pourra s’amuser à chercher d’autres expressions du même style. Les anglais par exemple disent « quand les cochons voleront », les espagnols « quand les grenouilles auront des poils ».
On pourra proposer un album avec une construction similaire : L’histoire de la petite fourmi qui voulait déplacer des montagnes de Michaël Escoffier et Kris Di Giacomo (Frimousse 2014). Cette fois c’est une petite fille qui intervient dans l’histoire que lui raconte sa maman.