L’aveugle à la voix d’or

L’aveugle à la voix d’or
Auteure

Maria Diaz

Illustrateur

Nicolas Duffaut

Editeur

Belin jeunesse – 2020

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Lorsqu’il apprend que son fils est né aveugle, le roi l’abandonne en secret au cœur de la forêt. Le jeune prince grandit sous la protection des animaux sauvages, puis recueilli par des baladins, il découvre son exceptionnel talent : une voix qui guérit tous les maux.

Mots-clés : musique, différence

Présentation générale

Un roi et une reine désirent ardemment un enfant. Une rencontre mystérieuse au pied d’un « chêne grand-père » entre le roi et un merle initie l’annonce d’une bonne nouvelle. L’apparition d’une « chanson neuve » au matin sert de révélateur à la reine, elle va être maman. Le couple est heureux, le roi est impatient. Un magnifique enfant vient au monde. Il ne crie pas, il chante. Les sages lui prédisent un « destin sans pareil ».

Cependant l’enfant garde le regard fixe. Il est aveugle de naissance et le restera toute sa vie.

La reine n’en a cure. Elle utilise tous les autres sens pour accompagner son enfant à connaître le monde. Elle lui chante notamment des chansons qu’elle invente. Le roi, lui, ne supporte pas le handicap de son fils qu’il considère comme infirme. Il craint pour l’avenir de son royaume. Il décide donc d’agir. Un soir il simule un enlèvement et abandonne son fils dans la forêt, au pied du vieux chêne. Son épouse, anéantie, perd à jamais (semble-t-il) sa voix et l’usage de la parole.

Le bébé n’est pourtant pas perdu. Il est protégé par l’arbre et différents animaux, un merle, un ours, un loup et un renard. Il grandit, entouré par ses compagnons de la forêt, et devient un enfant sauvage, débrouillard mais sans connaissances de la société humaine.

L’arrivée d’une troupe de baladins vient perturber le quotidien de l’enfant devenu jeune homme. La musique et le chant ébranlent le garçon qui réagit en sifflant et révèle sa présence. Malgré les recommandations du merle le prince intègre la troupe, toujours accompagné des fauves et de l’oiseau qui le protègent.

Les chants du garçon sont irrésistibles, les spectateurs sont envoûtés. Les baladins prennent en charge l’artiste. Ils le lavent, l’habillent, l’emmènent partout. Le chanteur les suit, apprend les coutumes de la vie des hommes. Il chante, partage son art, toujours sous la protection de ses bêtes sauvages. Il est considéré comme un magicien poète capable de guérir tous les maux et de redonner espoir.

Sa réputation parvient aux oreilles du roi qui le convoque dans son château pour guérir son épouse du mal qui la ronge. Le monarque enjoint le garçon de faire un miracle. Et le miracle se produit lorsque le prince, encouragé par ses animaux protecteurs, retrouve la mélodie et les paroles de la chanson que sa mère lui chantait quand il était bébé.

La reine, touchée, reconnaît son enfant et retrouve la parole. Le roi, honteux, avoue son crime. Il délègue son trône à son fils qui l’accepte. L’aveugle devient un roi juste, humble, reconnaissant envers tous ceux qui l’ont aidé. Il reste simple et n’hésite pas à se vêtir d’une pèlerine pour faire la tournée du pays et guérir les maux grâce à sa musique.

On se laisse facilement bercer par la lecture du texte très imagé qui engage le lecteur dans un genre merveilleux écrit avec poésie. Les illustrations pleines pages grand format participent à créer une ambiance sereine et chaleureuse. L’application de l’éditeur Belin, avec sa dimension sonore, donne du sens à l’importance de l’écoute et de la musique. La lecture de cet album est comme un temps suspendu pour savourer une belle histoire.

Notre analyse

Un conte, des inspirations diverses

Le préambule et le prologue indiquent que l’histoire a été d’abord conçue à l’oral à partir de différentes sources littéraires et musicales. L’auteure a raconté puis a couché un texte sur papier. Ces conditions d’écriture correspondent bien aux principes des contes traditionnels qui invitent au brassage et au colportage oral des histoires avant de les fixer à l’écrit. L’album puis l’enregistrement via l’application Belin sont une belle création qui apporte des repères stables pour dire le conte. On peut également penser que l’histoire, simple dans sa structure, riche au niveau des images suggérées, se prête facilement à de nouveaux contages oraux.

L’aveugle à la voix d’or correspond à un conte d’exclusion assez classique : un enfant abandonné est recueilli par des animaux. L’enfant a d’autant plus la capacité à être en contact avec la nature qu’il est aveugle. L’auteure donne les références qui lui ont permis de porter le motif du prince aveugle. Elle explique s’être inspirée de la figure historique et mythique d’un barde gallois, Taliesin, d’où la présence originale de baladins pour amener le prince à voyager.

Comme très souvent la formule « Il était une fois » introduit le conte. La structure du récit est très simple. Elle passe par trois étapes principales : l’abandon, l’initiation grâce à la déambulation avec les baladins et les retrouvailles. L’histoire finit bien. La morale est sauve puisque le roi reconnaît ses torts et se désiste au profit de son fils. Le héros reste intègre tout au long de son parcours. C’est un conte simple et moral.

Le rapport au temps est tout à fait symbolique. La référence aux saisons marque les différentes étapes du récit. Le roi abandonne son fils lors de la « plus longue nuit de l’hiver ». Les baladins apparaissent « un jour de printemps ». Les retrouvailles entre la mère et son fils se passent « à la morte saison ». Les valeurs de temps servent de supports au drame, au renouveau, et à la fermeture d’une période.

La forêt est profonde, on pourrait s’y perdre. Mais elle est habitée et elle sert surtout de protection contre les hommes. Le chêne grand-père est un élément central du récit. C’est « le gardien des mystères ». Il est en relation avec le ciel notamment grâce au merle qui se pose sur ses branches. Il est également connecté à la terre par ses larges racines qui accueille le roi et bien sûr l’enfant. Il est assimilé à un véritable aïeul quand le prince décide de ne prendre le trône qu’après avoir rendu hommage « à celui qui m’a élevé autrefois ».

Tous les animaux sont impliqués dans la protection du prince. Trois animaux adoptent vraiment l’enfant, l’ours, le renard et le loup sans oublier le merle. Ainsi chaque animal apporte ses compétences pour éduquer l’enfant. Tel Mowgli dans la jungle l’enfant apprend à se débrouiller dans son environnement. Le merle a un rôle tout à fait particulier, il est un véritable guide comme dans le conte Le merle blanc. Sa formule d’accueil « Nous serons toujours là pour toi, fils du roi ! » résonne comme une formule magique. C’est grâce à ces mots que le prince retrouve ses souvenirs.

Le texte est écrit avec de nombreuses métaphores. La « larme de sang » tombée de la paupière du roi qui fait « une étoile dans le givre » souligne l’aspect dramatique et magique créé par le désarroi du roi. L’enfant qui descend de son arbre guidé par « le mystère qui appelait si fort, si fort » souligne le rôle du chêne grand-père qui invite le prince à aller de l’avant quand il voit les baladins. La voix du garçon comparé à « un murmure de feuilles, un chant de pierres et de rivière » donne à ressentir une pureté infinie.
Le texte est poétique. Il suggère de nombreuses images de nature, d’animaux, de spectacles sur les places publiques ou autour d’un feu. Il induit également des représentations sonores, des chants, de la musique. Le lecteur est facilement happé dans l’univers merveilleux de ce conte.

 

Un héros, entre protection et amour

Le personnage principal est facile à appréhender, c’est un prince rejeté pour sa différence. Il bénéficie d’aides, notamment le chêne et les animaux sauvages pour grandir. Devenu jeune homme il possède toutes les qualités d’un héros : il est doué, beau, brave, gentil et humble. Il ne rencontre pas réellement d’opposant lors de son parcours. Les troubadours qui l’accueillent auraient pu abuser de sa naïveté mais ils ne le font pas. Au contraire ils le soutiennent face à la brutalité des gardes du roi. Malgré l’abandon du début, ce prince évolue dans un univers très protecteur.

Les illustrations donnent au prince une silhouette longue et filiforme. Il porte une peau de bête ou une tunique qui laisse entrevoir un long cou. Ses cheveux, en broussaille au début, mieux coiffés ensuite, sont blancs comme ceux de la reine. Ils forment comme un halo de lumière autour de son visage. Ses yeux sont toujours fermés, il s’exprime essentiellement par ses postures. Il manifeste de la joie dans son bain, de la concentration quand il chante, de l’amour quand il retrouve sa mère, jamais de la peur. Sa représentation illustrée en fait un personnage androgyne plutôt gai, souriant, de toute évidence généreux.

Traditionnellement le rejet d’un enfant est lié à une grossesse inattendue alors que le roi est absent. Ici la grossesse a été désirée, le prince est bien le fils du roi. Très souvent ce sont les jeunes filles à marier qui perdent leur voix alors qu’ici c’est la reine qui devient muette, traumatisée par l’enlèvement de son fils. En fait il n’est pas question de pouvoir, de jalousie, d’ambition ou d’héritage comme dans de nombreux contes. C’est l’amour qui fait agir les personnages. Le roi veut protéger son royaume, la reine a le cœur brisé. Toujours par amour pour son épouse et son fils, le roi n’hésite pas à se punir, se déclarant indigne du trône et donnant tout pouvoir au prince.

Malgré le drame du début, l’atmosphère du conte est plutôt douce. Certes l’enfant est en péril mais il est très vite pris en charge et protégé. Les illustrations suggèrent les différentes ambiances avec des tons dominant. L’univers du roi est plutôt sombre, dans la nuit glacée avec des couleurs froides. La reine évolue dans un monde fait de couleurs chaudes dans les beiges rosés. Le prince aveugle est tout de suite protégé par une bonne étoile. Même s’il apparaît bébé dans la forêt sombre et assez noire, une lumière dorée indique d’emblée la bienveillance des lieux et des bêtes. Son parcours est ensuite varié en couleur selon les étapes qu’il traverse. On notera que le roi, la reine et le prince sont tous habillés de rouge, couleur symbolique de l’amour, évidemment ! La page pleine représentant les retrouvailles de la mère avec son fils est vraiment remarquable dans ses couleurs chaudes et profondes mais également dans sa composition qui met en exergue des émotions très fortes.

 

Et la musique dans tout cela

L’enfant a d’abord appris la langue des bêtes. Il sait juste siffler lorsqu’il rencontre les baladins. Sa première écoute des baladins est un choc qui lui procure mille sensations (« comme si mille créatures dansaient dessus sa peau… ». Cette approche de la connaissance de l’autre par l’émotion musicale offre des perspectives pédagogiques certaines sur l’ouverture à tout style musical.

Un godet d’alcool délie la langue de l’aveugle qui ose chanter devant la troupe de baladins. Le merle impulse son premier chant face à la foule qui l’entoure. Le prince ignore qu’il possède un don comme il ignore les règles de vie dans la société des hommes. Il est habité par les chants de la nature, sa musique est comme un tremplin qui permet l’union entre les hommes.

Contrairement au musicien d’Hamelin le chanteur à la voix d’or n’est pas inquiétant. Il n’use pas de son pouvoir pour faire mal. Au contraire il souhaite guérir les maux de celles et ceux qu’ils rencontrent. On peut assimiler son pouvoir à celui d’Orphée avec une musique qui tranquillise, qui apporte une certaine sérénité.

L’aveugle à la voix d’or est-il un conte musical ? Peut-être pas pour l’instant. L’application Belin soutient la lecture du texte avec différentes musiques à base d’instruments à corde essentiellement. Le chant de la reine est interprété. On peut également entendre les baladins (en anglais) lorsqu’ils s’abritent sous le chêne et l’aveugle chanter a-capella avant d’intégrer la troupe. Mais il y a peu de moments de chant ou de musique purs. Le pouvoir de la voix prôné dans le conte est plus lu que décliné en musique.

L’aveugle à la voix d’or est un conte moderne et charmant qui véhicule des valeurs universelles telles que l’amour et la générosité. Le prince est un personnage original, tendre, beau et bon. Son don reflète une personnalité solaire attachante. Les lecteurs découvriront certainement avec beaucoup de plaisir son histoire soit en l’écoutant, soit en la lisant.

Pour prolonger la lecture

Pour écrire son album Maria Diaz s’est inspirée du conte « L’enfant et le renard » tiré du recueil Contes des sages musiciens de Jean-Jacques Fdida aux éditions du seuil

Des contes musicaux peuvent enrichir les représentations des enfants. Certains ont été mis en musique, d’autres ont été créés spécialement pour mettre en valeur la musique

  • Piccolo saxo et Cie André Popp – Livre avec un CD audio – L’Orchestre Nationale de Lille propose une représentation en ligne.
  • Pierre et le loup de Serge Prokofiev Eveil et Découvertes. La Philharmonie de Paris propose un dossier sur cette oeuvre.
  • L’apprenti sorcier de Paul Dukas est repris dans l’animation de Walt Disney, Fantasia.
  • La sorcière au placard à balais de Pierre Gripari, musique de Marcel Landowski Gallimard Jeunesse Musique proposé en ligne à l’écoute
  • La chèvre de Mr. Seguin d’Alphonse Daudet, compositeur Olivier Penard, Didier Jeunesse
  • On peut également noter une chanson d’Hugues Aufray, Le Joueur de pipeau (1966) qui reprend la légende du musicien de Hamelin

 

Nous avons eu le plaisir d’accueillir l’auteure, Maria Diaz, dans le cadre de rencontres pour le jury L.I.R.E Grouchy-Vallès 2022.  Des échanges et des partages riches en émotions !

 

Mise à jour, mai 2022