Patt le vantard
Auteur | Gilles Bizouerne |
---|---|
Illustratrice | Cécile Hudrisier |
Editeur | Didier jeunesse – 2021 |
Patt le lapin est un sacré vantard, toujours prêt à inventer des histoires.
Quand il aperçoit Renard à la sortie de l’école, Patt se cache… et Renard passe son chemin sans le voir. Mais dès que Patt croise un copain, il fanfaronne ! Il se vante d’avoir défié Renard, ajoute des détails croustillants et de plus en plus gros à chaque nouveau copain rencontré, s’imagine super-héros ratatineur de Renard… jusqu’à ce que ses mirifiques aventures arrivent aux oreilles de l’intéressé…
Alors Patt, toujours envie de raconter des histoires ?
Inspiré des cartoons et des super-héros, un album hilarant signé Gilles Bizouerne et Cécile Hudrisier !
Mots-clés : ruse, point-de-vue
Présentation générale
Patt est un lapin, mais aussi un fieffé vantard. Ayant aperçu le renard, il se cache prudemment derrière un buisson et le laisse passer. Mais il ne peut résister à l’envie de se donner le beau rôle et le voilà qui raconte à ses amis, la souris, le hérisson, la poule et l’écureuil des versions toujours plus fabuleuses de cette « rencontre », jusqu’à prétendre avoir rossé Renard et l’avoir contraint à demander grâce. Mais le renard entend parler de cette histoire et veut évidemment se venger de l’affront. Heureusement pour lui, Patt est également futé, et il parvient à faire croire au renard qu’un de ses congénères se cache dans le puits. Leurré par son reflet à l’aspect patibulaire, le renard se jette aussitôt au fond du puits. Patt se dépêche d’aller raconter son exploit à ses amis, mais surprise ! ceux-ci se montrent peu intéressés. « C’est tout ? » disent-ils « Rien d’extraordinaire, tu l’avais déjà vaincu à la bagarre… » Il ne reste plus à Patt qu’à peaufiner de nouvelles prouesses puisque la « vérité » n’intéresse personne…
Avec beaucoup d’humour, Gilles Bizouerne et Cécile Hudrisier s’emparent des fables animalières mais c’est pour mieux les dépoussiérer. Ils en tirent un album plein de malice et de bienveillance, qui rapproche la figure du lapin vantard de celle des conteurs, voire des auteurs, et interroge nos attentes de lecteurs. Une véritable « défense et illustration de la fanfaronnade » ! Et pour mieux rendre compte de ce glissement, ils ont eu l’excellente idée de représenter les galéjades de notre lapin par des illustrations « enfantines » dessinées aux feutres sur des feuilles de carnet, peuplées de lapins super-héros, remplies de « pif ! », de « paf ! », et de « boom ! », exactement comme si Patt crayonnait lui-même ses prouesses héroïques en bandes dessinées et les collait sur les pages du livre. Réalités (fictionnelles) et fictions (à l’intérieur de la fiction) cohabitent ainsi tout au long de l’album. Pourquoi faudrait-il donc arrêter « d’inventer des histoires » ? A leur manière, les affabulations de Patt, futur super-héros, redonnent du peps au lecteur, et accroissent le courage des « petits » face aux « grands » ou aux « caïds » ; et ça, c’est déjà beaucoup.
Un album réjouissant, ludique et cocasse, qui ne juge pas son personnage principal mais innocente les fanfaronnades, en tant que rêves enfantins de puissance portant en elles les germes du plaisir de lire et d’imaginer.
Analyse
Un conte animalier ingénieux qui débouche sur des questions étonnantes
Le récit amalgame astucieusement deux éléments typiques (et donc anciens) des contes animaliers, d’une part une randonnée accumulative souvent utilisée pour illustrer ou dénoncer le phénomène de la rumeur, qui gonfle au fur et à mesure des rencontres entre divers animaux (Cf. La Poule qui croyait que le ciel lui tombait sur la tête ou La Course). Ici,c’est l’amplification des fanfaronnadesque le personnage principal, Patt le lapin, raconte à ses amis, qui est décrite, et qui est en outre illustrée de façon originale par un amoncèlement de feuillets de carnet où sont crayonnées, sur un mode enfantin (silhouettes rapides, onomatopées, usage de feutres, etc.) toutes les avanies qu’il aurait fait subir au renard (1 feuillet, puis 2, puis 4…), feuillets qui semblent collés sur les pages de l’album. Ce dispositif plastique, qui se superpose aux illustrations plus classiques, fonctionne comme une sorte de monologue subjectif, puisqu’on comprend très vite que c’est Patt lui-même qui « dessine » ses aventures de plus en plus extraordinaires, en même temps qu’elles sont prises en charge par le texte à la troisième personne. Le lecteur a ainsi accès directement à la construction progressive des rêves de puissance du petit lapin.
Le deuxième élément de conte animalier est un motif traditionnel de fable, qu’on pourrait dénommer la ruse du reflet, où l’on voit Renard,furieux d’apprendre que Patt l’aurait battu et humilié (ou tout autre animal despotique, lion, tigre, etc.), se laisser berner par le lapin malin, et plonger tête la première dans un puits (ou un étang profond), parce que Patt lui a fait croire qu’un autre renard (ou lion, ou tigre, etc.), cherchant à le supplanter dans le quartier, y était caché (son reflet bien entendu, aux expressions agressives spéculaires, éléments narratifs qu’il sera bon d’expliciter par le dialogue avec les enfants, si nécessaire ; un marqueur de compréhension peut être de demander aux enfants combien il y a de renards dans l’histoire).
Ce qui donne sens à ce montage et lui confère son originalité savoureuse, c’est en tout premier lieu le fait que ce ne soit pas une rumeur,se propageant parce que chacun arrange ce qu’il a entendu, mais bien les galéjades croissantes d’un seul personnage qui font avancer la première partie du conte, mais c’est surtout la conclusion inattendue sur laquelle débouche sa deuxième partie, la ruse : quand Patt, tout fier, raconte à ses amis la « vérité », c’est-à-dire la façon dont il s’est débarrassé du renard, ceux-ci sont déçus. Quoi ? c’est tout ?, disent-ils en chœur. La vérité, d’un point de vue fictionnel, vaut donc moins que les affabulations, et la ruse paraît presque trop simple et plate à la souris, au hérisson, à la poule et à l’écureuil. Un éloge sous-jacent de la fiction et de ses outrances si délicieuses à entendre se construit ainsi, en même temps qu’une analyse des attentes des lecteurs ou des auditeurs des contes.
Un récit actualisé et une situation bien connue des jeunes enfants
Cet ancrage de l’album dans le riche terreau des contes et des fables, et cette réflexion plutôt originale sur les aspirations des jeunes lecteurs en termes de narration et de vraisemblance ne doivent cependant pas faire oublier l’actualisation que proposent également les illustrations. Avec son arrêt de bus couvert de graffitis où se retrouvent les animaux, ses références à l’école (cartables à roulettes, sacs à dos) et à la mode enfantine (blousons, casquettes, etc.), les illustrations de Cécile Hudrisier renvoient assez nettement à un univers contemporain, et à un espace reconnaissable : une petite ville en milieu rural (il faut bien légitimer l’indispensable puits, qui d’ailleurs jouxte l’école…) nécessitant un ramassage scolaire. On constate alors que si Patt et sa bande ont tous les attributs d’enfants de l’école primaire, Renard ressemble quant à lui à un « grand » (collège ou lycée), un de ceux qui font peur et parfois harcèlent les petits (voir la ritournelle qui légitime la fuite des petits animaux : « on ne sait jamais, si Renard revenait ? »). D’ailleurs, les rêveries de puissance de Patt, lisibles à travers ses croquis, inversent presque systématiquement les proportions, le Patt imaginaire devenant plus grand que le Renard. A la relation classique dans les contes animaliers de prédation, pas tout à fait disparue cependant (Renard évoque la possibilité de faire de l’écureuil son dîner), se superpose donc, par un effet d’anthropomorphisme, une relation plus humaine et bien connue des jeunes enfants, une relation de puissance et d’agression de la part des plus grands. En ce sens, lepouvoir actualisant des illustrations aide à interpréter la fable animalière de façon plus ouverte et plus personnelle, plus projective, ce qui suppose alors de s’interroger sur la vantardise de notre (super) héros Patt.
Un récit bienveillant
Dans de nombreux contes d’avertissement ou récits moraux, la vantardise ou les mensonges systématiques sont dénoncés (que l’on songe à la fable de l’enfant qui criait au loup). Or ce n’est pas le cas ici. D’abord parce que le héros est loin d’être bête, comme le prouve sa capacité à improviser un mensonge pour tromper le renard, et qu’il n’est pas non plus moqueur, ce que manifestent ses relations avec les autres petits animaux. Il reste tout au long de l’album un personnage attachant et sympathique. Ensuite parce que récit et illustrations concourent à innocenter les fanfaronnades de Patt, en présentant le héros et ses copains comme de jeunes enfants impuissants devant les grands, et en manifestant le rôle finalement sécurisant et bénéfique des rêveries héroïques et de la recréation fantasmée du réel. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la double page 16-17 où l’on voit Patt, pourtant sans public, les yeux fermés, imaginer pour lui seul, et avec quelle ferveur,les mille et une façons d’écrabouiller, découper, griller ou électrocuter Renard ! C’est la fonction cathartique des récits qui est ainsi mise en évidence mais aussi celle de ces rêves éveillés qui nous aident (ou nous ont aidés) à nous endormir.
A cet égard, on ne peut qu’être amusés et conquis par la façondont Cécile Hudrisier fait usage de la pop culture dans les croquis de Patt. Les super-héros, Captain Patt ou Ninja Patt, les couleurs flashy, les onomatopées de BD enrichissent de la sorte le sens du récit, ne serait-ce qu’en montrant à quel point nous aimons ces hyperboles et cette outrance épique, tout en modernisant les contes animaliers. Les mythes grecs (les travaux d’Hercule), les chevaliers tueurs de dragons, les héros de comics américains sont tour à tour convoqués, parce qu’ils disent tous, à leur façon, la même chose : que nous avons besoin de récits héroïquespour nous rassurer un peu, nous qui ne sommes que de faibles animaux bipèdes.
Menteur et conteur, un personnage devenu auteur
Est-il donc temps pour Patt de cesser d’inventer des histoires (expression par ailleurs plutôt polysémique : s’agit-il de mentir… ou de devenir créateur, conteur ou écrivain) ? Voilà la vraie question que pose l’album en conclusion, question ouverte à laquelle Patt répond évidemment par la négative et par un envahissement de croquis sur toute la dernière double page. Non seulement ses histoires peuvent sauver ses amis (après tout, Renard le dit lui-même : « J’allais faire [de l’écureuil] mon dîner, mais il m’a raconté une drôle d’histoire ») mais elles peuvent les émerveiller et, probablement, leur donner confiance en eux. C’est en tout cas ce que semble annoncer cette dernière double page, où Patt leur attribue à chacun un super pouvoir. Finis les animaux craintifset fuyants du début du conte, place à Moustachette et ses « moustaches de la mort » ou à Piqueboule et ses « boules de feu », en lutte contre le mal !
Au bout du compte (ou du conte), notre lapin se mue donc en conteur, comme l’annonçaient la dédicace (« A mes copains conteurs, une joyeuse bande de menteurs ») et surtout son invasion du paratexte de la page de titre, où Gilles Bizouerne et Cécile Hudrisiser se font voler la vedette, Patt devenant,à force de raturer et réécrire, le seul et unique auteur-illustrateur. La page de fin (qui n’est pas tout à fait la fin, puisque suit la présentation de la « bande de Patt », à qui appartient la « véritable » fin de l’album) le montre d’ailleurs en plein travail créatif, assis à son bureau, un crayon à la bouche, les feutres à portée de main, concentré et prêt à dessiner ses nouvelles et extraordinaires aventures.
Si comme les auteurs vous aimez les galéjades, les menteries, les fatrasies et autres fanfaronnades, n’hésitez pas, cet album plein d’humour, de tendresse et, osons le dire, de résilience, est pour vous, foi de Patt le vantard !
Septembre 2021