Red Lili
Auteur | Olivier Dupin |
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Illustrateur | Hervé Le Goff |
Editeur | Gautier Languereau – 2022 |
Si le Petit Chaperon rouge avait vécu au Far West, on l’aurait appelé Red Lili. Redécouvrez le célèbre conte revisité avec santiags, brownies et saloon. Et en guise de loup, un terrible brigand du nom de Mad Wolf. Une histoire hilarante, pleine de rebondissements et de coups de théâtre.
Présentation générale
Une petite fille tout de rouge vêtue qui doit porter un dessert à sa grand-mère et qui rencontre un méchant loup… Sans aucun doute il s’agit du Petit Chaperon rouge. Mais Red Lili est bien plus moderne que le chaperon du conte, et le contexte de son histoire est tout à fait particulier.
Red Lili est une petite fille énergique, volontaire, qui n’hésite pas à affronter le danger. Elle regarde le loup droit dans les yeux, elle lui répond sans ambages et elle se défend avec son lasso comme une vraie cow-girl. Une représentante du «girl power» à elle seule ! Son effronterie et sa ténacité sont sources de nombreux gags visuels et linguistiques qui font rire et devraient ravir les lecteurs tant filles que garçons car, comme on le sait, c’est toujours le-a plus petit-e qui gagne !
Le contexte « western » est totalement assumé. Entre les tenues vestimentaires qui mettent en avant les santiags et le stetson, la ville désertée, le saloon, le désert et les canyons, le lecteur est plongé au cœur de la découverte du grand Ouest américain à la grande époque. On s’y croirait ! Quelques excentricités totalement gratuites relativisent néanmoins la véracité de l’environnement comme le ventilateur électrique de la grand-mère. Mais dans le genre merveilleux tout est possible !
Voilà donc une parodie de conte mêlée à une parodie de western dans la joie et la bonne humeur d’une héroïne qui n’a peur de rien. Des illustrations aux couleurs chaudes, un texte plein de sous-entendus. Un album très réussi.
Nos commentaires
Parodier un conte nécessite de s’ancrer dans le récit d’origine pour construire une narration crédible. On retrouve donc dans l’histoire de nombreux éléments connus tels que la proposition des deux chemins pour rejoindre la demeure de la grand-mère, le baguenaudage de la petite fille lors de son déplacement et l’empressement du loup, la découverte du loup déguisé dans le lit de la grand-mère… Mais ici Red Lili, la doublure du Petit Chaperon rouge , n’a rien à voir avec le chaperon du conte. Elle est habillée de rouge mais elle n’est pas naïve. Elle est à l’affût du loup et l’identifie de suite comme le méchant. Elle se méfie. Elle ne se laisse pas berner comme sa grand-mère quand elle trouve le loup alité même si elle va dans le sens de son aïeule. De ce fait elle réagit très rapidement lors de l’attaque du loup et de son équipe. Elle est tout de suite prête à sortir son lasso pour se défendre. Cette modification du caractère du personnage principal annihile totalement les effets attendus du conte initial. Il ne s’agit plus d’un conte effrayant, d’un conte qui, comme le dit la morale de Charles Perrault, met en garde les jeunes filles contre les jeunes loups. Il s’agit plutôt de valoriser les qualités d’une petite fille fonceuse à qui «on ne la fait pas». Philippe Corentin avait déjà mis en scène sa Mademoiselle Sauve-Qui-Peut, une Petite Chaperon rouge totalement délurée. C’est au tour d’Olivier Dupin et Hervé Le Goff de mettre en action Red Lili, la fille qui fait sa loi, la future shérif-e du village ! Même s’il est toujours réjouissant de valoriser les ardeurs d’une petite héroïne, on veillera à ce que le lecteur connaisse déjà le conte initial. Il comprendra et appréciera d’autant plus la nouvelle interprétation du personnage.
A y réfléchir nous nous interrogeons sur les connaissances du far-west par des jeunes lecteurs . Quelle approche ont-ils du genre western dont ils ignorent certainement la filmographie ? Nous avions déjà croisé Jenny la cow-boy qui jouait avec son cheval de bois et ses revolvers dans sa chambre. L’univers décrit était réduit. Ici les codes sont très larges mais en même temps ils sont faciles à repérer grâce aux illustrations en pleine page qui donnent du sens à chaque élément.
Les jaunes, rouges, ocres mettent en valeur la chaleur, l’aridité du lieu de vie extérieur. Le village abandonné digne d’un bon film avec John Ford suggère tout de suite le danger avec ses portes entrouvertes, ses vitres brisées, la posture de Lili au loin, toute petite, les deux bras écartés, son ombre étirée. Les intérieurs des maisons ne sont pas vraiment dépaysants. Le design des tables et chaises fait bel et bien penser à la période concernée. Les quelques plumes qui traînent font peut-être référence à une parenté indienne. Mais la commode, la porte d’entrée, le lustre et le ventilateur de la grand-mère sont bien de notre époque.
Les personnages sont habillés en cow-boy, un costume que les enfants connaissent bien notamment depuis l’animation Toys Story. Le loup est un vrai méchant. Malgré son brin d’herbe dans la bouche à la Lucky Luke, son museau surdimensionné, son œil allongé, son sourire sadique laissant découvrir des dents trop apparentes, ses griffes pointues ne laissent aucun doute sur ses intentions.
Le genre western implique des conflits ouverts plus ou moins violents qui se règlent à coups de poing au mieux, le plus souvent à coups de revolver. Même si le lecteur peut s’inquiéter pour Lili Red qui charge ses revolvers avant de partir chez sa grand-mère, il est rassuré au fil du récit car aucune arme à feu n’est utilisée. C’est le lasso que choisit Lili pour se débarrasser du loup, un objet beaucoup moins définitif qui demande habileté et maîtrise. Cependant l’opposition entre la petite fille et le loup est bien réelle comme en témoignent leurs regards à la Robert Redford.
L’illustration est vraiment efficace. Tout est fait pour que le lecteur entre facilement dans cette histoire d’une gentille contre des méchants, d’une petite face à des grands, d’une cow-girl maline et courageuse. On imagine aisément l’adaptation de l’album en dessin animé avec son lot de bruitages et d’onomatopées !
Le texte en lui-même n’est pas si simple. Outre la variété du registre de langage («détrousseurs de diligence » mais aussi « vachement », « cramé »), le lexique spécifique du western (le saloon, les santiags, les mustangs…) et les termes anglais (Rocky Desert, Granny, Mad Wolf, un look), la narration n’est pas continue.
Au début elle oscille entre narration externe, réflexions personnelles de l’auteur «Je préfère ne pas en dire plus…», explications de textes («En anglais kid signifie enfants. Par contre kidette n’est pas du tout le féminin de kid.») , suggestions de l’auteur (Si vous avez peur, les enfants, refermez vite ce livre. Sinon tournez la page »). Sans aucun doute l’adulte repérera de nombreux sous-entendus humoristiques que l’enfant ne percevra pas. A l’inverse, l’enfant s’amusera certainement des ruptures de lecture qui permettent de générer une connivence avec celui qui lit oralement et d’ouvrir à des échanges en tout genre.
Il y a peu d’apartés dans la deuxième partie du récit. C’est l’action qui domine, toujours avec quelques dérives humoristiques. L’expression de la naïveté de la grand-mère qui pense que Mad Wolf fait une blague puis invite des amis pour manger le brownie est explicite, comme la pensée de Lili («En gros, Granny n’avait rien compris, alors que Lili, si! Ce filou de Mad Wolf avait fait venir des complices pour détrousser sa grand-mère, et Lili avec.»). On notera cependant que le loup n’exprime jamais son envie de nuire à Lili et sa grand-mère, est-il vraiment si féroce ? Dans les dernières scènes d’action le texte permet de suivre chronologiquement les événements pendant que l’illustration fait un focus sur les temps forts : la première attaque au lasso et le résultat de la deuxième attaque, à savoir le loup qui tournoie, embroché dans la pale de ventilateur. Une atmosphère de véritable bagarre !
Red Lili est un album piquant, très drôle, qui met en valeur une héroïne au caractère trempé ! Une aventure dépaysante et pleine de surprises !
Pour prolonger la lecture
Une cow-girl en colère |
Un Chaperon Rouge très déluré ! |
Mise en ligne en novembre 2022