Le ciel de Samir
Auteure | marie Desplechin |
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Editeur | Ecole des loisirs / Neuf poche – 2022 |
C’est terrible, ce qui arrive à Samir. Nadia, la meilleure voyante de la Cité de la Victorine, lui a tiré les cartes. Elle lui a prédit qu’avant six mois il aurait risqué sa vie pour sauver un ami et serait devenu un héros.
Certains seraient très satisfaits à la perspective d’un avenir aussi brillant, mais Samir, le silencieux et timide Samir, ne se voit pas en héros.
Il décide de tout mettre en oeuvre pour que la prédiction de Nadia ne puisse pas se réaliser. Pour commencer, il lui faut absolument fuir ses amis.
Mais peut-on vraiment échapper à son destin ?
Mots-clés : amitié, courage, destin, nature-écologie
Présentation générale
Samir vit dans un quartier excentré d’Amiens, à la cité de la Victorine qui a poussé au bord des étangs de Thiais. Il est en CM2. C’est un garçon au physique pas terrible et dont la vie n’est pas palpitante. Mais il s’en contente. Il est lent, silencieux et timide, pas follement passionné par l’école. Il n’a pas vraiment d’amis dans la cité. Pas du tout confiance en lui. Peu d’ambition : être plus tard concierge de la Victorine lui irait bien. Secrètement, il possède malgré tout en lui une intense vie intérieure.
Quand chez son copain Mourad, Nadia, la célèbre voyante de la cité, lui tire les cartes, il est mort de trouille. Elle lui prédit que dans six mois, il risquera sa vie pour un ami, il deviendra un héros et il y aura même une jeune fille à ses côtés…Il ne veut rien de tout cela. Etre un héros lui fait bien trop peur et pas question de risquer sa vie pour qui que ce soit. Il va tout mettre en œuvre pour échapper à ce destin qu’on lui promet. En commençant par fuir ses copains de la cité.
Dans la solitude qu’il recherche pour se protéger, Samir va cependant construire trois belles relations d’amitié. Sans le vouloir, dans les mois qui suivent la prédiction de Nadia, il va marcher vers ce destin qu’on lui a annoncé et mettre en œuvre malgré lui les conditions de sa réalisation.
Il y a monsieur Verstraete, un vieil homme qui vient cultiver un des jardins ouvriers qu’il y a près des étangs. Samir aime le regarder faire pousser ses fleurs et ses légumes ; monsieur Verstraete, lui, aime la présence calme et attentive du jeune garçon dans son jardin. Il y a Céline, la petite voisine, dont les parents sont séparés et qui ne voit plus sa maman. Samir, à sa manière, la console quand son chagrin est trop grand. Et puis il y a Marc Akimbele, un jeune homme sourd, passionné d’ornithologie, que Samir rencontre au bord des étangs où Marc vient observer les oiseaux. Grâce à lui, Samir va commencer à regarder son environnement d’un autre œil. Marc lui prête son guide sur les oiseaux et c’est le premier livre que Samir a envie de lire. Il lui confie une paire de jumelles et lui propose de prendre en note ses observations sur les oiseaux migrateurs. Samir commence à se passionner pour le monde du vivant et à fréquenter la bibliothèque. Cela va totalement modifier son rapport à l’école et le regard du maître sur lui. Samir se sent enfin heureux auprès de son trio d’amis.
Jusqu’au jour où, juste six mois après le tirage des cartes, Samir, poussé par une force invisible, sauve in extremis la vie de Marc qui allait se faire attaquer par une sorte de Pitbull dressé à l’attaque par Manuel, un grand de la cité pas bien intelligent. Marc est sain et sauf ; Samir, blessé, s’en sort avec un séjour à l’hôpital et un plâtre. Il est devenu le héros médaillé de la cité. La nouvelle association d’ornithologie le fait vice-président d’honneur. Et il passe en sixième… Monsieur Verstraete l’emmène en voiture découvrir la mer avec Marc et Céline. L’horizon est radieux.
Samir n’a pas échappé à son destin. Et c’est tant mieux !
Nos commentaires
Avec ce court roman, l’Ecole des Loisirs réédite Le ciel de Samir (titré en 1997 La prédiction de Nadia) alors que sort en 2022 Pour Lily, le troisième titre de cette série sous-titrée Quartier sensible. Le deuxième tome, Babyface, est sorti, lui, en 2010. Le titre du premier tome dont il est question ici a donc été modifié et cela attire notre attention, car cette notion de « destin » qui conduit le récit et qui est présent dès la 4ème de couverture (Mais peut-on vraiment échapper à son destin ?) nous a interrogés.
Il y a le destin pensé comme une fatalité imposée par des éléments extérieurs ;le « mektoub » des Musulmans qui serait fixé par Dieu (et la pensée de Dieu n’est pas étrangère à Samir, voir les premières pages du livre). Il y a aussi la possibilité que l’on aurait d’être « l’artisan de son destin », ce qui nous semble bien au bout du compte être ce qui arrive à Samir, même s’il se sent poussé par une force invisible au moment d’affronter le chien. En fait, chacun pourra y entendre ce qu’il veut, en fonction de sa conception de l’existence humaine ! Nadia la cartomancienne a une réelle importance dans la cité de la Victorine, on se presse auprès d’elle pour se faire prédire l’avenir, elle a un vrai rôle social dans le petit monde de Samir et lui, il y croit, comme les autres. Le roman va se construire autour de cette prédiction. D’où le titre du premier tirage. Il va tenter de s’y soustraire. Il n’y parviendra pas. Fort heureusement d’ailleurs puisque certes il est sacré « héros » de sa cité, il est enfin devenu « visible », mais surtout il est transformé : Il passe en 6ème, il s’est fait de vrais amis, il s’est ouvert à la lecture, à l’ornithologie, il a d’autres ambitions que celle de devenir concierge de la Victorine ; grâce à Marc, sorte de grand frère adoptif et de modèle, il rêve d’entrer plus tard à la fac pour étudier la biologie. Et on sent qu’il le fera. Alors, ne pas échapper à un tel destin, tant mieux.
Le deuxième titre donné au roman nous semble donc mieux approprié à la pluralité des philosophies de la vie. Samir pense que la prédiction de Nadia s’est réalisée malgré lui. Nous imaginons, nous, que si le ciel de Samir s’ouvre à la fin pour de nouveaux envols, c’est pour une part dû au hasard sans doute, et pour une autre part dû aux qualités secrètes de ce garçon, à son attention aux autres, à son sens de l’amitié, à la richesse de sa vie intérieure, à son courage, sa générosité, sa sensibilité. Aussi à ce que la prédiction a bouleversé en lui. Il lui fallait rencontrer quelqu’un qui souffle sur toutes ces petites braises, ce que n’a pas su faire le maître d’école, ce que fait Marc Akimbele. Le ciel s’est ouvert. C’est cela qui est important.
Par le biais d’une association, Marie Desplechin a travaillé longtemps au cœur d’une cité d’Amiens pour venir en aide aux enfants en difficulté de lecture. On sent dans ce roman qu’elle connait très bien le milieu dont elle parle. On y est en parfaite immersion. Loin d’une vision noire et désespérée sur les « quartiers » de mauvaise réputation. Loin aussi de l’angélisme. Leciel de Samir raconte la vie dans cette cité de la Victorine sans aucun préjugé, sans aucun stéréotype. Et nous avons beaucoup apprécié cette mesure, cette délicatesse dans le regard.
Tout n’est pas rose à la Victorine. Bien sûr. Samir se fait « gentiment » harceler par la bande de Mourad, Kévin, Jérôme, Manuel et son chien. Les « grands » qui traînent dans les cours sont gentils mais mieux valait les fuir. On a quand même trouvé un jour un couteau avec du sang sur le chemin qui mène aux étangs. Le jardin de M.Verstraete est un jour vandalisé et cambriolé. Mais les petits n’ont pas intérêt à balancer les grands. Manuel terrorise tout le monde y compris ses parents avec son molosse dressé à l’attaque…Mais Marie Desplechin ne force pas le trait dans le sombre et c’est très bien, le roman s’adressant à de jeunes lecteurs. Nous sommes à hauteur d’un enfant de CM2, cet âge de la pré adolescence que l’autrice dit beaucoup aimer parce qu’il est encore celui de tous les possibles, avant « l’âge bête » et que l’amitié y a un rôle prépondérant.
La cité aux yeux de Samir c’est aussi (surtout) sa famille, l’hospitalité de sa mère quand elle accueille un soir la petite Céline ravagée par le délaissement maternel ; c’est cette langue, l’arabe, qui rappelle le cocon de l’enfance ; c’est son père qui travaille dans un atelier de réparation des Chemins de Fer et dont il est très fier. C’est l’univers sonore de la cité, les mères qui appellent les enfants par la fenêtre, les youyous qui accueillent Samir quand il rentre de l’hôpital. C’est l’entraide et la solidarité quand elles sont nécessaires. Comme le dit Samir : Même les durs n’ont pas un cœur de pierre. Le Manuel pas bien malin va même exprimer des regrets pour avoir provoqué l’accident et il acceptera que l’on pique son chien.
La fin du livre est très belle. Un soleil magnifique montait sur les étangs, enchâssant la Victorine d’un écrin de lumière d’or. Une sorte d’apothéose de l’amitié, de cette « famille adoptive » qui réunit autour de Samir trois personnes qui ont chacune un deuil à surmonter, Marc la mort de son père, M.Verstraete celle de sa femme, Céline le renoncement à une mère présente. A Samir il ne manquait personne, il est de ce groupe amical le gardien discret et vigilant.
En sauvant Marc, Samir se sauve lui-même. Héros de la cité après avoir été jugé snob parce qu’un temps il semblait trahir les copains. En même temps mûr pour s’ouvrir à autre chose, à un autre monde, à ne pas rester enfermé là où il est né. Une belle échappée vers la mer et un ciel rempli d’oiseaux !
En conclusion, un roman court (cinq chapitres), une jolie illustration de couverture qui dit déjà beaucoup de choses. Le portrait d’un garçon sensible, attachant, qui finit par se trouver en profonde adéquation avec son « destin ». Un grand optimisme qui fait du livre quelque chose de lumineux et d’apaisé.
On n’est jamais tout seul dans un quartier est la devise de cette série écrite par Marie Desplechin.
Pour compléter la série