Le jour le plus long

Le jour le plus long
Auteur - Illustrateur

Ronan Badel

Editeur

Sarbacane – 2024

C’est le premier jour de l’été. Ce matin, Charles a dix ans et son grand-père lui offre un lance-pierres – celui de quand il était cow-boy, songe le garçon en baissant son chapeau sur ses yeux. Toute la journée, il s’entraîne : l’arrosoir, le séchoir à linge… Raté, toujours raté. Jusqu’au soir où, dépité, il tente un dernier tir. Cette fois, un oiseau tombe comme une pierre. Charles s’approche, le cœur battant : une mésange, et qui ne fait pas semblant de dormir. Charles a dix ans ; pourtant, près de l’arbre où il a creusé une tombe et un trou pour le lance-pierres, il se sent tout petit.
L’été a passé. Ce matin, Charles a décidé de dessiner des oiseaux. C’est difficile, ils bougent tout le temps. Raté, encore raté. Et puis une mésange toque au carreau. Elle pose, Charles s’applique, termine son dessin, le présente à l’oiseau… et la mésange s’envole. Charles est heureux.

Mots-clés : deuil, arts

Nos commentaires

Charles a dix ans. Il se sent grand et presque invincible. Cette journée va être pour lui un passage important qui le fera grandir. Elle est proposée en deux parties :

  • Un début joyeux et plein de promesses autour de son anniversaire. Son grand-père lui offre un lance-pierres et lui fait une brillante démonstration de son habileté à toucher les objets qu’il souhaite grâce aux gravillons lancés avec cet engin. Charles en est sûr, son grand-père était auparavant un cow-boy. Et voilà tout son univers qui se transforme en Far-West. Il met le chapeau de son grand-père, s’arme de son lance-pierre et devient Jimmy Beauregard, « le cow-boy qui ne rate jamais sa cible ».Les illustrations nous plongent aussitôt dans cet univers : les champs deviennent plaines immenses, les reliefs des montagnes de rochers rouges et le petit train qui passe crache de la fumée. Pour être raccord avec ce cadre, Charles se doit de toucher toutes ses cibles. Mais cela ne marche pas comme prévu : Il a beau tout essayer, ses pierres n’arrivent jamais où il veut les lancer. Il a besoin de forces, c’est sûr. Mais même après un bon repas, le cow-boy ne touche rien ! On peut imaginer sa déception de n’avoir pas su être à la hauteur de son grand-père et de se voir ressembler davantage à un clown qu’à un bon chasseur de l’Ouest. La joie fait place à la désillusion…jusqu’à ce qu’il voie des feuilles bouger dans le cerisier. C’est sûr, il va y arriver ! Et avec son dernier caillou, il tente un dernier tir…..Un oiseau tombe à ses pieds, mort.
  • Et là, une rupture brutale se crée. Charles comprend très vite qu’il a tué l’oiseau, qu’il est responsable de son acte et que rien ne pourra redonner la vie à cet animal. C’est un choc émotionnel qui annule toute sa joie précédente et le laisse avec un cœur qui bat trop fort et des jambes qu’il ne sent plus. « Le jour le plus long est terminé, Charles a dix ans, c’est un grand maintenant. Pourtant, debout, sous lesbranches, entre chien et loup, il ne s’est jamais senti si petit ». C’est la découverte de l’irréversibilité de son acte et de sa responsabilité. Il va tourner la page de cette expérience en enterrant, seul, au pied du cerisier, à la fois la mésange morte et son lance-pierre. Il n’y touchera plus….
  • La deuxième partie va commencer. Charles oublie le cow-boy qu’il a voulu être et se tourne vers ses autres cadeaux d’anniversaire. Il devient champion du monde de football avec son nouveau ballon, il construit un nichoir à oiseaux avec sa boîte à outils et il étrenne son matériel de peinture. Il décide, comme une réparation à son acte funeste, de dessiner un oiseau, activité nettement plus pacifique. Mais celle-ci va se montrer également plus compliquée qu’il ne le pensait. Il se trouve confronté au vivant, des oiseaux qui bougent, qui changent constamment de place et qu’il n’arrive pas à « croquer ». Encore une désillusion…jusqu’à ce qu’une petite mésange, semblable à celle qu’il a involontairement tuée, se pose sur le rebord de sa fenêtre et lui permet de la dessiner calmement. Le voilà redevenu plus serein et heureux, réconcilié avec les oiseaux et lui-même.

Tout au long de cette très belle histoire qui se déroule au cours d’une même journée, dans le même lieu (la maison et le jardin) et avec le même personnage, comme une tragédie antique, Charles découvre des émotions fortes qui le font grandir.
Au niveau des enfants, elle permet d’évoquer le pouvoir des armes, et les conséquences de ses actes. Il ne s’agit plus de jeux vidéo dans lesquels les personnages touchés se relèvent sans avoir été tués. C’est la VRAIE vie, et l’auteur est particulièrement juste dans les émotions qu’il décrit et la sensibilité de l’enfant, surpris lui-même par son propre geste dont il n’avait pas anticipé la conséquence.
Les alternatives qu’il propose, la construction d’un nichoir comme réparation de son geste, puis la contemplation et l’Art comme prise de possession raisonnée du vivant, amèneront les lecteurs à se poser des questions sur leur propre attitude face à l’environnement et la vie.

Notre avis

C’est un très bel album, empreint de nostalgie et de calme, plein de charme et de douceur traduits par des aquarelles aux couleurs tendres comme l’enfance. Même l’écriture du texte reprend la cursive un peu maladroite de l’écolier pour traduire les paroles et les pensées de Charles et lire ce récit comme une expérience difficile mais constructive de sa personne.
Si les parents sont complètement absents, la relation avec le grand-père est joliment rendue et sa position à la fois d’accompagnateur et de modèle semble importante pour l’enfant.
Une histoire grave mais sensible qui touchera sûrement les jeunes lecteurs.