A l’écoute

Auteur | Thomas Gornet |
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Editeur | Rouergue-2024 |
« Je m’appelle Ylies, j’ai neuf ans.Je l’ai déjà dit, je crois, mais j’ai absolument pas envie de réécouter ce que j’enregistre. Je déteste ma voix. »
Ilyes a un gros problème. Les adultes parlent « d’addictions aux écrans ». Pour qu’il réapprenne à se « socialiser », direction le psy et plus de téléphone jusqu’à nouvel ordre. S’il veut un jour retrouver son iPhone chéri doudou, cela dépendra d’une seule condition : se faire un copain et l’inviter à dormir chez lui…et enregistrer ses progrès dans son journal audio. Ilyes n’a plus le choix, il doit à tout prix se faire un ami !
Et… pourquoi pas une amie ?
Mots-clés : amitié, différence, école-collège, émotions, famille, fille-garçon, addiction
Présentation générale
Ylies n’a pas le choix. S’il veut récupérer son iPhone dont il est trop dépendant et qui le rend asocial d’après ses parents, il doit accepter une double peine. Il doit consulter un psychologue et obéir à son défi : enregistrer sur le vieux portable de son père le compte rendu de ses progrès ; et surtout, se faire un ami et l’inviter à dormir chez lui. Ylies au début enregistre à contre-cœur et ne trouve pas grand-chose d’intéressant à raconter. Ses séances chez le psy sont tendues, il y va à reculons et ne cache pas son hostilité. Il est invité un soir chez Boulmir qui est dans la même classe que lui. Il y voit un espoir : si ça marche, il invitera Boulmir à son tour chez lui et le défi sera enfin relevé. Hélas l’invitation se passe mal pour lui, Boulmir est un fan d’Harry Potter et Ylies n’a pas du tout envie de jouer à l’école des sorciers toute la soirée…Bref, ça s’annonce mal…
Jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle élève dans la classe, Olia, et de son AESH, Florence, adepte des sudokus…Olia est particulière, différente des autres enfants. Elle reste à l’écart, ne parle pas, regarde tout le temps des images sur son téléphone et semble absente du monde qui l’entoure, tout en ayant manifestement de bonnes compétences scolaires par ailleurs. Nous dirons qu’elle présente des troubles autistiques évidents.
Un peu par hasard au début, par curiosité, Ylies va porter son regard sur Olia. Petit à petit il s’intéresse à elle, alors que les autres élèves l’ignorent et la fuient. Lors d’une très jolie scène de travaux manuels, de poterie exactement, il se retrouve à travailler à côté d’elle, il fabrique un igloo et, à la stupéfaction générale, Olia sculpte un ours polaire et un petit Esquimau parfaitement réussis. C’est apparemment la première fois qu’Olia montre un tel talent. Même si elle ne manifeste rien, même si elle reste sans expression, quelque chose d’important a eu lieu. Grâce à Ylies le regard de l’enseignante et des autres enfants sur Olia va se trouver modifié.
L’attention qu’Ylies lui porte, en classe, à la cantine, dans la cour, avec une intuition très fine de ce qui peut créer du lien entre eux, va transformer Olia et lui permettre, à sa manière, de s’ouvrir au monde qui l’entoure. L’horizon d’Ylies s’éclaircit par la même occasion. Les enregistrements qu’il s’est engagé à faire s’enrichissent et se libèrent de la contrainte. Tout arrive en même temps : Boulmir s’excuse de l’avoir assommé avec Harry Potter et promet qu’il ne le fera plus. Ylies l’invite alors chez lui. Il voit là le signe que son défi pourra enfin être honoré. Ce qu’il n’avait pas prévu c’est que la mère d’Olia, prévenue par la maîtresse des progrès inattendus de sa fille grâce à lui, lui demande de l’inviter elle aussi. Et là, ce sera la super soirée…Une vraie soirée entre nouveaux amis où chacun trouvera sa place. Une belle histoire d’amitié s’annonce et Ylies, un temps, ne pensera même plus au défi qu’il devait relever : J’avais oublié d’enregistrer la preuve. Le Ylies du début n’est plus le même qu’à la fin, ses enregistrements en témoignent et pour la première fois ce n’est pas à reculons qu’il se rend chez le psy pour boucler la thérapie…
Notre avis
Thomas Gornet est écrivain pour la jeunesse mais aussi comédien, impliqué dans la direction artistique théâtrale et il écrit aussi pour la scène. D’où sans doute le côté très « vivant », très « parlé » de son écriture dans ce roman, que nous avons découvert avec beaucoup de plaisir. A l’origine de A l’écoute, il y avait une commande d’écriture par le directeur du théâtre L’éclat à Pont-Audemer pour la création d’un podcast jeunesse, « Studio Panache ». Les textes étaient destinés à être ensuite mis en son. Thomas Gornet n’a pas eu envie d’un livre audio qui serait lu. Il a préféré l’idée que ce soit un enfant qui parle et qu’on écoute. Il a alors cherché quelle pourrait être la raison pour qu’un garçon s’exprime dans un micro et s’enregistre. Et il a imaginé un enfant renfermé sur lui-même et qu’on adresse à un psychologue. Il explique que la thématique est arrivée bien après la forme et que l’écriture du roman n’a pas du tout été motivée au départ par l’envie de dénoncer le danger de la surconsommation des écrans. Voir son interview sur le site de la mare aux mots.
Et c’est d’abord cette forme originale du roman qui nous a séduits : nous y sommes certes lecteurs mais transformés en auditeur…Nous y sommes « à l’écoute » d’Ylies. De la même manière qu’Ylies au fur et à mesure de ce journal intime enregistré et imposé va se révéler de plus en plus « à l’écoute » de lui-même(Je crois que j’ai rougi. Je ne sais pas trop pourquoi), à l’écoute des autres, de Boulmir, d’Olia. Boulmir, lui, grâce aux remarques de sa mère, va faire l’effort d’être moins centré sur ses intérêts et davantage « à l’écoute » de son copain. Il y a bien sûr aussi l’écoute, très particulière, du psy, celle des parents…Celle des autres élèves de la classe qui vont cesser de considérer Ylies et Olia comme des zinzins. Le titre est donc déjà tout un programme…Comme le dit l’auteur, Ylies a réussi à ouvrir une petite porte sur autre chose que son petit monde.
L’écriture qui joue sur l’oralité est parfaitement maîtrisée et crédible, on y entend la voix hésitante et peu motivée d’Ylies au début, puis peu à peu son discours s’enrichit, s’ouvre, se précise, se nuance, on suit ses progrès et cela résonne très juste. On est vraiment dans la tête d’Ylies.
On « entend » également des bruits, celui de la pluie qui rythme l’ennui du début, les interventions comiques de la petite sœur Esther, le chat qui ronronne, la voix des parents, la vie de la famille en arrière-plan : On mange ! Ylies, on va pas le dire quinze fois…Tout en subtilité, le texte se lit très facilement Et on y croit. Thomas Gornet explique que lorsqu’il écrit, il convoque son état enfantin. Le rythme de l’écriture, les alternances de longueur du texte selon les jours faciliteront la lecture et le côté oral sera parlant pour les jeunes lecteurs.
Les autres personnages du roman que l’on découvre parce qu’en raconte Ylies sont tous attachants et intéressants : Olia, si peu accessible puis qui s’ouvre à sa manière ; Boulmir qui cherche le chemin de l’amitié ; les parents attentifs qui tâtonnent parfois mais qui ne lâchent rien ; le psy, original et finalement efficace dans ses propositions ; l’enseignante sous le regard sans concession d’Ylies mais finalement attentive à ce qui se passe entre ses élèves…Tous sont humains et donc…imparfaits mais tous sont extrêmement vivants et réalistes dans la complexité de leur évolution au cours de l’histoire.
Il y a sur l’ensemble du livre quelque chose de direct mais de profond. Pas de « morale » assénée, pas d’explications pesantes non plus mais c’est efficace et subtil. Thomas Gornet se dit attiré par les personnages classifiés « différents ». Il se met dans la peau d’Ylies que les adultes jugent asocial et qui va découvrir en Olia quelqu’un d’encore plus enfermé en elle-même que lui. Pour l’auteur, il n’y a là rien de plus intrigant. Et c’est ce qui va attirer le regard d‘Ylies.
Belle histoire d’éveil à l’amitié ou comment s’ouvrir aux autres et à leurs différences, le livre a aussi pour sujet le rapport des enfants aux écrans, aux téléphones portables, même si ce n’était pas au départ la motivation de l’auteur.
Là encore, le message n’est pas moralisateur. L’outil de la thérapie reste un téléphone, même si vieux, même si limité… A la fin du livre, Ylies explique au psy qu’avec Olia ils allaient avec leurs téléphones s’envoyer des photos et peut-être aussi s’écrire : Tout un coup, j’ai plus du tout envie de récupérer mon téléphone. Enfin. Si. Mais pas comme avant, quoi. Enfin, ce que je veux dire c’est qu’Olia était plus importante que mon téléphone. Le rapport au téléphone n’est pas coupé ni interdit mais dans la tête d’Ylies il a changé de sens. Ce n’est plus un enfermement mais un moyen d’échange, de partage, d’attention aux autres. Et l’important est là.
De l’humour également dans ce petit roman, dans ce regard de petit garçon sur les adultes qui l’entourent, fiables au bout du compte, sur sa famille, et sur lui-même : Ils sont pas si bêtes , mes parents, en fait.
La dernière page, le message d’Olia supprimé et retrouvé par le psy, est émouvante et pleine de tendresse.
Etre sociable, c’est beaucoup ça : être à l’écoute des autres. Et c’est ce que je suis, apparemment. A l’écoute, nous dit Ilyes.
On est partis pour une sacrée histoire d’amitié !