À l’oreille heureuse

Auteur | Didier Lévy |
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Illustrateur | Stéphane Poulain |
Editeur | Sarbacane – 2024 |
Cybèle, la petite oursonne, a trouvé une boîte à musique dans la forêt et depuis, elle ne se lasse pas de sa douce mélodie. Mais un matin, la mécanique s’enraye. La petite oursonne quitte sa montagne pour aller faire réparer sa boîte en ville. Elle découvre alors que l’atelier est fermé…
Mots-clés : relation adultes-enfants, destin , fable
Notre présentation
La quatrième de couverture laisse planer un mystère sur l’avenir de l’atelier. Le résumé proposé par la maison d’édition lève tout de suite le doute sur l’issue attendue. La (l’oursonne) voici devant la maison de la vieille Paulina, une tortue, qui n’y voit plus assez pour réparer quoi que ce soit. Mais comme à deux, on peut accomplir de grandes choses, Paulina donne ses instructions – et Cybèle n’a qu’à les suivre ! Ensemble, elles redonnent vie non seulement à la petite boîte mais bientôt, à l’atelier tout entier, où se pressent de nouveau les clients.
Il s’agit donc d’une rencontre, d’une amitié, d’une passation et de la réhabilitation d’une activité professionnelle oubliée pour le plus grand plaisir des usagers.
Le thème est original, les personnages sont attachants. Les très belles illustrations plongent le lecteur dans une ambiance un peu surannée tout à fait charmante. Il y a beaucoup de douceur et de tendresse dans ce récit presque intemporel. Une jolie histoire de transmission et de partage dans un esprit de solidarité.
Nos commentaires
Une boîte à musique, un orgue de barbarie, un gramophone… qui connaît encore ces instruments de musique mécaniques d’un autre temps, d’une autre époque ? Les lecteurs les plus âgés (les grands-parents sans doute) auront le souvenir de la découverte d’un coffret qui, une fois ouvert, présente un petit personnage dansant sur une musique inoubliable. Ou ils se souviendront avoir joué avec un petit boitier à manivelle composé de différentes réglettes métalliques. Le manipulateur devenait un chef d’orchestre s’essayant sur des rythmes endiablés en tournant la manivelle le plus rapidement possible ou sur des longs silences quand il écoutait le son produit par les réglettes les unes après les autres. Les jeunes lecteurs connaissent peu ces objets. Ils auront peut-être manipulé une boîte cylindrique métallique ou observé un carrousel musical aimanté, mais ce n’est pas sûr. Ils pourraient être désintéressés, rester distants, ne pas s’impliquer dans l’histoire. Pourtant la boîte à musique nous semble un objet bien choisi comme point de départ. Il s’agit tout d’abord d’une découverte, pour la petite oursonne comme pour n’importe quel enfant. Comme dans les 7 souris dans le noir de Ed Young, Cybèle enrichit son approche d’une chose mystérieuse. Elle voit la boîte, elle la manipule, elle entend la musique, elle observe son mécanisme, elle agit sur lui. C’est un apprentissage. De plus cet instrument possède une véritable histoire, il est un témoignage direct des avancées technologies des XVIIIème et XIXème siècles. Il représente à lui seul quatre ou cinq générations et il porte en lui une valeur forte de transmission. Pour finir l’objet est atypique. Il est décliné sous différentes formes, différentes tailles, dépouillé ou grandement décoré. Il fonctionne de multiples façons, avec une manivelle verticale ou horizontale, avec des lames métalliques ou du papier perforé. Les boîtes à musique sont des objets de curiosité teintées d’histoire et empreintes d’une mémoire des sens. Même sans les connaître elles intriguent, elles attisent la curiosité. Les lecteurs comprendront aisément l’importance de les faire vivre, de les maintenir en service.
Cybèle, la petite oursonne, ne se questionne pas très longtemps lorsque sa boîte à musique ne fonctionne plus. Un démontage rapide lui permet de trouver l’adresse du fabricant et elle part directement à Vienne, la « ville de la musique » par excellence. Elle doit se rendre au 67, rue du chat qui pêche. L’adresse nous fait penser au livre de Yolande Foldes, Rue du chat qui pêche pour plusieurs raisons. Yolande Foldes est de nationalité hongroise, elle a vécu à Vienne, et son livre raconte la vie de personnes exilées à Paris à partir des années 30. Or l’album raconte bien la construction de liens humains dans une ambiance des années 50. Notons que le numéro 67 de la rue parisienne correspond à une librairie anglophone, un petit clin d’œil malicieux de Didier Lévy peut-être. Dans la fiction Cybèle découvre une maison bien originale à cette adresse, « une maison en forme d’horloge à coucou géant », comme si la boutique et son atelier s’inscrivaient dans un temps particulier décalé de la réalité.
Madame Ostermeyer, la propriétaire de la boutique « A l’oreille heureuse », semble aussi hors du temps. C’est une tortue vêtue d’une robe à pois avec un col blanc et d’une veste. Elle est courbée en deux, elle porte des lunettes et marche avec une canne. Elle est visiblement très âgée et fragile. Sa longévité due à sa nature lui a permis d’acquérir une grande expérience. Elle ne voit plus beaucoup mais elle n’a rien perdu de ses connaissances sur la mécanique des instruments de musique. Elle est une mémoire vivante d’un savoir-faire. Le choix de son patronyme est amusant car une certaine Micheline Ostermeyer a vécu dans les années 1940. Elle était pianiste concertiste et athlète. Elle a notamment gagné trois médailles olympiques aux JO de 1948 à Londres. La tortue prénommée Pauline est peut-être un prolongement de cette femme illustre. Son humilité, ses connaissances musicales et techniques pointues, ses capacités d’écoute et de transmission le laissent penser.
Cybièle, la petite oursonne, est toute mignonne. Vêtue d’une simple robe rouge avec des impressions jaunes elle respire la fraîcheur de la jeunesse C’est un petit doudou ambulant. Elle est peu expressive, sa bouche n’est d’ailleurs dessinée que dans une seule illustration, celle qui la présente, déçue, regardant la vitrine du magasin délaissé. Elle est avant tout un personnage agissant. Déstabiliséeà son arrivée à Vienne, intimidée devant l’inconnu, elle ne s’écoute pas, elle va de l’avant sans rien lâcher. Elle connaît un moment de déception quand Pauline Ostermeyer lui annonce qu’elle ne voit plus assez bien. Elle n’exprime aucune émotion directement, elle repart simplement, « la démarche alourdie par la déception et la tristesse ». Heureusement la tortue propose une solution. Il suffit que Cybèle devienne les yeux et les mains de Paulina, la technicienne expérimentée. Et la petite oursonne reprend tout de suite confiance, sans joie démesurée, sans empressement excessif, mais avec une envie affirmée. Elle s’installe dans les pas de la tortue pour rejoindre la boutique et reprendre le travail abandonné. Encore une fois elle agit, accueille les clients, propose, présente, vend, répare selon les conseils de son ainée. Cybèle est aussi humble que Paulina, elle ne cherche ni à briller ni à faire ses preuves. Son ambition était de faire remarcher sa boîte à musique. Elle devient, par sa seule volonté et par son courage, une technicienne confirmée dépositaire de savoirs précieux.
Cybèle et Pauline sont deux personnages opposés sur bien des points. L’une est jeune, l’autre est vieille. L’une est habile, l’autre voit mal. L’une sait ce que l’autre ignore. Pourtant elles se font écho, elles se complètent. Cybèle pousse Pauline à rouvrir la boutique, et Pauline pousse Cybèle à entrer dans le métier. Tout se passe comme si chacune apportait à l’autre l’énergie qui lui manque. La relation qu’elles construisent n’est pas basée uniquement sur de l’affection intergénérationelle. C’est plutôt un compagnonnage avec ses valeurs essentielles de solidarité, de fraternité et de générosité. La phrase « A deux, on peut parfois accomplir de grandes choses » qu’elles prononcent à tour de rôle est une jolie symbolique de leur lien. C’est une manière très simple de montrer l’importance de collaborer pour avancer dans la vie.
Les huiles de Stéphane Poulain apportent de la force au récit. L’univers est doux, l’ambiance est feutrée. Le choix de représenter les personnages comme des animaux personnalisés donne une tonalité particulière au récit. Le morse est apprêté, il porte un gilet, une cravate et une redingote comme un homme sérieux. Le bouc se déplace avec un étui à violon, son écharpe au vent, c’est un artiste. La vache, des anneaux à chaque oreille, balaie la rue revêtue d’un tablier vichy rose comme une bonne ménagère… qui ne rit pas. Le chat, allongé sur le piano tient sa tête sur une patte. Il semble attendre en boudant. Il s’ennuie, il est peut-être jaloux. En fait chacun semble être pris sur le vif comme sur des photographies à l’ancienne. Il n’y a pas d’expression surjouée, juste des postures, des attitudes à observer et à interpréter.
Le texte est très plaisant à lire avec son joli langage et ses nombreux dialogues. Il peut paraître un peu long à écouter pour de très jeunes lecteurs auquel cas il suffirait d’aborder l’album en plusieurs fois. En tout état de cause l’histoire peut être racontée au fil des magnifiques illustrations.
Réparer une ancienne boîte à musique n’est pas qu’un acte écologique, loin de là ! C’est une façon de garder le lien avec un passé prestigieux, c’est une façon de maintenir en vie un certain art de la mécanique et de la musique, c’est une façon de lier le passé au présent. Cybèle, amatrice de sa boîte à musique, devient une artisane brillante grâce à Paulina qui transmet son savoir avec beaucoup de générosité. L’histoire est belle sans fioriture. A l’oreille heureuse propose une espèce d’interlude sur un temps suspendu, une sorte de sérénade qui ne demande qu’à continuer. Il suffit de tourner les pages pour écouter la musique et se réjouir de cette belle rencontre.
Pour prolonger la lecture
Didier Lévy est un écrivain que nous connaissons déjà pour sa sensibilité et la qualité de ses textes. Nous avons déjà sélectionné deux coups de cœur de cet auteur.
Nous connaissons également Stéphane Poulain qui nous avait charmé avec une autre série de personnages animaliers dans l’album….