Bande de Boucans T2 – Solée contre tous

Bande de Boucans T2 – Solée contre tous
Auteure

Anaïs Sautier

Illustratrice

Caroline Hüe

Editeur

Ecole des loisirs – coll Neuf – 2023

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Ça fait des mois que les Boucans réclament un capitaine. Ou une, bien sûr. Solée a posé sa candidature, et à son avis, elle a toutes ses chances. D’ailleurs, si le coach, monsieur K, veut la voir aujourd’hui, toute seule, c’est sûrement pour lui annoncer sa nomination. Mais alors… pourquoi chausse-t-il ces lunettes qui lui font des yeux énormes ? Et pourquoi fait-il la grimace ? Son chien Zizou est encore malade, ou quoi ? Une chose est sûre : Mr K n’a pas sa tête des bons jours… Soudain, Solée a du mal à respirer.

Mots-clés : amitié, fille-garçon

Présentation générale

Une bande de cinq enfants pratique du football à 5 au city stade sous le regard de leur entraîneur, Monsieur K. Ils sont inscrits au club des Boucans, le club du quartier. Les enfants sont très investis dans leur activité sportive. Ils s’entraînent régulièrement et jouent plutôt bien. La preuve en est, ils sont deuxième du championnat de Marseille dans leur catégorie. Solée, la seule fille de l’équipe, est non seulement douée mais en plus elle connaît bien ses coéquipiers et elle a l’esprit d’équipe. Elle se sent capable d’apporter une cohérence à la bande. Elle ne souhaite qu’une chose, devenir la capitaine. Rien ne s’oppose à ses ambitions dans la mesure où il manque un capitaine et elle est la seule à avoir posé sa candidature.

Mais un problème inattendu vient remettre tout en question. Monsieur K annonce à Solée que la fédération de football interdit la mixité en compétition au-delà de douze ans. Or Solée va fêter ses douze ans dans deux mois. Elle est désemparée, elle n’a aucune envie d’abandonner son équipe. Par crainte d’affoler ses camarades elle ne leur dit rien. Elle espère des aménagements possibles des instances footballistiques et elle garde espoir. Mais rien n’arrive. Alors, lorsqu’Eddie Pavrum, l’entraîneur de l’équipe rivale Les torpilles, propose à Solée d’intégrer un groupe qui autorise la mixité jusque 14 ans, la jeune fille est tentée malgré toutes les réticences qu’elle éprouve. Ses camarades qui n’ont aucune connaissance de la situation, ne peuvent la soutenir. Au contraire.

Solée s’aperçoit vite que le nouvel entraînement qu’on lui propose n’a rien à voir avec ce qu’elle connaît. Tout tourne autour de la performance et du dépassement de soi. Il faut être le meilleur quitte à écraser l’autre. Solée avait déjà quelques réserves quant à son nouvel engagement. Elle est maintenant persuadée qu’elle ne doit pas continuer dans cette nouvelle aventure. Mais il est trop tard. Le contrat qui la lie à E. Pavrum est signé pour une durée incompressible de 6 mois. Comment faire ?

Heureusement l’équipe des boucans est solidaire et pleine de ressources. Après avoir compris la situation tout le monde va réfléchir à la meilleure façon d’aider Solée. Il va falloir prendre des risques et être astucieux. Solée va réussir à résilier son contrat et à réintégrer son équipe d’origine. La fin est d’autant plus positive que la fédération accepte de reculer l’âge limite pour la mixité des équipes, E. Pavrum est limogé et les boucans battent les torpilles, l’équipe rivale, 4 à 0. Tout est bien qui finit bien !

Notre avis

Le football au féminin est une thématique déclinée depuis déjà quelques années. Nous avions repéré en 2007 Fous de foot de Fanny Joly, un livre qui parlait de la difficulté que rencontrerait une fille pour être intégrée dans une équipe de garçons. Ce sujet est quelque peu dépassé maintenant. La société a un peu évolué depuis et les filles ont fait leurs preuves. Dans Bande de Boucans les qualités de joueuse de Solée ne sont pas remises en cause. Solée a une bonne maîtrise du ballon, elle est tactique et elle a l’esprit d’équipe. C’est la fédération de football qui bloque. En présentant le problème du sexisme au travers des règles fédérales de mixité, Anaïs Sautier, l’auteure, engage une réflexion plus institutionnelle sur le sujet. Quels besoins y a-t-il à légiférer sur l’âge d’une mixité ? En quoi la présence de filles dans une équipe majoritairement constituée de garçons est-elle gênante ? Nous savons que les masses musculaires des filles et des garçons diffèrent lors de la croissance. En quoi est-ce un problème ? Qu’est-ce qui justifie une règle de non mixité ? Toutes ces questions se posent quel que soit le sport pratiqué. Sur son site la Fédération Française de Football évoque toujours l’âge de 12 ans pour arrêter la mixité, mais ce n’est qu’une préconisation. Qu’ qu’indiquent les autres fédérations ?

Le football est un véritable sujet de société. Il y a les joueurs, leurs coaches, les sponsors mais aussi tous les autres, les spectateurs, les fans, les journalistes… Le football réunit un grand nombre de personnes autour de valeurs (qu’on espère sportives), autour de modèles (qu’on espère irréprochables), autour d’un destin (on ne maîtrise pas le fait de gagner ou de perdre). Anaïs Sautier évoque le monde du football à un niveau très local avec beaucoup de réalisme. Même au sein du quartier le football représente un système bien huilé qui amène à réfléchir en termes d’images, de soutiens et de performance. Il faut avoir des beaux maillots, un sponsor et des fans, et il est évidemment important de gagner, notamment de battre l’équipe des torpilles. Comme dans la vraie vie, les soucis arrivent lorsque des hommes sans moralité ne respectent pas les valeurs. Monsieur K est un entraîneur plutôt bourru, peu communicatif mais il aime ses joueurs et ils les respectent. Solée et ses amis l’apprécient. E. Pavrum n’a aucun respect pour les joueurs dont il a la charge. Il n’a d’yeux que pour la gagne et la performance. Il est prêt à tout pour trouver le-lameilleur-e. Son attitude est détestable. Bien sûr E. Pavrum est le méchant de l’histoire. Il reflète aussi une certaine mentalité sportive qu’il ne faut pas ignorer. La starisation du sport à haut niveau, notamment au football, pollue souvent les représentations des enfants. Il n’est certainement pas inutile de les amener à s’interroger sur des questions importantes. Pourquoi pratique-t-on un sport ? Pour apprendre ? Pour devenir une star ? Pour se faire plaisir ? Quelles sont les conditions pour atteindre le haut niveau ? Est-ce que tout joueur en est capable ? Est-ce que tout joueur le souhaite ? Pourquoi ?

Outre l’aspect sportif, le roman présente un panel de personnages tout à fait sympathiques. Chacun a sa personnalité et se mélanger n’est pas toujours facile mais un bel esprit de solidarité règne. Solée est sans aucun doute l’élément le plus fédérateur. Elle connaît parfaitement ses camarades et elle arrive à bien communiquer avec tous. Son isolement lorsqu’elle part de l’équipe est d’autant plus difficile à vivre pour elle. Elle est courageuse, volontaire, elle doute mais elle peut également prendre des risques et s’affirmer. C’est un vrai plaisir de se projeter dans ce personnage ! Ses deux meilleurs amis sont Enzo, le gardien de but taciturne et Farid dit Fafa, le fan inconditionnel. Les relations qui lient ces trois personnages sont tendres et joyeuses malgré quelques tensions. Les trois autres joueurs sont un peu moins importants mais ils participent à créer la dynamique dans le groupe. Ali par exemple, est assez personnel, il fait peu de passes. Solée le constate et accepte mais Enzo le déteste. Comment peuvent-ils jouer ensemble ? L’entraîneur Monsieur K est un ancien policier polonais. Affublé de son chien pestilentiel Zizou, il encourage peu ses joueurs mais il est gentil et fiable. C’est lui qui a choisi les affreux maillots de l’équipe, rouge et blanc comme le drapeau de son pays. Momot tient le Momoprix, il a organisé une tombola pour soutenir le club qui risquait de fermer. C’est le sponsor de l’équipe. Au travers des personnages le lecteur pénètre dans la vie d’un quartier urbain riche en relations humaines. L’ambiance est agréable et c’est un plaisir de découvrir tout ce petit monde romanesque.

C’est à l’issue d’expérience avec des jeunes de quartiers de Marseille qu’Anaïs Sautier a écrit son livre. Dans une interview sur le site de l’AFEV (https://afev.org/labafev/anais-sautier-de-lafev-lecriture-engagee-pour-la-jeunesse) elle explique comment son expérience a nourri ses représentations sur le type de lecteur qu’elle envisageait. Elle a aussi appris à connaître un environnement particulier qu’elle a beaucoup apprécié. Son roman ne s’appuie pas sur des caricatures mais il souligne avec justesse des éléments récurrents de la vie de quartier à Marseille. Le surnom « Le sang » donné à Solée parce que « c’est plus fort que l’amour et l’amitié » (p9) est très méditerranéen. Le paillasson devant la porte de Monsieur K. sur lequel est écrit « OM MARSEILLAIS DEPUIS 1899 » ne s’invente pas. L’insulte ultime « crasseux » est emblématique de Marseille. Anaîs Sautier explique que le vocabulaire du quartier n’est pas moins riche qu’ailleurs, elle a appris de nouveaux mots qu’elle partage avec son lecteur et c’est très amusant. Quelques mots ou expressions sont faciles à comprendre comme « twerter » ou « la louse » mais que signifie « grinta » ou « shaitan » ? Nous laissons les lecteurs s’interroger et chercher.
Solée seule contre tous est le tome 2 de la série Bande de boucans. Nouvellement édité ce roman peut se lire de façon autonome. Sa lecture ne peut qu’inciter à lire le premier tome et/ou le suivant qui vient de paraître.

Solée contre tous est un roman qui parlera sans aucun doute aux enfants d’une dizaine d’années. Les thèmes traités sont proches de leur quotidien et de leurs motivations. Les personnages sont sympathiques. Les situations sont simples et réalistes. Le texte est facilement abordable. Voilà un livre plaisant à lire qui divertit mais qui interroge aussi.