Bleu et absolument Génial

Bleu et absolument Génial
Auteure

Nadine Brun-Cosme

Illustratrice

Sarah Vela

Editeur

Voce Verso – 2024

C’est alors que j’ai vu, entre mes deux orteils, un petit fil bleu. Un brin de laine de mes chaussettes, celles que Maman m’avait offertes.
Ça m’a calmée d’un coup.

Un texte fort qui aborde l’absence d’un parent à travers le point de vue d’une enfant.

Mots-clés : famille, amour, relation adultes-enfants

Notre présentation

La maman d’Appolline quitte parfois le domicile familial pour son travail. Ses expéditions durent jusque huit jours, un temps beaucoup trop long pour la fillette, enfant unique, qui supporte mal l’absence de sa mère. Certes son père, présent, s’occupe bien de la maisonnée. Mais ce n’est pas pareil. Appolline est en manque.
C’est ainsi qu’un brin de laine bleue coincé entre ses orteils devient un centre d’intérêt quasi obsessionnel pour Appolline. C’est le souvenir d’une paire de chaussettes offerte par sa maman, devenue vétuste, jetée à la poubelle par son papa. C’est un contact doux, relatif à la chaleur et à la protection de l’être qu’elle chérit. C’est le symbole d’un immense amour. C’est aussi un secret. Mais malheureusement le brin de laine disparaît au bout de quelques jours avec l’eau du bain.
Que faire ? Heureusement la maman est attentionnée et Appolline ne manque pas d’imagination. Un colis-cadeau contenant une paire de boucles d’oreilles bleues et des bonbons bleus eux aussi apporte de nouvelles perspectives. Non seulement Appolline porte les jolies boucles mais elle a aussi l’idée de placer un bonbon entre ses orteils. Rien de mieux pour ressentir la présence de celle qui lui manque ! Le bonbon va peut-être fondre un peu, mais sa maman rentre bientôt, il tiendra jusque-là.
A la fin du récit Appolline arrive à dévoiler ses secrets à son père plutôt pragmatique par nature. Or celui-ci ne la gronde pas, bien au contraire. Il admire l’ingéniosité de sa fille (« Génial ! Absolument génial !») et lui offre une nouvelle paire de chaussettes bleues. La famille se rejoint enfin. Les retrouvailles, évoquées par une simple illustration, sont tendres et chaleureuses.

Peu d’actions, plutôt de courts moments de vie pour évoquer l’attente, l’espoir, l’angoisse, les embarras, les joies, les peines… Un écrit simple et vivant. Des dessins sobres et expressifs qui racontent autant que le texte. En partageant ses secrets, Appolline entraîne le lecteur dans un monde sensible et délicat.
Un format original pour un roman très particulier mi album mi roman graphique. Une belle histoire qui touche le cœur.

Nos commentaires

En première de couverture une petite fille, à genoux sur un large fauteuil, les bras croisés sur le dossier, semble pensive. Elle n’est ni triste ni joyeuse. Elle ne porte aucune attention au chat qui pourtant vient se frotter contre ses jambes en faisant le dos rond. Elle ne fait rien, son regard est évasif. Elle est là et elle attend dans une atmosphère uniquement teintée de bleu. Cette première approche donne le ton du récit. Bleu Et absolument Génial est un livre qui s’attache à un univers intérieur complexe et intense.

Appolline est une enfant d’une grande sensibilité. Elle vit les évènements essentiellement au travers de ses émotions. Elle ne cherche pas à construire une relation ou un cheminement, elle vit pleinement le présent avec ses joies et ses peines. Elle est attachée aux sensations, aux couleurs, à la qualité d’une relation. A l’école Appolline n’est pas heureuse. Elle a l’impression de ne jamais faire comme les autres, elle se sent différente et elle est souvent seule. Elle ne croit qu’en Amélie, toujours étonnée de l’inventivité de sa camarade, qui ne cesse de la trouver « géniale, absolument géniale ». Appolline a besoin de cette reconnaissance pour trouver sa place. Mais ce n’est pas simple. Sa légèreté, ses rêveries sont incomprises et peu tolérées. C’est elle qui parle dans le livre. L’écriture en « je » permet de rentrer dans sa tête, de comprendre ses idées, ses réflexions, ses raisonnements. C’est parfois farfelu mais jamais ridicule et toujours touchant. Appolline n’est pas folle, au contraire. Elle fait preuve d’une grande intelligence émotionnelle.

Appolline contrôle mal son émotion lorsque sa mère quitte la maison, même si elle sait que c’est pour un temps donné. Elle a « toujours un peu peur » que sa maman ne revienne pas. Aux dires de son père, sa mère est une « vendeuse de haute volée », elle craint donc qu’elle « ne redescende pas », au sens propre. Elle a envie de « HURLER », de « PLEURER toutes les larmes de son corps » mais elle se calme d’un coup quand elle voit le fil de laine coincé entre ses orteils. Ce fil devient très vite le catalyseur de son désespoir autant que de ses espoirs. Il la relie matériellement à sa maman («J’ai l’impression de trimbaler avec moi un petit bout de Maman »). C’est un objet transitionnel, un doudou éphémère inattendu pour supporter l’absence et l’attente du retour.

Aucun argument rationnel ne peut expliquer le besoin d’Appolline de conserver son bout de laine entre ses orteils, et pourtant c’est une nécessité pour elle. Elle se rend bien compte de la bizarrerie de sa réaction. Elle sait qu’en s’obstinant elle peut être amenée à affronter des situations incongrues. La visite chez le médecin est assez coccasse. Entre l’angoisse du papa qui craint pour sa fille en la voyant boiter, le refus d’Appolline d’ôter sa chaussette, son désespoir devant l’injonction de son père et la précipitation du docteur pour enlever cette fichue chaussette, le lecteur envisage facilement le côté surréaliste de la situation. Le diagnostic (« Rien, elle n’a rien ») et le désarroi du papa qui doit payer vingt-cinq euros pour la consultation apportent un réalisme teinté de tendresse. Envers et contre tout Appolline arrive à suivre son chemin de pensées. C’est burlesque mais c’est rassurant.

La fillette est obstinée, persévérante mais elle ne peut pas gagner à chaque fois. Lorsqu’elle prend son bain, le brin de laine, mouillé, qu’elle pense récupérer dans la bonde, est aspiré par le siphon. C’est un drame, les larmes d’Appolline font déborder le bain. Le colis envoyé par sa maman vient la tirer de son désespoir. La couleur bleue représente l’apaisement, la confiance et la loyauté. Cette couleur céleste est de toute évidence un symbole fort de l’amour qui la lie à sa mère, (« Deux oiseaux bleus pour mon oiseau précieux »écrit sa maman).Mais ce n’est pas suffisant. Appolline souhaite maintenir la sensation physique qui la rassure. Elle choisit donc un bonbon pour le coincer entre ses orteils (« C’est juste la place qu’il lui fallait »). Elle sait qu’elle va boiter, elle sait qu’elle ne pourra en parler à personne, ellea même conscience qu’elle ne pourra pas toujours garder le bonbon qui finira par fondre. Mais elle veut croire que cela est possible. Elle a besoin de cette pensée magique pourcombattre ses angoisses et s’évader du réel.

La présence de son père n’apporte guère de réconfort à la fillette. Pourtant ce papa est bien actif. Il gère la maison avec beaucoup de rigueur, peut-être un peu trop d’ailleurs. En fait il tente de compenser l’absence de sa femme parce que « quand elle n’est pas là c’est à lui d’être une bonne mère». Il range, il cuisine, il s’affaire autour d’Appolline. Il la réprimande également avec des réflexions telles que « Il faudrait voir à ranger de temps en temps » insupportables pour l’enfant qui ne s’intéresse pas du tout aux règles du quotidien. Appolline ne pense qu’à ce qui lui manque, l’attention, la douceur, les caresses de sa maman. Au fil de la lecture le lecteur comprend que le papa souffre également de l’absence de son épouse. Sa joie de découvrir son propre cadeau dans le colis de la poste est équivalente à celle de sa fille. Il se cache pour ouvrir son paquet et il rit en montrant les boutons de manchette que sa femme lui a offerts alors « qu’il n’en porte jamais ». Une fois encore c’est l’inventivité, l’originalité de la démarche qui procurent du plaisir. Les retrouvailles du père et de sa fille autour du secret révélé à la fin du récit sont un joli moment de partage. Etre une « bonne mère » de remplacement était impossible, mais être un papa aimant et admiratif est un réconfort certain pour l’ensemble de la famille.

Les illustrations encadrent le texte et racontent comme un récit sans parole, une espèce d’interlude lors duquel les mots ne sont pas nécessaires. Ce n’est plus la musicalité du texte qui agit sur le lecteur mais ce sont les formes et les couleurs. Que du bleu et du noir sur les pages blanches. Que des formes simples. Peu de fioritures. L’image va à l’essentiel tout en créant des ambiances douces et légères ou plus dramatiques selon les circonstances. L’illustratrice fait le choix de ne pas prendre le point de vue de la fillette et de rester extérieure aux situations. Au début du récit elle montre Appolline virevolter dans le dressing de sa maman, joyeuse et légère, dans un dessin coloré tout en courbes. A contrario, après qu’elle a été la risée de ses camarades, elle la présente alanguie et attristée en l’esquissant d’un seul trait blanc sur fond noir. Les gros plans sur les orteils soulignent la nécessité de la sensation physique. Les états d’Appolline et ses émotions sont traduits avec beaucoup de subtilité et de délicatesse.

Le terme « Génial » appuyé par le superlatif « absolument» est récurrent dans le texte comme dans l’image. Cela donne l’impression d’une envie permanente d’envoyer des ondes positives aux personnages et aux lecteurs. Appolline a besoin d’être encouragée dans sa réflexion et dans sa démarche parce que tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle pense a du sens. Et le lecteur a raison de la suivre parce que ses émotions sont belles et l’histoire est bien jolie.

Bleu Et absolument Génial est un livre doux et positif qui parle d’un amour fou et d’une rêverie sensuelle face à l’absence d’un être adoré. Une très jolie découverte.