La bête et Béthany
Auteurs | Jack Meggitt-Philipps |
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Illustratrice | Isabelle Follath |
Traducteur | Dominique Kugler |
Editeur | Bayard Jeunesse – 2022 |
Ebenezer mène depuis 511 ans une vie de rêve grâce à un monstre hideux, capricieux mais magique qu’il nourrit dans son grenier.
Un jour, la bête réclame un repas… original : un enfant. Ebenezer est très contrarié.
Pour soulager sa conscience, il part à la recherche de l’enfant le plus détestable possible. Et il trouve Bethany.
Mais le plan d’Ebenezer comporte deux failles. Bethany n’a pas l’intention de se laisser faire et ils ont, tous les deux, le cœur plus tendre qu’ils ne l’auraient cru.
Mots-clés : relation adultes-enfants ,monstre
Présentation générale
La bête et Bethany est le premier volume d’une série écrite par Jack Meggitt-Philipps. La couverture n’est guère engageante : une grande bouche ouverte de façon agressive, devant une fillette qui donne l’impression d’être le prochain plat. Mais c’est pourtant le défi que va devoir relever Ebenezer pour pouvoir continuer à rester jeune. Une partie de bras de fer se met en place entre trois terreurs, un monstre, une enfant et lui, qui vont essayer chacun à sa façon de s’en sortir. Une belle réflexion morale et humoristique autour de la valeur de la vie et de la jeunesse, ancrée dans un écrin de fantastique.
Nos commentaires
Trois personnages forts vont s’affronter au long de ce récit plein de rebondissements.
Ebenezer est le personnage central. Il mène une vie de rêve et d’opulence dans une immense maison de quinze étages qui présente toutes les fantaisies possibles et donne d’emblée une ambiance oppressante et inquiétante. Il loge chez lui La bête qui occupe son grenier et qui lui donne tout ce qu’il souhaite en biens matériels ou financiers. En échange, il reçoit un élixir de jeunesse qui lui permet d’avoir une longévité renouvelée et une apparence éternelle de jeune homme. Il a passé un pacte tacite avec La Bête et doit la nourrir en fonction de ses demandes. Jusqu’alors tout va bien, Elbenezer a réussi à toujours la contenter et en conséquence à garder sa jeunesse depuis 511 ans. Son aisance matérielle et sa forme physique lui permettent de vivre la vie qu’il souhaite sans penser à un futur qui serait autre.
La bête est une grosse masse grise informe avec trois yeux noirs, deux langues noires et une énorme gueule baveuse. Des pieds et des mains minuscules. Elle aime par-dessus tout manger. Elle avale tout, vraiment tout sauf les trompettes auxquelles elle est allergique.Il faut donc la nourrir et ses demandes évoluent avec le temps car elle souhaite découvrir de nouveaux goûts. Elle peut aussi vomir tout ce qu’on lui demande : des meubles, des tableaux, de l’argent, un élixir de jeunesse…
Béthany est une fillette vulgaire, jalouse et exigeante, chétive, casse-pied, impolie, désobéissante, parfois méchante. Un véritable poison. Elle a perdu ses parents, morts dans un incendie et a été placée dans un orphelinat. Elle en est devenue la terreur et est toujours au centre des bagarres entre enfants sans jamais obéir aux adultes. Son palmarès de bêtises est impressionnant et tout le monde démissionne devant elle. On verra au fil de l’histoire qu’elle a aussi un cœur d’or, bien qu’il faille aller le chercher très loin tellement elle l’a enfoui sous une carapace de défense.
On va voir évoluer ces trois personnages au fil de l’histoire dans leurs relations comme dans leur caractère.
L’histoire commence quand La bête va demander à Elbenezer d’exaucer son envie de manger un perroquet très rare, que celui-ci n’hésite pas à lui acheter pour la contenter, sans aucun sentiment ni retenue. Même s’il sait que cette espèce est protégée, même si l’oiseleur lui en recommande le plus grand soin, il le donnera en repas à La bête sans aucun état d’âme. Il est comme ça Elbenezer, son besoin d’élixir commande avant tout.
Mais La bête qui, en mangeant beaucoup, devient de plus en plus grosse et envahissante, devient aussi de plus en plus exigeante. Et quand elle demande à son hôte de pouvoir goûter un enfant, un enfant bien dodu et bien juteux, ce dernier commence par refuser parce que ça ne se fait pas, que c’est inconvenant. Mais il doit vite revoir son attitude car La bête lui refuse alors son élixir d’anniversaire pour perpétuer sa jeunesse.
On commence alors à sentir poindre un petit état d’âme chez Ebenezer qui, sans troubler sa conscience, va quand même lui donner à réfléchir, même si cela ne freine pas beaucoup sa quête pour trouver un enfant qui soit adapté à la demande. Comme il n’y connaît rien en matière d’enfant, ses premières recherches au zoo puis chez le marchand de bonbons sont infructueuses. II retourne voir l’oiseleur pour lui demander conseil. En y croisant par hasard Bethany, il découvre une enfant détestable et infernale et apprend qu’elle est orpheline. C’est pour lui le profil idéal, pour que personne ne s’inquiète de sa disparition. Il va donc se mettre en tête de l’adopter en allant visiter l’orphelinat dans lequel elle est accueillie.
Le passage à l’orphelinat est digne des références de Dickens dans lesquelles des enfants abandonnés, délaissés et maltraités doivent se vendre devant des parents qui recherchent l’enfant rêvé. C’est à la fois risible et douloureux de voir la directrice de cette maison, haute en couleurs, essayer de séduire les adultes et Béthany, de son côté, faire tout pour les en dissuader…
Si la fillette accepte néanmoins de suivre Elbenezer pour quitter cet orphelinat qu’elle déteste, tout ne va pas se passer comme elle le prévoyait : la cohabitation est difficile et Béthany s’emploie à détruire tout ce qui plait à Elbenezer.
Le pacte que Elbenezer a passé avec la bête l’oblige à la contenter. Mais quand celle-ci refuse de manger Béthany car elle n’est pas assez grosse, les choses se compliquent. Béthany, elle, refuse de manger davantage, la bête s’impatiente et pendant ce temps-là Ebenezer commence à prendre des rides, à avoir mal à ses articulations …bref à vieillir puisque son élixir ne fait plus effet.
Comment vont-ils se sortir de cette situation ?
Le trio fonctionne très bien, grâce à l’humour, le loufoque et beaucoup de fantaisie.
Les difficultés rencontrées vont aider Elbenezer et Béthany peu à peu à s’adoucir en opposition à la bête qui va amplifier sa méchanceté. Ils vont donc pouvoir se liguer ensemble pour la faire disparaître.
Les personnages sont savoureux, détestable à souhait pour La bête, arrogant à outrance pour Elbenezer ou provocatrice moqueuse pour Béthany.
Sans dévoiler les stratégies mises en place, le rapprochement qui s’opère entre les deux humains de l’histoire va les mener à se dévoiler l’un à l’autre, à se présenter tels qu’ils sont vraiment dans leur histoire personnelle lourde et compliquée. Ces moments sensibles permettent de s’attacher aux personnages, notamment à Béthany, sans tomber dans le mélodrame.
La bête apparaît comme une représentation d’un Faust moderne qui aurait passé un pacte avec l’Homme. Elle a le pouvoir face aux deux êtres mais ceux-ci, par malice, vont réussir à s’en sortir et deviendront meilleurs, c’est-à-dire plus humains et plus aimables.
Car le récit pose de vraies questions qui feront réfléchir les lecteurs. Qui est La bête ? Qui est le monstre ? Qui va prendre le pouvoir ? Pourquoi lesobjets de la maison s’animent-ils brusquement ? Comment Béthany va-t-elle aider Elbenezer à se débarrasser de La bête ?
Le récit avance à cent à l’heure. C’est en effet une course contre la montre que doivent mener les humains face à La Bête. Béthany a plus d’idées qu’il n’en faut pour relancer l’espoir de s’en sortir. Et le lecteur suit ces personnages avec impatience et palpitations jusqu’à la dernière page…qui les surprendra sans aucun doute !
Notre avis
C’est une histoire très « british », gentiment immorale mais pleine d’humour -souvent noir- et de dérision. Il pose une question essentielle : jusqu’où peut-on aller moralement pour garder la vie ? Il aborde aussi les problèmes de solitude, de richesse, d’égoïsme et de pardon.
L’ambiance fantastique et fantasque est bâtie autour des trois personnages tous détestables et cruels mais qui vont aller en s’améliorant peu à peu. Cette histoire ne se termine pas tout à fait puisque l’événement final nous projette dans le tome suivant en nous laissant un peu sur notre faim.
C’est un volume de lecture qui s’adresse aux très bons lecteurs de CM2 ou de collège mais bien présenté, en caractères aérés et avec des illustrations insérées dans le texte qui aident à la représentation des scènes un peu particulières.
C’est un roman original, très dynamique dans lequel on rit beaucoup, parfois méchamment. Il sait nous embarquer dans de l’impensable en lui donnant une impression de possible. L’histoire est bien menée et ses personnages sont intéressants. C’est une belle découverte dont on attend la suite avec impatience.