La bourrasque

La bourrasque
Auteur

Mo Yan

Illustrateur

Zhu Chengliang

Traducteur

Chu-Liang Yeh

Editeur

HongFei – 2022

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Un enfant accompagne son grand-père faucher l’herbe au champ. Au matin, ils s’avancent avec leur charrette, silencieux et attendrissants, vers les promesses de la journée. Rythmée par des chants anciens, la chasse aux criquets et une sieste chaude, la besogne âpre les occupe des heures durant. Mais au soir venu, un vent tourbillonnant menace et, finalement, emporte tout. Seule la présence d’esprit et le courage du garçon empêchent le pire…

(Présentation sur le site de l’éditeur)

Mots-clés : destin, grands-parents,

Présentation générale

C’est la première fois que le petit-fils accompagne son grand-père à la prairie sauvage. Levés tôt le vieil homme et l’enfant partagent la brume du matin, le lever du soleil avec son ciel azuré, le silence de la campagne. Le chant du grand-père est mystérieux. L’enfant écoute, « subjugué » par les mots et par la posture de son aïeul dont le visage impassible semble indiquer un détachement total quand il évoque des temps ancestraux de guerre et de réjouissance (« Plus rien ne semblait exister pour lui à cet instant »).

Et puis vient le temps du fauchage. Arrivés à la prairie sauvage le grand-père commence son ouvrage. Il essaie d’initier son petit-fils sans grand succès. Celui-ci préfère batifoler en courant après les oiseaux et les criquets. La chasse aux criquets est d’ailleurs profitable puisqu’elle permet d’agrémenter le déjeuner. La sieste de l’enfant après le repas est écourtée. Le grand-père veut se dépêcher de rentrer car « le temps tourne ». Il faut charger l’herbe, l’attacher et tirer la charrette pour rentrer. Alors que le garçon avait fait la route assis dans la charrette vide à l’aller, il tire maintenant une corde à l’avant pour aider son grand-père.

Mais les forces de la nature sont inexorables. Le ciel continue de s’assombrir, une espèce de tornade apparaît. Le grand-père et l’enfant sont pris par le tourbillon du vent. L’enfant est projeté, il s’agrippe comme il peut à l’herbe du talus. Le grand-père ne lâche pas sa charrette au risque d’être happé par les airs. Le voyant en difficulté son petit-fils réagit et fait contre-poids sur la charrette. Le grand-père et l’enfant restent ainsi reliés au sol. Quand le calme revient la charrette est vide, toute l’herbe a disparu. Le grand-père a les larmes aux yeux mais il ne montre ni colère ni dépit. Le garçon, lui, jette au vent l’unique brin d’herbe qui traînait encore. « Quelle bourrasque ! » dit-il.
Et ils reprennent ensemble le chemin de la ferme.

La bourrasque est adaptée d’une nouvelle de Mo Yan, auteur chinois prix Nobel de littérature en 2012, publiée en Chine en 1985. C’est la première fois que l’histoire est éditée en France par les éditions HongFei dont la ligne éditoriale est de valoriser « l’expérience sensible de l’altérité , notamment avec la Chine ». L’auteur accompagne la sortie de son album avec un courrier adressé à ses lecteurs qui permet de mieux envisager le contexte d’écriture. Mo Yan a vraiment affronté un ouragan avec son grand-père. Il a vécu la puissance du vent et la perte de l’herbe patiemment fauchée. Mais il explique qu’il n’a gardé aucune amertume de cette expérience. Il a, au contraire, éprouvé un sentiment de victoire partagée parce que son grand-père n’a pas plié et que lui-même est bien resté accroché au sol. En racontant son histoire il souhaite transmettre à ses jeunes lecteurs un message sur le courage nécessaire pour affronter l’adversité.

Nos commentaires

Dès les premières lignes le lecteur comprendra qu’il est transporté en Asie. La ferme de départ diffère peu des fermes traditionnelles occidentales mais la rivière a pour nom « Jiao » et la distance pour aller à la prairie sauvage se mesure en li. On notera au passage que la rivière Jiao est un affluent du fleuve Jaune surnommé « la rivière mère » et qu’un li équivaut à 500 mètres. Les personnages n’ont pas de particularités physiques remarquables si ce n’est la coiffure du garçon , typique des enfants chinois, qu’on retrouve maintenant en Occident. Le travail du grand-père ressemble aux activités de tout paysan même si sa façon de manier une charrette en s’aidant d’un bandeau est spécifique. L’ancrage culturel lié à la Chine est discret jusqu’à la chanson du grand-père.
La scène spécifique de cette chanson est un temps fort du récit. Le vieil homme, plutôt taiseux, s’exprime ici haut et fort, il chante de tout son cœur. Les paroles de sa chanson sont étonnantes, elles interpellent. Il semble qu’il s’agisse d’un vieux chant populaire, plus ou moins cynique, qui dénonce les conflits et les guerres de pouvoirs en Chine. Tenter de construire un sens logique aux paroles est inutile, même le grand-père ne sait pas ce que tout cela veut dire. Par contre on entend dans les mots la violence des combats (la lance « fait tomber tant de soldats meurtris »), la nécessité de se retrouver (un banquet résout « des disputes longues de trois générations »), et l’importance de la parole qui peut « faire trébucher généraux et mandarins » quand il s’agit d’une plaisanterie ou « courroucer l’impérial palanquin » s’il est question d’un mot malvenu. Le petit-fils est fasciné. En écoutant son grand-père il entend les antagonismes d’une vie ancestrale Il devine « un monde inquiétant et attirant à la fois », qui promet « autant de bonheur que de douleur ». A court terme sa réflexion est une sorte de préparation aux évènements qui suivront. A long terme il s’agit d’une réflexion philosophique sur la vie qui intéresse tout lecteur : qu’est-ce qu’une vie heureuse ?

La deuxième scène déterminante du récit est bien évidemment la scène de la tornade, tellement impressionnante dans sa mise en page. Alors que le récit se déroulait tranquillement à l’horizontal, le tourbillon du vent apparaît d’autant plus brutalement qu’il est représenté en format vertical. Sur toute une double page on voit l’herbe aspirée vers le haut formant un énorme vortex vert, gris, noir, terrifiant. Ce qui se passe au ras du sol est dramatique. La corde se casse, l’enfant tombe, le grand-père, courbé en deux, reste accroché tant bien que mal à sa charrette. La suite est racontée sur la double page suivante comme une séquence cinématographique. On voit sur des vignettes successives l’enfant qui lâche la corde, tombe, se retrouve dans le vide, s’accroche au talus. Puis, juste en dessous, sur une vignette continue horizontale, on le voit regarder son grand père et se jeter sur la charrette. Tout va très vite, le temps est accéléré. La scène est haletante. La superbe mise en image et le texte, simple et concis, procurent une émotion intense. Comme l’enfant, le lecteur craint pour la vie du grand-père.

Il faut dire que les deux personnages de l’histoire sont éminemment sympathiques. Ils sont simples et directs. Ils se comprennent sans se parler, ils se respectent sans réfléchir, Ils s’entendent vraiment bien. De toute évidence l’affect qui les unit est très fort. Leur relation évolue au fil de l’album. Au début le grand-père porte littéralement l’enfant dans la charrette. Le chant du grand-père marque un moment de partage important pendant lequel ils se regardent, s’écoutent, et se découvrent autrement. Le grand-père n’impose pas à l’enfant de faucher l’herbe. Il le laisse jouer, il l’installe pour la sieste. Il le protège en respectant ses envies et ses besoins. L’épreuve du coup de vent modifie leur rapport. Cette fois ils ont besoin d’être ensemble pour tirer la charrette et affronter le danger. L’enfant montre qu’il n’est pas si petit en prenant conscience du danger et de son amour pour son grand-père qu’il ne veut pas « perdre ». Son initiative n’est pas un acte d’héroïsme. Il protège son grand-père comme quiconque cherche à protéger celui qu’il aime. Les échanges entre les deux personnages après la tornade sont très plats. Ils reviennent à peine sur leur expérience. Est-ce de la résignation, du fatalisme ? Il s’agit plutôt d’une certaine façon de voir la vie avec beaucoup d’humilité et de dignité. L’enfant lance le dernier brin d’herbe qui restait comme une offrande à l’air. Le grand-père repart en poussant sa charrette vide. Certes ils ont perdu l’herbe mais ils ont réussi à traverser l’épreuve ensemble.

Nous avons déjà indiqué la puissance des illustrations sur quelques scènes spécifiques. Elles donnent une intensité formidable à tout l’album. Dans une interview du magazine Filigrane des Editions HongFei, Cheng Liang Zhu précise son approche artistique. Il a perçu dans le texte de Yan MO « du cinéma » en lien avec les émotions, les actions, les drames du récit. Il s’est ensuite inspiré de croquis antérieurs, d’expériences personnelles, d’observations pour représenter ses personnages et les différentes situations. L’artiste souhaite raconter l’histoire à sa manière avec son langage et ses techniques. Il le fait de façon magistrale. Il travaille essentiellement à la peinture à l’huile. Cela apporte de la profondeur à son évocation. Il joue beaucoup sur les plans, les cadres, les points de vue. Un plan large horizontal sur double page marque la longueur du cheminement des personnages au début. Une vue de profil,cadrée sur le grand-père poussant la charrette pleine tirée par l’enfant,marquée par un jeu de lignes brisées mais continues, montre le lien qui unit chaque acteur. Une contre-plongée sur l’enfant seul, la corde sur l’épaule, insiste sur l’intensité de son effort. Cheng Liang Zhu est un spécialiste des représentations d’enfants. De fait les postures du garçonnet sont très justes, et très mignonnes. Le lecteur s’amusera à le voir tenter de suivre la marche de son grand-père qui le tient par la main ou à le regarder se gratter le ventre au réveil. Les illustrations sont à la fois descriptives, expressives et très esthétiques. Elles sont en pleine harmonie avec le texte. Sur son blog Sophie Van der Linden, critique spécialiste de la littérature de jeunesse, parle d’une « rencontre ébouriffante d’un prix Nobel et d’un grand illustrateur chinois ». ()

La bourrasque est une histoire simple et sobre. Elle raconte la terre, le labeur, la nature, le soutien et l’amour intergénérationnel. Il n’est question ni d’héroïsme ni de fait exceptionnel. C’est juste une approche de la nature dans son aspect merveilleux mais aussi terrible, une épreuve du quotidien. La sobriété dans la narration enrichie par la simplicité et la force des illustrations procurent une émotion pure. Un très bel album !