la ville grise
Auteur-Illustrateur | Torben Kuhlmann |
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Editeur | Editions Nord-Sud – 2023 |
Nina emménage avec son père dans une nouvelle ville.
Une ville grise. Alors, tous les matins, Nina enfile son ciré jaune.
Mais cela lui vaut les reproches des autorités de la ville, qui ne veulent pas qu’elle chamboule leurs plans.
Accompagnée de son ami Alan, elle va tout faire pour rendre leurs belles couleurs à la ville et à ses habitants !
Mots-clés : liberté, domination-pouvoir, solidarité
Présentation générale
Quand Nina arrive dans sa nouvelle ville, elle la découvre toute grise. Elle qui dessine et aime tant les couleurs ne comprend pas pourquoi une seule teinte est utilisée dans cette cité. Elle va aller de découverte en découverte et apprendre qu’ici l’uniformisation est la règle : pas de couleurs autorisées, pas de différences permises, pas de livres ni de musique…
Elle va se rebeller et chercher comment faire bouger les lignes de ce monde inquiétant. Après des essais infructueux, elle saura s’unir avec d’autres opposants pour rompre ces embrigadements.
Nos commentaires
Cet album a l’ambition d’aborder pour les enfants le sujet dur et sensible du totalitarisme. Son grand format permet d’alterner le texte, long et fourni, avec de magnifiques illustrations qui pourront faire réfléchir les enfants tout en leur ménageant des pauses.
La première partie est construite autour de la découverte de Nina de cette ville particulière. Comme elle, avec le premier chapitre et ses illustrations, on pense à une ville engluée dans la fumée des usines, les nombreuses autoroutes qui se croisent en milieu urbain avec une circulation très dense, une structure urbaine rigide et un gris envahissant, même sur les passants. Si on pense à une réflexion sur l’écologie car la disparition totale de végétation frappe rapidement, on s’aperçoit vite, comme Nina, quand elle fait le tour de son quartier, que quelque chose ne va pas dans cette ville : tout se ressemble, tout est gris…sauf quelques taches de couleurs au sol, sauf un énorme tag sur un mur… Que se passe-t-il ?
L’enfant va apprendre à ses dépens qu’à l’école aussi son ciré jaune et ses crayons de couleur ne sont pas les bienvenus. Et ses premières punitions vont lui faire comprendre que les règles à respecter sont très strictes : adaptation, obéissance et discipline lui sont diffusées par voix de films d’endoctrinement qui la laissent perplexe. Mais c’est aussi durant ces moments qu’elle va faire la connaissance d’Alan qui se trouve dans le même cas qu’elle en refusant de changer son pull orange pour un gris obligatoire. C’est grâce à lui qu’elle va également découvrir un groupe de musique d’opposants qui résiste au pouvoir par la chanson et se sentir moins seule dans ce monde oppressant.
L’histoire se déploie ensuite autour de ces faits de résistance, Nina cherchant à comprendre le pourquoi de toutes ces interdictions et refusant de se plier aux règles collectives. C’est ainsi qu’elle va découvrir une petite bibliothèque, écrasée entre deux immeubles comme une oubliée de tous dans laquelle elle s’aventure et trouve des livres cachés, interdits, qui lui délivrent le secret de la création des couleurs par l’optique. Malheureusement, Nina est maintenant « fichée » par l’administration et suivie jusqu’à chez elle pour l’obliger à changer ce ciré jaune si voyant et lui donner l’ordre de rentrer dans le rang. Mais elle persiste et comprend que, si en optique, les trois couleurs primaires reforment le blanc, en peinture ce mélange donne du gris. Tout en finesse, l’auteur, sans employer de grands mots, fait comprendre aux lecteurs l’endoctrinement, l’espionnage, la propagande, l’intimidation et la répression. En contrepoint, Nina découvre différentes formes de subversion : par la façon de s’habiller, par un graffiti, par de la musique, par des livres qu’il faut cacher…
Le troisième volet va donc la voir mener l’enquête pour trouver où tous ces gris sont fabriqués et ce que deviennent les couleurs vives initiales. Avec leurs amis musiciens, Nina et Alan vont découvrir l’usine de peintures qui contrôle les couleurs interdites, mettre en place un plan pour y entrer et saboter les machines de fabrication. Ce sera bien sûr une pleine réussite et le début de l’introduction des couleurs dans la vie de cette ville. Sans violence ni révolution, les enfants, comme espoir en l’avenir, ont réussi à anéantir cette pression totalitaire.
Notre avis
Cette histoire semble compliquée à narrer mais sa lecture est très fluide et sa segmentation en courts chapitres illustrés est agréable et très accessible aux lecteurs de CM2/6ème/5ème. Elle se déroule comme une dystopie que les adolescents aiment particulièrement et cette entrée permet de les entraîner à réfléchir à un autre monde que certains exemples passés ou actuels peuvent éclairer.
La façon d’aborder l’uniformisation par la couleur, l’interdiction des livres ou de la musique, le contrôle des pensées et le suivi de chacun sera parlante pour les enfants et leur fera prendre confiance de la valeur de la liberté qu’ils connaissent. Cette fable fonctionne bien et aborde ce sujet grave à leur hauteur.
On peut être critique sur le moyen libératoire choisi par l’écrivain, le recours à l’optique expliquée, mais la place de la Science en général, souvent remise en question actuellement, peut ainsi retrouver sa place et permet de recentrer le récit sur le rationalisme.
Le texte est assez long, mais peut se lire par chapitres. Une lecture feuilleton pour les 8-9 ans reste envisageable, voire une lecture magistrale qui permettra d’expliquer et de commenter les différents points abordés. C’est un album qui conviendra parfaitement aux élèves de 6ème/5ème.
Torben Kuhlmann est auteur et illustrateur, ce qui donne une excellente complémentarité entre texte et images. On ressent le poids écrasant des gratte-ciels par la contre-plongée et les larges plans qui montrent les imposantes infrastructures de cette mégapole, l’uniformité des couleurs par la panoplie de gris qu’il utilise et qu’il a listée sur les intérieurs de couvertures, les points de couleurs, sources d’optimisme, distillés au fur et à mesure : quelques taches sur le sol, un arc en ciel, l’arrière-boutique de la bibliothèque, et bien sûr les vêtements honnis des deux enfants qui permet de les suivre dans cette grande masse de gris comme des points qui captent le regard du lecteur. Les images sont grandioses, pleines pages, parfois doublées pour envahir l’espace et le rendre imposant.
C’est un album rare dans le contenu qu’il propose à nos enfants, magnifique dans ses pages illustrées et d’une grande richesse quant aux échanges qu’il peut provoquer.
Pour aller plus loin :
Le tyran des mots de Rémi David et Valérie Michel Chez Motus Editions (2023)
Un homme élégant, un objet culte les ciseaux, une ambiance sombre où les regards s’échangent de côté, le tyran pèse. D’un côté, le pouvoir étouffant, domination et argent, de l’autre, du côté du peuple, une aspiration à la révolution. Pour éradiquer cette espérance, une solution: éradiquer le mot.
La nuit des couleurs de Marylin Mathon et Romain Lubière Edité par Le Grand Jardin (2023)
Le jeune peintre Arabal se retrouve en prison : il a protesté contre le dictat ordonnant l’uniformisation du monde et sa neutralisation par le gris. Tout doit être au carré, sans fioritures, et tout doit être uniformément recouvert d’une bonne couche de gris, les rues, les maisons, les arbres, les animaux, les oiseaux, l’ensemble du vivant dont les couleurs chamarrées dérangent l’idéal de « ternitude » du souverain…
Le terrible effaceur de Marie-Sabine Roger aux éditions thierry Magnier (2015)
Dans un pays calme et heureux survient un jour le terrible Effaceur armé d’une grande gomme et très vite s’installe la peur qui paralyse les habitants.