Le cœur du rouge-gorge

Le cœur du rouge-gorge
Auteurs - illustrateurs

Ale + Ale

Editeur

Albin Michel – 2020

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Quand le rouge gorge rencontre la blanche colombe, il a un coup de foudre et se jure de tout faire pour gagner son cœur. Malheureusement, il n’est pas son seul prétendant, et chacune de ses tentatives pour l’impressionner est réduite à néant par un adversaire plus au point. La sérénade du rossignol ridiculise sa chansonnette ; le diamant de la pie éclipse son morceau de verre poli ; le tambourinage du pic-vert rend inaudibles ses efforts pour attirer son attention… et quand il rassemble son courage pour l’inviter à dîner, le merle l’a déjà conviée sur son cerisier en fleur. Le rouge gorge comprend qu’il lui faudra trouver une idée extraordinaire pour se démarquer…

Mots-clés :  Asie, identité, émotions

Présentation générale

Un album esthétique dans un contexte exotique. L’histoire, écrite en randonnée, a pour thème la séduction : comment séduire une jolie demoiselle oiseau ? Le personnage principal, le rouge-gorge, a bien du mal à trouver une solution.

Notre analyse

Dès la première de couverture l’ambiance est donnée. Le personnage central, un rouge-gorge au premier plan, porte son regard vers l’extérieur. On dirait qu’il observe, qu’il scrute un environnement inconnu. Au deuxième plan il voltige dans différentes directions, portant parfois dans son bec des fleurs ou du papier. On pourrait alors croire qu’il s’essaie, qu’il tâtonne pour accomplir une mission. Le paysage fait tout de suite penser au Japon avec le Mont Fuji et ses neiges éternelles, un lac, des fleurs de cerisier, et une technique illustrative faite de transparences, de tons aquarelles, de traits fins et épurés. En fait cette première de couverture (en lien avec la quatrième quand on ouvre le livre) reprend intégralement l’illustration d’une double page du récit : le moment où le rouge-gorge prend la décision de transformer son apparence pour plaire à sa belle. La première de couverture semble bien avoir pour rôle de mettre en avant la construction de la réflexion de l’oiseau.

L’éditeur nous annonce en quatrième de couverture que l’objet de l’amour du rouge-gorge est une blanche colombe. Or rien n’est écrit à ce sujet et le dessin du petit oiseau blanc fait plus penser à un moineau blanc qu’à une colombe. Le rouge-gorge, quant à lui, rougit d’amour dès qu’il voit sa belle. Cette explication sur la caractéristique colorée du rouge-gorge est amusante. Il en existe d’autres, des histoires de brûlure, de marques de sang…

En tout état de cause le rouge-gorge est un oiseau bien connu dans nos régions, dans nos jardins notamment. Les oiseaux qu’ils rencontrent sont également familiers en Europe comme en Asie. Comme le rouge-gorge ils appartiennent tous à la famille des passereaux. L’histoire les associe parfois à un caractère physique (la pie vole en référence à son attirance pour les objets brillants), parfois à un caractère culturellement reconnu (le rossignol utilise son chant comme dans le conte Le rossignol de l’Empereur, le loriot écrit des poèmes en référence au poème de René Char).

Tous les oiseaux mâles essaient chacun leur tour de séduire la jolie dame, il s’agit presque d’une compétition. La demoiselle reste passive face aux avances de la gente masculine. Aucun regard, aucun mot, aucune posture n’indique ce qu’elle pense ni ce qu’elle ressent. On ne connaît pas ses désirs. Les avances des oiseaux sont très machistes. Ils jouent la sérénade, écrivent des billets doux, font des cadeaux, exhibent leur force, mais ils n’entrent jamais en communication directe, ils ne cherchent pas à connaître la demoiselle. A l’heure de « MeToo » on peut s’inquiéter du message donné à lire : s’agit-il de mettre en exergue la vanité masculine qui pense que la séduction reste une histoire de parade amoureuse à sens unique ? Heureusement la demoiselle blanche affirme à la toute fin du récit son amour pour le rouge-gorge « Grâce à son audace et son courage ». Cette phrase est quelque peu surprenante. La demoiselle a-t-elle perçu du courage dans la posture du rouge-gorge tout au long du récit ou attend-elle de ce compagnon audace et courage pour qu’il se présente à elle à nu ? Rien n’est dit.

A chaque tentative du rouge-gorge pour attirer l’oiselle il se fait doubler par un autre oiseau de sa famille. Son ultime décision, s’habiller avec des accessoires prestigieux d’oiseaux de familles différentes, est évidemment une catastrophe puisqu’il effraie sa dulcinée qui s’évanouit. Mais ce choix témoigne bien de son manque de confiance. Le texte indique que le déguisement lui donne « le courage nécessaire » pour se présenter à l’autre. On pourra s’interroger sur la question de la séduction. Plaire n’est-il qu’une question d’apparence ? La même question se pose pour l’amitié. Nous avions proposé il y a quelques années un album Je veux qu’on m’aime de Léo Timmers qui racontait l’envie d’un corbeau de se faire des amis. Comme pour notre rouge-gorge il choisit de se déguiser pour plaire et obtient le contraire de ce qu’il recherche.

Nous avons été étonnés de lire sur différents blogs que le récit était amusant voire qu’il y avait de l’humour dans l’intrigue amoureuse (cf le site Ricochet). Il nous semble justement que cette histoire n’est pas traitée comme un jeu ou un amusement. Chaque personnage est campé dans sa posture : le rouge-gorge court après sa belle tandis que la demoiselle reste inaccessible. Il y a comme une incommunicabilité entre les amoureux. Nous nous sommes d’ailleurs interrogés sur le caractère optimiste ou pessimiste de la fin. Les deux dernières doubles-pages présentent le rouge-gorge déguisé volant derrière l’oiseau blanc. A-t-il perdu irrémédiablement son amour ? Va-t-il rattraper l’élue de son cœur pour tout lui avouer et la conquérir ? Cette fin ouverte pose de nombreuses questions sur lesquelles pourront échanger les lecteurs.

Les illustrations

Les illustrations soutiennent beaucoup le récit. Chaque double page est un tableau qui transporte le lecteur dans une ambiance le plus souvent douce et mélancolique. Différentes notes colorées, plus ou moins dégradées, plus ou moins complémentaires se mélangent sur des fonds vaporeux. Des collages (peintures, photos montages…) sont finement insérés, permettant de créer des effets de relief et de profondeur. L’ensemble est fin et harmonieux. Le rouge-gorge reste le point phare de chaque illustration.

Les couleurs embarquent le lecteur dans un rapport au temps et à l’espace très relatif. On a parfois l’impression de traverser les saisons (la rencontre du rouge-gorge et de l’oiseau blanc au printemps, l’automne lors du déguisement, l’hiver à la fin du récit). On croit également voir passer les jours et les nuits (la nuit pour la sérénade du rossignol, l’aube pour offrir une rose). On se sent parfois perdu dans le brouillard (la page du loriot), perdu dans une espèce de désert (l’évanouissement de l’oiseau blanc). Le choix des points de vue et des cadrages participent à ces dépaysements successifs. Le lecteur est quelques fois éloigné des personnages, parfois il s’en approche et peut presque les toucher, parfois il les cherche dans les paysages. Il sera sans doute intéressant d’échanger entre lecteurs sur les ressentis : quels sentiments induisent les illustrations ? Quelles différences d’une page à l’autre ? Quels éléments sont récurrents ?

Il est évidemment question d’Asie, voire de Japon dans les illustrations. De nombreux éléments graphiques, dépassant totalement le récit en témoignent. Outre le Mont Fuji de la première de couverture on découvrira une magnifique pagode (peut-être en référence à Hiroshima), des rochers dans l’eau (peut-être la baie d’Hailong au Vietnam), un pont en bois, des moulins à prières, des drapeaux de prières tibétains… La végétation est également marquée par l’Asie : des cerisiers en fleurs, des lotus, des silhouettes d’arbres japonais… Ces éléments sont des objets de curiosité qui peuvent donner envie d’aller chercher plus loin sur l’art et les spécificités géographiques du Japon.

ALE + ALE sont deux artistes complémentaires, Alessandro Lecis et Alesssandra Panzeri. Le site Ricochet (https://www.ricochet-jeunes.org/auteurs/ale-ale consulté le 8.11.2020) donne différentes indications sur leur parcours. Ces deux artistes travaillent aussi bien dans la publicité que dans la presse du monde entier. Ils présentent leur travail sur un site très agréable à consulter

Pour accompagner la lecture

La particularité de cet album est de ne pas évoquer l’amour mais la séduction. Tomber amoureux procure des émotions vives évoquées dans de nombreux albums comme le magnifique L’amoureux de Rebecca Dautremer. Ici l’amour est direct, tout du moins du côté du rouge-gorge. Son problème est d’attirer l’attention de son amour, de se faire remarquer, d’entrer en contact. Il manque certes de confiance mais il tente également de répondre à des codes connus de séduction qui finalement ne l’aident pas. Ce sujet est certainement proche des jeunes lecteurs qui pourront avoir plaisir à faire part de leur expérience. Avec des lecteurs un peu plus âgés il sera possible de réfléchir aux codes actuels de séduction, via les réseaux et/ou les médias. Outre le plaisir de tourner les pages pour les regarder, cet album pose de vrais sujets d’échange.

Les livres évoqués dans cet article Je veux qu'on m'aime - Editions Milan L'amoureux - Petits Bonheurs

Article mis en ligne le 19.11.2020