Le gang des onze
Auteure-Illustratrice | Rocio Bonilla |
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Traducteur | Florent Grandin |
Editeur | Père Fouettard – 2023 |
Quand le timide Benji est invité à rejoindre le gang, il n’en croit pas sa chance. Ces badass sont admirés et respectés par tout l’océan ! Mais il est pris d’un doute : est-ce véritablement de l’admiration ou juste de la peur.
Mots-clés : mer, harcèlement, domination-pouvoir
Présentation générale
L’illustration de la couverture invite à une paisible promenade dans l’océan. Un petit poisson tout mignon, rouge avec des rayures vertes, nage au milieu de gros poissons gris plutôt souriants. Tout semble annoncer une gentille histoire d’amitié. Pourtant le titre dénote. Il n’est pas question d’une banale équipe de football à 11 joueurs mais d’un gang, de loubards peut-être, voire de gangsters.
La quatrième de couverture confirme ce terme « gang ». Elle évoque des badass, des mauvais garçons, des durs à cuire. A lire plus avant, les poissons gris sont vraiment des méchants. Ils dominent par la peur qu’ils inspirent. Benji, le petit poisson coloré, est crédule. Il suit le groupe en toute naïveté, persuadé de sa participation à un amusement partagé. Mais au bout d’un moment il prend conscience du rapport de force exercé et des mauvais agissements du groupe. Il décide de lâcher la bande, entraînant avec lui les autres poissons qui, tout compte fait, ne faisaient que suivre le meneur.
Voilà un album qui, d’emblée, joue sur ce que dit le texte et ce que montre l’image. Une histoire simple et un texte court pour soulever de nombreuses questions sur l’influence des autres, le plaisir d’appartenir à un groupe, les relations de domination… Aucune lourdeur, juste des faits à voir, à lire, à comprendre. Un livre facile mais pas anodin à mettre dans toutes les mains !
Commentaire
Le sujet du récit, tout à fait sérieux, est abordé dans une atmosphère douce et tendre non dénuée d’humour. En témoignent les deux pages de garde en début et en fin d’album qui racontent à elles-seules une histoire drôle en image : deux petits poissons rouges voient un hameçon… ils repartent après y avoir accroché une boîte de conserve vide qui traînait dans le fond. Les couleurs pastel plus ou moins vives sont apaisantes. Aucun trait tranchant ou saillant ne vient heurter le regard. Les fonds marins peuplés de toutes sortes de poissons et crustacés aux expressions amusantes participent à créer une ambiance chaleureuse. Malgré un lave-linge et un bidon posés sur le sable, les habitants de l’océan vivent tranquillement. Ils profitent de leur environnement pour se promener seul ou accompagné. Tout est fait pour propulser le lecteur en apesanteur, sous l’eau, sans angoisse. De fait l’oppression exercée par le gang est largement atténué dans ce contexte.
Benji et ses amis sont totalement intégrés dans cet environnement. Benji aime « manger de la salade d’algues et jouer au foot avec ses deux meilleurs amis ». Des plaisirs simples qui ne demandent pas d’aménagement spécial. Son invitation à rejoindre le gang ne perturbe pas l’ambiance générale. L’océan reste calme. Seules les postures, les expressions des poissons victimes témoignent de la violence des situations. L’agression du petit poisson bleu, meilleur ami de Benji, est suggérée par un encerclement à peine menaçant. Le résultat de l’action montre le petit poisson avec une mine abattue et un sparadrap, rien de plus. Le décodage des images est indispensable pour comprendre la violence des situations. Le texte est lui aussi comme lissé. Aucun terme abrupt n’est employé. Il est question de « faire tout » ce qu’on veut, de « nouvelles idées pour jouer », de « blagues » plus ou moins « marrantes ». Mais rien n’est vraiment dit sur la nature des intimidations voire de la brutalité des actions. Le rapprochement du texte aux images est nécessaire pour percevoir les enjeux du récit.
Benji est présenté comme un petit poisson « un peu timide ». Espèce de petit labre coloré, il est agile avec un ballon, il sait shooter. L’image qui le représente avec ses amis après un tir marqué dans un bénitier, sifflotant l’air de rien parce qu’il a dérangé une créature dans le coquillage, est hilarante. C’est grâce à ses qualités de footballeur qu’il est invité à intégrer le gang, d’où sa dénomination « numéro 11 », soit le deuxième attaquant de l’équipe. Benji est fier d’appartenir au clan des poissons gris. Il se sent « super important », il a le sentiment d’une liberté qui lui permet de jouer avec son groupe et au gré de leurs envies. Mais il ne s’amuse plus lorsque ses amis sont les victimes d’une « blague » qui tourne mal. Sa décision est définitive, il arrête de suivre les dix autres. Ainsi, Benji se montre intelligent et volontaire. Il se montre non seulement déterminé mais aussi convaincant puisque d’autres poissons le suivent.
Benji a un alter ego dont le texte ne parle jamais. Il s’agit du chef de la bande. Il est de la même forme et de la même taille que Benji mais il est gris. Il est toujours devant la troupe lors des déplacements. Il harangue ses acolytes quand le texte dit « Pas besoin de réfléchir ou de prendre des décisions. Il suffisait de suivre les dix autres. » En fait c’est lui qui mène son monde. Il s’autorise à prendre le rôle de spectateur pour observer ses coéquipiers terroriser les deux petits amis de Benji. Le ballon de foot entre les nageoires, il exprime, avec sa bouche, son plaisir malsain de domination. Il repart même en riant de la forfaiture. Ce petit poisson est le vrai méchant de l’histoire. Il est indispensable de le repérer pour prendre la mesure du fonctionnement du gang.
Les autres poissons gris, qu’ils soient plutôt poisson-ange, poisson-lune, ou carangue ont l’air de dominants tranquilles. Ils gardent les yeux fermés tout au long de leur périple jusqu’à ce que Benji déclare sa volonté de quitter le groupe. C’est à ce moment là qu’ils ouvrent les yeux, au sens propre comme au sens figuré, et qu’ils décident de lâcher le meneur. Leur décision les autorise à reprendre de la couleur puisque la dernière page les représente bigarrés s’amusant lors d’une joyeuse partie de football subaquatique. Il est donc possible de former une bonne bande de copains sans être un gang tout en continuant à faire des bêtises comme shooter dans le bénitier. La fin est optimiste puisque même le méchant est invité à rejoindre le groupe.
L’histoire est simple voire simpliste. L’arrivée du gang est soudaine, sans explication. Il apparaît « tout d’un coup », personne ne le connaît, on ne sait rien de son histoire, il est juste là. Benji accepte l’invitation du chef sans réfléchir. Il ne s’interroge pas sur l’éviction de ses amis ou la nature de cette nouvelle équipe, il est flatté et profite. Son plaisir puis sa réflexion autour des actions menées avec le groupe est un peu développé mais la fin est très rapide. Benji ne veut plus appartenir à la bande, il se retire, voilà tout. L’emprise que peut exercer un groupe n’est pas évoquée. Il n’y a pas d’opposition, pas d’explication. Et comble de bonheur tous les autres poissons le suivent. La résolution du problème est très (trop) facile. Ces différentes réflexions nous ont amenés à nous interroger sur les thèmes développés en lien avec le niveau d’âge des lecteurs. Il nous semble que les lecteurs plus âgés comprendront bien l’influence de l’effet bande, le plaisir à se sentir intégré dans un groupe, le pouvoir du groupe sur le jugement individuel avec toutes les ambiguïtés qui y sont associés. Les lecteurs plus jeunes envisageront davantage la loi du plus fort et le fait de suivre un autre sans réfléchir. En tout état de cause l’album dénonce l’importance d’un jeu partagé, consenti par chaque parti, qu’il soit collectif ou individuel.
De belles illustrations pour une histoire bien sentie. Benji est petit, courageux et intelligent. Il sait prendre des décisions et n’hésite pas à revenir sur ses choix s’ils ne correspondent pas à sa façon d’appréhender le monde. Il fait le choix de l’amitié et de la bande libérée de toute domination. Les lecteurs pourront sans nul doute s’identifier à ce petit animal aquatique si sympathique pour réfléchir à leur relation d’amitié et aux influences pas toujours fastes qui pourraient les attirer.
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