Le nuage de papa

Le nuage de papa
Auteure

Agnès de Lestrade

Illustratrice

Stéphanie Marchal

Editeur

Alice jeunesse – 2023

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Depuis quelques temps, papa a un petit nuage au-dessus de la tête.
Ce nuage l’empêche de faire ce qu’il aime. Avec maman, on essaye de trouver des solutions pour que le nuage embête un peu moins papa. On essaye de souffler dessus, de le rétrécir, de lui faire peur.
Mais ce nuage est vraiment têtu.

Mots-clés : famille, maladie 

Présentation générale

Un papa avec un nuage au-dessus de la tête est un papa soucieux. Et quand le nuage est permanent, quand il cloue le papa au lit, l’empêche de parler, de s’intéresser aux autres, de sortir, il n’y a plus de doute, le papa est en pleine dépression.
Le nuage de papa est l’histoire de la dépression d’un parent vue à hauteur d’enfant. Une petite fille raconte comment elle essaie d’aider son père à chasser le nuage qui le rend si triste, si absent. On la voit tenter au quotidien de protéger son papa, de le divertir, de chasser la noirceur d’âme qui le mine.

Mais le nuage est vraiment fort, et la petite fille, malgré toute sa bonne volonté, n’arrive pas à l’éloigner. Il faut attendre une situation critique, le moment où l’enfant pleure, pour que le père, par amour, arrive à s’émanciper du nuage et à reprendre, en partie, le cours de sa vie familiale.

L’image finale est plutôt optimiste : le nuage semble sortir de la page, la famille retrouve une certaine joie de vivre avec un soleil placé au-dessus de leur trio. Le texte, lui, reste prudent quant à l’avenir : « on sait bien que le petit nuage peut revenir un jour, mais maintenant, on sait aussi qu’il repart […] ».

Beaucoup de réalisme dans les situations et les émotions suggérées. Beaucoup d’amour également. Un bel album, délicat et juste, pour parler de la dépression d’un parent.

Nos commentaires

La première de couverture ne reprend aucune illustration de l’album. Un fond vert tendre avec un arbre aux feuilles colorées dans une harmonie de tons chauds. Un papa à la marinière rayée jaune et blanc, le regard un peu perdu tourné vers un petit nuage crayonné en noir au-dessus de la tête. Un soleil feutré placé au-dessus du titre. L’accroche de cette première est une invitation à lire l’histoire d’un papa isolé et soucieux dans un contexte doux, posé, tranquille. Cette première donne le ton de tout l’album. Même si au fil des pages le problème de la dépression devient évident, il n’y a pas de dramatisation. Les situations sont parfois dures, difficiles à vivre mais l’histoire se déroule sur un fond de mélancolie, sans amertume et sans colère. Il y a beaucoup de pudeur et de subtilité tant dans le texte que dans l’image.

A l’intérieur de l’album les illustrations restent couleur pastel, mais il n’est plus question de vert, couleur d’espoir. Ce sont des fonds bleu-gris, rose saumon ou jaune pâle qui prennent le relais. Au tout début le papa est représenté avec une bouche concave et des sourcils obliques, signe d’un problème personnel. Et puis ses postures, ses attitudes déclinent, il dort, il est avachi, il n’arrive pas à se tenir droit. Son expression est fermée, ses yeux sont inexpressifs comme vides. Le nuage qui ne le lâche pas est plus ou moins intense, plus ou moins volumineux, plus ou moins proche. Il est placé au-dessus du papa, sur lui, il le recouvre même parfois. Il est toujours dessiné par un crayonné nerveux un peu brouillon. Grâce à ses traits de crayon Stéphanie Marchal, l’illustratrice, amène le lecteur à percevoir facilement l’influence de ce terrible nuage. Les jeunes lecteurs n’identifieront peut-être pas l’état dépressif du personnage en tant que tel. Mais par l’image ils comprendront rapidement que le nuage noir, avec toutes ses fluctuations, est un ennemi terrible pour toute la famille.

A contrario le texte ne joue pas sur la forme du nuage qui est toujours décrit comme« petit », à l’identique du titre. C’est la fillette qui parle, d’où une écriture en « je ». En choisissant cette forme Agnès de Lestrade, l’auteure, met en scène le nuage comme un objet possédant un esprit. Elle s’appuie sur les croyances animistes des jeunes enfants qui considèrent que la nature est animée et que chaque chose possède une âme. Aussi la narratrice prête-t-elle au nuage toutes sortes de pensées et d’agissements. Quand papa pleure elle dit que le nuage « coule en eau sur les joues de papa », elle pense qu’il est « très musclé » et qu’il empêche son papa de sortir quand elle lui tire le bras, elle croit que « le nuage grossit et enveloppe tout le corps de papa » quand « il n’est pas content du tout »… Cette façon de penser permet de déculpabiliser totalement le papa. Ce n’est pas de sa faute s’il dort beaucoup, s’il ne réagit pas aux chatouilles ou s’il reste enfermé dans la maison. C’est de la faute du nuage. Il n’est pas question de chercher la cause du mal, il n’est pas question non plus de disputer le papa et de se désespérer de son manque de réaction. La fillette vit l’instant et elle tente juste d’aider son papa à l’accompagner dans le présent en luttant contre le nuage ennemi. L’image reprend allègrement toutes les suggestions de confrontation entre la petite fille, le nuage et son papa confirmant ainsi le point de vue de la narration écrite.

L’album évoque, on l’aura compris, une dépression profonde. Mais il parle aussi d’amour et de tendresse. Agnès de Lestrade et Stéphanie Marchal ne racontent pas vraiment la maladie. Elles évoquent surtout le combat d’une mère et de sa fille pour tenter de sortir leur conjoint et père de sa léthargie. Il faut lutter contre les crises de larmes, contre le détachement, la passivité, l’abattement, l’isolement. La petite fille emploie une énergie incroyable pour faire fuir le nuage et protéger son père. Elle n’hésite pas à utiliser un parapluie-égouttoir pour « ratiboiser » le petit nuage, à chercher toutes sortes d’objets pour chasser l’imposteur… Elle est tellement sûre que son père l’aime qu’elle ne lui en veut jamais quand il manque à ses devoirs. Elle est sûre que c’est la faute du nuage. La fillette n’est pas seule, sa mère l’aide dans son combat. Elles sont toutes deux attentionnées, attentives, en permanence. Leurs postures positives permettent de supporter le mal-être du papa, même si ce n’est pas toujours facile. Il n’y a aucun doute possible sur l’amour qui unit la famille comme en atteste le tendre câlin du papa avec sa fille lorsque le nuage le laisse un peu tranquille. Les images sont belles et les mots sont choisis. Il y a même quelques bribes d’humour et de dérision dans le texte comme dans l’illustration. Un sentiment de grande tendresse traverse chaque page.

Un papa qui n’arrive plus à se connecter avec lui-même et avec les autres. Une fillette et une maman qui ne lâchent rien et qui luttent contre l’ennemi invisible qu’est la dépression sans état d’âme, sans jugement, juste par amour. Un album sensible et intelligent.