Le plus beau match de Madani
Auteure | Fran Pitadera |
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Traductrice | Chloé Marquaire |
Illustratrice | Raquel Catalina |
Editeur | Edition des éléphants – 2023 |
Dans le quartier, on n’a jamais vu de joueur de foot comme Madani. Avec lui, chaque match, chaque dribble, chaque but marqué est commenté pendant des jours. Quand il marque, l’euphorie envahit la place, gagne tout le quartier, et de chez elle, la mère de Madani sait que son fils a marqué. Pourtant Madani joue pieds nus. Ses copains ont hâte qu’il puisse s’acheter des chaussures. Comme ça, il sera encore plus fort ! Et ça tombe bien, Madani économise…
Une histoire tendre et émouvante qui montre que le football peut aussi être un sport populaire, qui fédère les générations, crée du lien et permet de se réaliser.
Mots-clés : différence, sagesse, point-de-vue, sport
Présentation générale
Madani est un joueur de football doué. Non seulement il marque des buts mais en plus il a du style. Son jeu, même pieds nus, est remarquable. Tout le monde dans le quartier l’admire. Sans aucun doute il serait encore plus puissant et plus agile avec des vraies chaussures de foot. Ses coéquipiers comptent sur lui pour vaincre l’équipe rivale, La Florida. Madani ne participe pas au dernier entraînement parce qu’il va faire des courses en ville. Selon toute logique il devrait revenir chaussé, armé pour gagner.
Mais Madani n’a jamais eu l’idée d’utiliser ses économies pour s’acheter des baskets. Son souhait le plus cher est de partager son bonheur de jouer avec sa maman. Il a donc acheté le cadeau qui permet à sa mère d’être en partie soulagée de son travail pour venir applaudir son fils. Le match contre l’équipe La Florida est formidable, non pas du fait d’une victoire, mais parce qu’il réunit concrètement un fils et sa mère dans un agréable moment de loisir.
Une histoire de football mais aussi et surtout l’histoire d’un amour filial simple, sincère et profond.
Nos commentaires
L’approche de la première de couverture peut laisser penser que le lecteur s’engage dans une histoire de football, un sujet souvent décliné en ce moment en littérature de jeunesse. Mais Le plus beau match de Madani n’est pas uniquement un récit sur ce sport. Certes Madani est un joueur talentueux reconnu dans son quartier et même dans la ville. Mais il ne défend ni son sport ni son équipe en tant que tels. Sa valeur essentielle est l’amour qu’il porte à sa maman. C’est ce qui fait toute l’originalité de ce bel album sensible et émouvant.
Le football apparaît ici comme un simple jeu de rue, populaire, ouvert à tous. Madani n’a aucun scrupule à jouer pieds nus. Il ne cherche pas à briller, il ne dribble pas pour être admiré ou adulé. Il joue pour son plaisir et il procure du plaisir à toutes celles et à tous ceux qui le regardent. Il joue tellement bien que toute la place retient son souffle. Pas seulement la place, le monde entier ! Bien sûr c’est l’euphorie quand il marque, Buuuuut ! Le cri retentit jusqu’au bout de la ville. Et heureusement ! Ainsi la maman de Madani, coincée chez elle pour finir son ouvrage de couture, peut se réjouir de la réussite de son fils. Aucune revendication de la part du garçon ou de sa mère. Leur situation économique les contraint à vivre dans des conditions peu favorables mais ils gardent tous les deux le sourire. Madani pratique un loisir qu’il aime, cela réjouit sa maman, de loin. L’enfant ne cherche pas à performer, il souhaite juste partagerconcrètement son bonheur avec sa mère. La dernière illustration qui montre la mère et le fils à la fin du match est réjouissante. Tout le monde est tourné vers Madani, le sourire aux lèvres, heureux d’avoir vu une belle partie. Mais Madani et sa mère n’ont aucune conscience de ce qui se passe autour d’eux. Complices, ils se tiennent par la main et échangent un regard rempli de tendresse. Ils sont simplement heureux d’avoir enfin vécu le match ensemble. C’est cette relation d’amour qui est le cœur du récit.
Comme nous l’avons vu, Madani et sa mère n’ont pas beaucoup d’argent. Le contexte socio-économique pourrait paraître pesant mais il n’en est rien. Madani joue pieds nus et, a priori, ce n’est pas son choix. Il économise son argent en se privant de goûter et en marchant plutôt qu’en se déplaçant en bus. Sa situation est difficile. Mais Madani n’a pas faim, il ne souffre d’aucun manque matériel. Il est, de toute évidence, heureux dans son foyer. Son passe-temps favori est le football, cela le comble. Il adore jouer, s’entraîner pendant des heures dans son quartier. Ses coéquipiers l’admirent sans le jalouser et Madani est bien intégré dans son équipe. Quand Madani annonce à ses copains que les « matchs seront encore plus incroyables » après ses achats en ville il semble évident, pour ses amis (et un bon nombre de lecteurs), qu’il reviendra avec une paire de baskets. Seule une illustration suggère son achat. Madani se tient devant un magasin de machines à coudre, de dos, la boîte de ses économies sous le bras. A son retour sur le terrain il est étonné de la réaction de ses camarades (« Qui vous a dit que c’était pour des chaussures ? ») et il ne souhaite qu’une chose, aller jouer ! Madani n’a aucune conscience du caractère altruiste de son acte. Il ne tire aucune gloire de son comportement. C’est un garçon généreux, passionné de football, et surtout très attentionné pour sa mère.
Pourtant le sport pratiqué par Madani n’a pas été choisi au hasard. Le football est souvent décrié pour son aspect trop compétitif et lucratif. Il faut bien avouer que la médiatisation incroyable dont il est l’objet le propulse dans des sphères financières qui dépassent largement le simple jeu de balle. Le football est pourtant issu d’une économie populaire et il représente, à l’origine, un divertissement simple pour tout public, sans condition sociale ou économique. Dans cette histoire il est bien sûr question de Madani, un garçonnet à l’âge peu défini. Mais le récit n’est pas qu’une anecdote morale destinée aux enfants. L’album concerne tous les âges, adultes comme enfants. En soutenant de vraies valeurs sportives, il défend le foot pour son jeu et lui redonne sa dimension ludique et humaine.
Tout d’abord, le football est présenté ici sans aucun adossement à une valeur commerciale quelconque. Madani joue sur la place du village, le terrain est entouré de grillage. C’est formidable car ainsi tous les passants bénéficient du spectacle, les habitués (les serveurs, les anciens) comme les gens de passage (les voitures s’arrêtent). Cela correspond tout à fait à l’esprit du football, un sport d’extérieur, praticable partout et visible par tous. Les joueurs ont tous un maillot vert, certainement prêté par le club pour se reconnaître en tant qu’équipe, mais il n’y a pas d’achat individualisé. Personne, par exemple, n’a offert de chaussures à Madani. C’est une bonne chose. Madani est totalement indépendant, il pratique son sport comme il l’entend. Ainsi il n’est pas question d’argent, que ce soit pour le spectacle ou pour accompagner des joueurs particuliers, notamment des joueurs doués.
Ensuite le récit limite largement le culte de la personnalité, si prégnant dans les médias actuellement. Madani est un très bon joueur. Il excelle dans l’art du dribble. La double page qui le présente balle au pied, sur le genou, sur le dos, sur le nez montre son talent hors du commun. Mais Madani ne dribble pas pour qu’on l’admire, il jongle avec la balle pour passer ses adversaires et marquer des buts. C’est aussi un bon tireur mais il n’est pas le meilleur buteur de la ligue. Il a des marges de progrès à envisager. Il a notamment du mal à intercepter les passes hautes. Il tente à chaque match la fameuse reprise de volée et il la rate systématiquement. Madani joue bien mais il n’a pas couru plus vite ni mieux tiré que les autres fois lors du dernier match contre La Florida. Le match nul (deux partout) qui clôture l’album symbolise l’équilibre d’un jeu aléatoire. On trouve toujours un joueur meilleur que soi à un moment donné. Et un joueur, même émérite, ne fait pas à lui seul l’équipe et la victoire. Le match est un spectacle dans lequel Madani joue un rôle important, et le garçon n’a aucun mal à partager son plaisir de jouer. Cependant il a encore des lacunes et il est faillible. Son besoin de se tester dans des gestes techniques encore mal maîtrisés montre sa ténacité et sa persévérance. Le seul enjeu pour Madani est de s’amuser et de progresser. Le reste suit.
Les choix illustratifs reflètent l’humilité du personnage principal et du sport en général. Pas de couleurs clinquantes. Le contexte est plutôt présenté sous des couleurs sépia, un peu surannées, agrémentées de quelques couleurs plus vives, notamment dans l’appartement où la mère coud, pour relever la chaleur du foyer. Les joueurs sont en vert, ou rouge, selon leur équipe. Là aussi la coloration est largement adoucie par des ombrages ou des effets de crayonnés. L’équipe de Madani est évidemment verte, couleur de l’espoir. Les personnages sont nombreux, expressifs, le plus souvent bienveillants. Il y a beaucoup de vie dans chaque image, une vie sociale sans course effrénée qui permet aux gens de se croiser, de se sourire, de suivre le vol des oiseaux… ou d’être indifférents. Les manipulations de balle et les matchs sont évidemment largement illustrés dans un rythme agréable à suivre, en plans larges ou rapprochés, dessinés en pleine page, sur double page ou encore avec de multiples dédoublements. La posture des joueurs et joueuses reflète la joie de marquer, le désespoir de perdre, l’étonnement et l’admiration portés à Madani… en deux ou trois coups de crayon seulement. Madani, comme ses coéquipiers, est dessiné simplement, avec peu de traits. Il est, peut-être le seul à avoir de grands yeux noirs, c’est tout. Quelques détails dépassent le texte. Il est intéressant, par exemple, de remarquer la présence de joueuses dans les équipes. Le lecteur pourra s’amuser à observer les quatre retraités, un peu biscornus, qui participent de près ou de loin aux matchs. L’ensemble apporte un sentiment de sérénité dans une tranche de vie habitée par le football au quotidien. Texte et image ouvrent à un optimisme tranquille.
Une approche sensible d’un personnage jeune, passionné, généreux, et surtout pas égocentré.
Des valeurs sportives simples et essentielles comme l’esprit d’équipe, le partage, la discipline ou encore le dépassement de soi…
Une espèce d’intemporalité qui donne de la profondeur au récit.
Le plus beau match de Madani est un album simple qui aborde le football comme un sport sain, une activité épanouissante, un lieu de partage.
Pour aller plus loin
Quelques romans
Très souvent la littérature s’appuie sur le football pour dénoncer des difficultés d’inclusion ou encore différents problèmes liés à la surexposition médiatique et au système de starisation. Thierry Christmann dans La ville qui rend foot montre les problèmes rencontrés par un nouvel élève pour intégrer une équipe constituée. Dans Fous de foot Fanny Joly met en exergue les compétences d’une joueuse qui a bien du mal à être reconnue. Anaïs Sautier, quant à elle, fait état des complications que rencontre une équipe mixte de football pour s’organiser dans son quartier et au sein de la fédération dans sa série Bande de Boucan. Elle évoque également le comportement malhonnête de certains entraîneurs prêts à tout pour gagner. Les joueurs parfois sont également tentés de tricher comme dans Trop fort Tony ! de Eric Simard.
Quelques vidéos
Les dribbles tiennent parfois de l’art du jonglage comme en témoigne une nouvelle pratique, le foot free style. Différentes explications sont disponibles en vidéo.