Le roi et Rien

Le roi et Rien
Auteur-Illustrateur

Olivier Tallec

Editeur

Ecole des loisir / pastel – 2022

Catégories : , , Étiquette :

C’est l’histoire d’un roi qui avait tout, vraiment tout : des éléphants sans trompe aux patins à glace goût caramel. C’était un grand collectionneur. Il ne lui manquait presque rien. Ou plutôt il lui manquait RIEN. Quand un roi qui a tout cherche à trouver RIEN…

Mot-clé : langage

Présentation générale

Un roi, tout petit dans les grandes pages de son album, part en quête. Il est concentré car sa recherche est sérieuse, elle est quasiment existentielle : le roi cherche « Rien ». Comment faire ?

Le roi tâtonne. Il pense pouvoir s’appuyer sur les savoirs des livres mais il ne trouve pas. Il croit que se rapprocher de l’infiniment petit lui permettra de trouver une solution. Rien à faire. Il cherche du côté du vide, du côté de l’infiniment grand, du côté du « rien du tout »… mais il reste toujours une trace, un petit quelque chose. A bout d’argument le roi finit par se débarrasser de tout, même de ses vêtements. A-t-il atteint sa quête ?

Nos commentaires

Olivier Tallec s’empare d’une question philosophique complexe : qu’est-ce que RIEN ? Le dossier pédagogique mis en ligne par l’école des loisirs indique qu’il s’est inspiré de la question explicite du philosophe allemand Martin Heidegger «Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?» pour écrire son album. Il est vrai que cette notion de RIEN est vraiment intrigante.

On peut déjà s’étonner de l’origine étymologique de « rien » qui est « rem » (accusatif de « res » en latin) qui signifie « quelque chose »… On peut faire le constat d’un usage fréquent du mot dans la langue courante. On le trouve dans de nombreux proverbes comme «Je sais que je ne sais rien »(Socrate), « Qui ne risque rien n’a rien » (proverbe français), « Qui n’a rien n’est rien » (proverbe italien)…, On l’entend dans de nombreuses expressions comme « ça ne fait rien », « un bon à rien », « j’en ai rien à faire », « c’est tout ou rien », « rien ne vaut… »… Or, à l’usage, on s’aperçoit que le mot « rien » renvoie à plusieurs définitions plus ou moins contradictoires. Il représente parfois le vide voire le néant, parfois il évoque l’absence d’un tout. Il peut également signifier une petite quantité ou une petite chose, une chose insignifiante. Le terme dans son aspect conceptuel est complexe.

Raymond Devos dans son sketch Parler pour ne rien dire le décline avec subtilité, s’appuyant sur les mathématiques pour aller jusqu’à l’expression « trois fois rien » qui est déjà « quelque chose ». Ce sketch nous rappelle que « Rien » est également un objet mathématique représenté par le zéro. En tant que nombre (0) il représente le nombre d’éléments d’un ensemble vide. En tant que chiffre (dans 104 par exemple)) il montre l’absence d’écriture d’un chiffre. Cette nouvelle réflexion ne fait qu’enrichir les représentations de « Rien ». Il n’est vraiment pas simple de définir le mot « rien », il est encore plus difficile de vouloir le trouver.

Au début de son histoire, Olivier Tallec présente la notion de « Rien » en opposition à la notion de « Tout ». Le roi a tout et il cherche « Rien ». Y a-t-il une référence à la surconsommation, au besoin de tout posséder ? C’est possible. On pourrait assimiler le petit roi à un enfant roi, trop gâté, qui ne désire plus rien. La question de son bonheur est alors posée. Pourquoi le fait de tout posséder ne lui suffit-il pas ? Pourquoi n’est-il pas satisfait par l’anéantissement de sa collection qui devient égale à 0 ? Quels sont réellement ses besoins ?

Mais rapidement l’auteur dépasse l’opposition « Tout » ou « Rien ». Il projette son personnage dans une quête très sérieuse du « Rien ». Cette recherche est intéressante car elle permet de mieux poser la question de ce qu’est le « Rien ». Le roi, dans un esprit cartésien, suit différentes pistes et élimine au fur et à mesure les hypothèses de départ. Ses expérimentations portent sur quelque chose qui ne se voit pas, qui ne prend pas de place, qui n’est pas, qui laisse un vide… Il explore ainsi différents caractères du concept. Après diverses tentatives il finit par faire le vide autour de lui. Il va jusqu’au dénuement le plus total pour n’avoir plus rien et « laisser toute la place pour Rien » sur la dernière page entièrement blanche. Notons cependant qu’une page blanche n’est pas rien. La quête n’est peut-être pas finie même si elle s’arrête là.

L’album inspire, de toute évidence, de nombreuses questions d’ordre philosophique et linguistique pour faire réfléchir les lecteurs. Les enfants seront-ils réceptifs à ces questions d’ordre conceptuel ? Seront-ils sensibles aux différentes problématiques ? Olivier Tallec leur fait confiance. Le dossier pédagogique de l’éditeur évoqué plus haut est une ressource intéressante pour les adultes. On y trouve des sujets de goûters philosophiques ainsi que des activités de réflexion en lien avec l’album.

Le roi et rien est un album pour s’interroger, mais c’est aussi un album pour s’amuser et les lecteurs auront sans aucun doute beaucoup de plaisir à suivre le petit roi tout au long de son parcours. Le personnage en lui-même n’est jamais hilare. Il est plutôt sérieux, préoccupé, investi dans sa tâche. Il est seul et ne cherche aucune aide, c’est un roi ! Il a une allure détonante avec ses petites jambes et sa grosse tête dans son espèce de pyjama jaune canari. On peut lire ses pensées dans ses postures et dans son regard sur certaines pages aux allures comiques. Mais son visage reste fermé devant toutes ses bévues. Cela apporte une distance dans la lecture qui permet de prendre de la hauteur. De fait le lecteur se pose la question du « Rien », mais il n’entre pas en empathie avec le personnage. Il observe de loin le petit roi se débattre dans ses essais-erreurs et il peut s’en amuser. Certains moments de dépit du personnage peuvent être assez jubilatoires. Ce petit roi nous fait penser à différents personnages secondaires du Petit Prince de Saint Exupéry, isolés sur leur planète, attelés à leur tâche sans jamais y déroger (l’aiguilleur ou l’astronome par exemple). Il est un peu solaire.

D’autres éléments de l’album prêtent également à se divertir. Olivier Tallec manie avec beaucoup de talent les mises en pages ou plutôt les mises en scène des différentes situations. La collection du roi au début du récit est réjouissante. L’accumulation improbable d’objets hétéroclites donne envie d’établir des listes et d’élargir encore la collection avec des nouveautés. Le défilé des animaux par ordre décroissant est rocambolesque. La découverte du poil de chien sur le tapis récemment aspiré ressemble à un acharnement de malchances… Chaque double page offre son lot d’éléments humoristiques que le lecteur appréciera.

Un grand format pour parler de « Rien ». Un petit roi de rien qui propose au lecteur d’apprendre quelque chose. Bref, un album étonnant, intelligent et divertissant. Ce n’est pas rien !!!