Les gens sont beaux

Les gens sont beaux
Auteur

Jean-Baptiste Beaulieu

Illustrateur

Qin Leng

Editeur

Les Arenes – 2022

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« Je vais te confier un secret : un être humain, c’est une histoire. Et quand tu connais cette histoire, ça change tout. »

Mots-clés : grands-parents, identité, différence

Présentation générale

Une petite fille passe ses vacances chez ses grands-parents. Un jour, il lui raconte l’origine de la cicatrice qui lui barre le visage. Enfant, il a bousculé son oncle coiffeur qui tenait un rasoir à la main. Cet objet est tombé et lui a coupé le visage. « Cette trace, c’est mon histoire. Et tout le monde en a une. » Pour en persuader sa petite-fille, son grand-père, ancien médecin, va l’emmener à travers Paris et lui raconter les traces de gens qu’il rencontre et qu’il a connus.
On suit donc cette déambulation dans divers quartiers parisiens, maisons, train de banlieue, café, tour Eiffel, bus, et rues de quartiers très mélangés socialement. Le grand-père égrène des histoires au fil des gens qu’ils croisent.

Nos commentaires

Baptiste Beaulieu est médecin généraliste le jour et écrivain la nuit. C’est un passionné de médecine humaine et il a déjà écrit une dizaine de livres autour de sa vie professionnelle, tous avec une visée humaniste et relationnelle.

Dans ce premier album pour la jeunesse, il garde cette bienveillance qui le caractérise en allant dans la transmission auprès des plus jeunes du respect à porter aux corps : son propre corps, mais aussi le corps des autres dont on n’a pas à se moquer ou à s’effrayer puisqu’ils sont le résultat d’une histoire de vie. Il s’appuie pour cela sur son expérience professionnelle qui lui a montré bien des corps de toutes natures et de toutes couleurs et veut apprendre aux plus jeunes à s’intéresser à ces différences qui sont des récits de vie.
Ils rencontreront ainsi Hakim, plié en deux par son travail de carreleur, à genoux, penché sur le sol à longueur de journée et handicapé à jamais par ce travail. Puis Maryline attirera leur regard par ses démangeaisons continuelles dues à de l’angoisse permanente dans son travail, comme Lionel, le serveur du café, qui est exténué par ses nuits blanches à s’occuper de son nouveau-né.

En haut de la tour Eiffel, c’est Rebecca que tout le public regardera car sa forte corpulence ne passe pas inaperçue. Et elle désarmera les voyeurs par des sourires qui les gêneront plus qu’elle ne semble gênée. Puis ce sera Antoine, le très maigre, et pour finir sa grand-mère, abîmée par des produits de beauté.

A chaque étape, le grand-père donne des conseils à son petit-fils : remercier celui qui s’est usé pour nous dans son travail, comprendre que des humiliations subies peuvent créer des angoisses, valoriser ceux qui se comportent avec sérieux et bienveillance, ne pas se moquer de ceux qui sont différents…« Nos blessures guérissent mieux quand on les partage que quand on les cache. Alors, au lieu de rester chacun dans son coin, on devrait se dire : C’est quoi ta blessure ? C’est quoi ton histoire ? On se sentirait tellement moins seuls. »

A la fin de l’histoire, la fillette est revenue à son point de départ mais son regard a changé. Elle remarque les traces blanches sur le visage noir de sa grand-mère et lui prend la main pour faire avec elle un tour de quartier en étant toutes deux attentives à ceux qui, comme sa mamie, ont été abîmés par la vie. On termine donc sur une enfant qui a grandi, qui sait regarder les autres et leur transmettre ce que son grand-père lui a appris.

Ce livre se lit autant qu’il se regarde. On peut y voir d’autres choses que celles dont il est fait mention : un couple mixte, des personnes d’origine étrangère, un sans-domicile, des touristes…et tous ces personnages sont repris dans une grande illustration sur une double-page dans laquelle ils se mélangent et cohabitent. On passe ainsi de l’intime à l’universel pour donner au propos une plus grande force et inciter à échanger avec l’autre plutôt qu’à le juger ou le rejeter.
« Tout ce qui est arrivé est arrivé et on ne peut rien y changer. Qu’est-ce qu’on peut en faire maintenant ? » Une belle réflexion philosophique à hauteur d’enfant.

Cet album d’un grand format est illustré par Qin Leng en aquarelles très colorées. Cela donne un style doux et chaleureux, avec une expressivité forte tant dans les douleurs des gens meurtris que dans ceux qui les regardent. On y lit la surprise, la moquerie, la colère, la relégation, la fuite… L’illustratrice situe toujours les personnages dans un environnement humain du quotidien qui inclut les personnes présentées parmi d’autres pour montrer la diversité de physiques, de couleurs, d’âges… des populations et mettre en avant que nous sommes tous différents dans notre corps et notre relation aux autres. C’est une tonalité qui se marie fort bien avec le texte calme et positif.

Notre avis

Ce livre s’adresse à tous, enfants et adultes, jeunes ou plus âgés. Il nous permet de prendre conscience des marques de notre histoire sur notre corps, et de ne pas oublier que tous ceux qui nous entourent ont également une histoire plus ou moins visible à porter.
Baptiste Beaulieu nous invite à être observateurs pour comprendre les gens avec qui nous vivons. Les cicatrices font d’autant moins souffrir qu’on en parle. Et en parler avec les enfants est nécessaire pour aller vers un changement de regard sur l’autre, sur son physique mais aussi sur sa façon de vivre et d’être.
Le message n’est en aucun cas moralisateur. L’entrée par le côté médical permet de faire un « diagnostic » hors de tout jugement. C’est un livre qui doit être accompagné et discuté pour amener à des échanges sur les causes des cicatrices de vie mais aussi sur les cœurs qui habitent ces corps et qui souffrent aussi souvent. Un beau message optimiste, jamais mièvre, qui parle à tous.
L’auteur termine son livre par ces belles phrases :
On te dit « Sois toi-même ! » mais personne ne te dit à quel point c’est dur. Toi qui me lis, retiens bien, et n’oublie pas : être humain, vivre, aimer, pleurer, espérer, ressentir…quoi qu’on en dise, c’est être héroïque.
Merci à lui pour ce très bel album.

Pour aller plus loin

Une présentation du livre et une interview de l’auteur sont disponibles sur Youtube.

Baptiste Beaulieu vient de sortir un deuxième album jeunesse : On a deux yeux pour voir.

On a deux yeux pour voir - 1

C’est l’histoire d’un enfant qui se réveille un matin avec deux yeux différents : une prunelle en forme de croissant de lune, et une autre en forme d’étoile. Grâce à l’œil lune, l’enfant voit tout ce qui est bon et joyeux. Avec son œil étoile, tout ce qui est mauvais ou triste.
L’enfant comprend vite qu’il a besoin de ses deux yeux pour voir, pour appréhender le monde. Il ne s’agit pas de voir uniquement le « bon » côté des choses, mais bien de tout regarder « en entier ».
Encore un beau livre sur les émotions et les choix de vie.

Sur le même thème mais sous forme d’un album documentaire plus ancien (1981 réédité en 2009) : Sept milliards de visages De Peter Spier à l’Ecole des Loisirs.

Sept milliards de visages - 1