Les vrais filles et les vraies garçons

Les vrais filles et les vraies garçons
Auteure

Audren

Editeur

Thierry Magnier – 2019

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Le jour de sa rentrée en CM2, Aretha n’en croit pas ses yeux : dans sa nouvelle école, les filles et les garçons ne se mélangent pas ! D’un côté il y a les Machos qui, paraît-il, ne parlent que de foot, et de l’autre les Pipelettes qui, c’est bien connu, ne s’intéressent qu’aux poupées à paillettes. Quels horribles clichés ! Aretha a bien envie d’envoyer valser ces préjugés idiots une bonne fois pour toutes, mais le clan des garçons, mené par Merlin, résiste…

Mots-clés : amitié, fille-garçon

Notre présentation

D’un côté il y a les garçons de la classe, machos, dénigrant les filles. De l’autre côté il y a les filles, ancrées dans des idées préconçues sur les garçons, se posant très peu de questions sur la condition féminine. C’est à se demander, comme l’exprime la vieille institutrice, s’il ne serait pas souhaitable de revenir à la séparation des sexes à l’école avec une école des filles et une école des garçons.

Heureusement il y a Arétha, sa surprise en constatant les clans filles/garçons, sa clairvoyance, sa volonté de faire bouger les choses. Elle utilise son pouvoir de persuasion pour que filles et garçons dépassent les représentations stéréotypées dont ils sont les victimes et pour qu’ils comprennent la nécessité d’appréhender à égalité hommes et femmes.

Elle affronte essentiellement Merlin, le chef de la bande des garçons, délégué comme elle, l’opposant le plus virulent. Elle bénéficie heureusement de différents soutiens, notamment de Fergus, le premier garçon à rallier le rang des filles.

Voilà un roman dynamique et bien écrit qui pose clairement la question du sexisme autour des clichés sur les genres. Un membre de notre comité de sélection nous disait qu’elle aurait aimé croiser ce roman quand elle était petite. Laissons cette chance à de nombreux lecteurs des années 2020 !

Nos commentaires

Le titre de ce roman a fait réagir plusieurs membres de notre comité de lecture qui n’ont pas compris qu’une auteure puisse volontairement tordre l’orthographe des mots, certains l’ayant même pris pour de la provocation.

Nous pensons plutôt qu’en intitulant le livre ainsi, en faisant exprès les mauvais accords de GENRES grammaticaux, celle-ci voulait poser d’emblée la question des GENRES, masculin et féminin, et aller plus loin en se demandant s’il y avait vraiment de vraies filles et de vrais garçons , c’est à dire des modèles à suivre.

Cette interrogation se suit tout au long de cette histoire et cherche à interpeller les lecteurs sur les idées préconçues, les stéréotypes, les références familiales que les enfants se doivent de respecter. Elle ouvre aussi tous les possibles en permettant à chacun de s’autoriser à choisir sa voie, même si elle n’est pas celle attendue par le contexte parental ou culturel.

Il n’est pas rare que les garçons et les filles se séparent « naturellement » à l’école. Les discussions autour des goûts  « sexués» sont également fréquentes. De ce fait, les enfants n’auront pas de mal à comprendre la situation de départ.

Le choix d’une écriture alternée en deux points de vue, Arétha puis Merlin, donne à mesurer le déséquilibre entre les deux approches. Arétha observe, écoute, développe ses arguments, cherche à échanger, est ouverte aux autres. Merlin a un discours étriqué, des arguments essentiellement liés à l’intime. Il s’impose par le dénigrement ou l’appât de friandises.

Les clichés sur les filles comme sur les garçons sont énoncés sans filtre. Nous ne résistons pas à l’envie d’en copier quelques uns : « Retourne à la cuisine, femme ! », « Elles se croient tout permis ces bonnes-femmes », « Les filles ça pense pas » et « Les mecs sont des frimeurs », « Ils sont juste bons à s’étaler sur le canapé, les doigts de pied en éventail, pour regarder la télé.. », « … les garçons sont des obsédés, il n’y a rien à faire, on ne les changera pas. »… Il y a vraiment matière ici à réfléchir sur ces phrases énoncées comme des évidences sans aucun fondement.

La définition du genre n’est pas si évidente. Ray, le grand frère d’Arétha affirme que « Les vrais garçons n’ont pas peur qu’on les prenne pour des filles. Les vrais garçons peuvent même porter des jupes si ça leur fait plaisir… ». Fergus, après avoir rallié le camp des filles, se déclare féministe et affirme « les pensées n’ont pas de sexe ». Il sera certainement intéressant de faire la distinction entre sexe et genre pour mieux comprendre les enjeux du roman.

L’usage des mots est très important dans le contexte. Ils véhiculent des idées qui permettent de mieux comprendre voire d’éclairer des conceptions. Qu’est-ce qui distingue le machisme et la misogynie ? Merlin, largement influencé par son père et le traumatisme du départ de sa mère, devrait réfléchir lorsque les filles nomment son groupe « les misos ».

Fergus donne des conseils aux filles pour avoir du répondant face aux garçons. Ces conseils portent essentiellement sur la compréhension et l’usage d’un vocabulaire précis tel que « harcèlement », « parité », « discrimination ». Cette connaissance est indispensable pour comprendre et analyser les situations et pour, éventuellement, réagir et se défendre.

Aretha fait état de la différence des droits des femmes et des hommes encore maintenant, et de l’évolution de la cause féminine lors d’échanges avec ses proches. Surtout elle reprend les paroles de Mme Lancien, la maîtresse : « La même éducation signifie que l’on offre les mêmes possibilités aux garçons et aux filles. Chacun a le droit de choisir ensuite ce qui lui convient. » La culture et l’éducation sont présentées comme les clés pour faire évoluer les représentations sur les genres.

La mise en place du collectif MAJ pour « Mise à Jour » est une issue heureuse et constructive du récit. En effet, il semble nécessaire que chacun se mette à jour par rapport à ses représentations, par rapport à ses habitudes et ses comportements pour dépasser les préjugés. Et c’est dans cette voie que s’engagent les enfants ! La parution du journal le MAJMAG avec l’article de la maman de Merlin est la concrétisation parfaite d’un témoignage utile à la société. Une fin optimiste !

Finalement Arétha porte des valeurs très matures sur le sexisme et la nécessité de continuer à se battre pour faire progresser les conditions de tous. Il semble parfois qu’elle parle comme une adulte engagée dans la cause et il n’est pas sûr que tous les jeunes lecteurs comprennent la portée de son discours. Un accompagnement par des adultes, via des questionnements et des échanges, permettra d’être assuré de la prise en considération des enjeux du livre.

Les adultes doivent eux-mêmes avoir quelques connaissances sur l’identité de genre pour accompagner au mieux les remarques que pourraient faire les enfants. Il semble important d’avoir quelques notions sur l’évolution de l’enfant dans ce domaine, sur la façon dont peut s’exprimer une identité de genre. Nous vous proposons un article d’un site canadien qui nous semble intéressant sur ce sujet.

Pour accompagner la lecture

Le site Ricochet propose une analyse du roman.

Le site Ricochet, encore lui, a mis en ligne en 2018 une bibliographie intitulée « Ni poupées, ni princesses »

Nous vous proposons une bibliographie issue de Télérama et intitulée « Dix albums et romans pour une masculinité moins cliché »

Mise en ligne en avril 2021