L’ogre et le soulier

Auteur | Michaël Morpurgo |
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Illustratrice | Emily Gravett |
Traductrice | Rose-Marie Vassallo |
Editeur | Kaléidoscope – 2024 |
On raconte qu’autrefois il existait un ogre, un tout petit ogre, qui habitait dans un soulier…
Les ogres sont méchants, c’est bien connu. Mais si celui-ci n’était pas comme les autres ?
Un conte de fées moderne, ode à la famille, à l’amitié et à la nature, par deux auteurs incontournables de la littérature jeunesse.
Mots-clés : amitié, famille, nature, relation adultes-enfants
Présentation générale
L’adorable petite princesse Clara a cinq ans. C’est une petite princesse moderne qui aime courir pieds nus dans le jardin du palais et qui adore le bazar qu’il y a dans sa chambre. Un jour, elle trouve dans l’herbe haute un petit ogre de rien du tout qu’elle a bien failli écraser dans sa course. Elle le recueille et l’installe dans un de ses nombreux souliers, sous son lit. De toutes façons, elle déteste mettre des chaussures et elle y héberge régulièrement toutes sortes de petits animaux de passage. Mais un petit ogre fidèle qui reste près d’elle et qui devient son ami, c’est une chance extraordinaire ! Car Clara a besoin d’être réconfortée : Depuis la mort de sa femme, le Roi ne s’occupe plus beaucoup de sa petite fille ; il est toujours en déplacement, accaparé par son métier de roi. Rien n’est plus comme avant…Les domestiques qui s’occupent de Clara ne sont pas drôles du tout et passent leur temps à lui donner des ordres qu’elle n’a pas envie de suivre. La nounou tatillonne l’oblige à être vêtue et coiffée comme une vraie princesse ; le majordome autoritaire lui interdit de courir et de sauter à l’intérieur du palais. Et quand elle fuit dans le jardin où elle aime partir à l’aventure, le jardinier rouspéteur lui ordonne de rentrer. Tous lui mènent la vie dure et en plus sa maman lui manque terriblement. Tous veulent la transformer en princesse parfaite mais elle, elle n’a pas envie d’en être une.
Au petit ogre du soulier qui se révèle être un crapaud, le Roi crapaud, Clara confie tous ses chagrins. Pour la remercier de ses soins et la consoler de ce qui la peine, il lui propose d’exaucer tous ses souhaits : Quel serait ton voeu le plus cher ? demande-t-il. Avoir une maman, avoue Clara. Et un père qui rentre à la maison. Et aussi que ma nounou, le majordome et le jardinier arrêtent de me houspiller. Lourde tâche ! Mais qu’à cela ne tienne…le Roi crapaud appelle alors à l’aide ses sujets, crapauds et grenouilles, qui se lancent à la poursuite des domestiques autoritaires, qui ont si peur de toutes les petites bêtes qu’ils quittent le palais pour ne jamais y revenir. Clara désormais seule ouvre la porte du palais à tous ses copains animaux et elle peut commencer enfin à vivre comme elle l’entend, pieds nus, en short et les cheveux en bataille !
Le « happy end » ne fait que commencer…Le Roi rentre de voyage avec une nouvelle épouse incroyablement gentille, douce et compréhensive. Clara a maintenant une nouvelle maman, son père ne s’absente plus que rarement et le couple est d’accord pour vivre comme Clara l’entend, entourés de tous les petits animaux du jardin…Clara les convertit aux joies des jeux dans la nature et au bonheur d’y vivre pieds nus en toute liberté : Et ils vécurent heureux très longtemps avec leurs amis à quatre pattes, à six pattes, à huit pattes ou sans pattes. Sans oublier le Roi Crapaud, qui n’était pas un ogre du tout. C’est l’ultime révélation. Mais on s’en doutait un petit peu !!
Nos commentaires
Ce qui nous a dès l’abord séduits en découvrant L’ogre du soulier, c’est la belle dynamique des dessins de l’illustratrice anglaise Emily Gravett. Ils sont colorés, malicieux, pleins de vie et de mouvement, ils illustrent avec bonheur le joyeux bazar que la petite Clara entretient autour d’elle. Ils sont particulièrement réussis dans leur précision digne d’un ouvrage de botanique et d’entomologie lorsqu’ils s’attachent à représenter la flore et la faune dont Clara raffole. Pleines d’humour, les illustrations jouent avec les codes de la royauté : le lit et le trône en forme de couronne, les petits dessins de couronnes estampillés partout, sur les vêtements de Clara, sur la vaisselle ; le costume rouge bordé de fourrure du père ; l’ogre crapaud exhortant ses sujets… Pleines de petits détails à découvrir, elles complètent souvent le texte qui ne dit pas tout. C’est par exemple en les regardant avec attention que l’on découvre quelles bêtises signées Clara ont mis le majordome hors de lui : elle a fait tomber une statue du palais avec sa corde à sauter. Corde à sauter dans laquelle le majordome se prend ensuite les pieds et tombe en se renversant un gâteau sur la tête…Ou encore cette autre bêtise qui a provoqué la colère du jardinier : elle a rempli la fontaine royale de produit à bulles !
Le travail sur l’expression des visages est très réussi également. La bouille de la petite Clara est adorable dans toute la gamme de ses émotions. Les domestiques au teint blafard sont ridicules à souhait dans leur rigidité et leur peur des animaux. On ne peut que se moquer d’eux. Le père, bonhomme, pas très imbu de sa royauté, assume le bout de son nez rouge et son pantalon retroussé ; il finit en tee-shirt, assis les fesses dans l’eau d’une mare, avec une libellule sur sa couronne. La nouvelle maman, elle, n’a de royal que le motif de son maillot de bain décoré de petites couronnes jaunes, avec sur la tête un foulard en madras et un caneton espiègle. Sa peau, plus brune que celle de Clara et de son père, laisse deviner une créolité bien chaleureuse.
Et pour en terminer avec la grande qualité de l’illustration, notons comme celle-ci accompagne magnifiquement la gentille « tromperie » du titre. On attend un ogre. On l’attend longtemps. Sur les premiers dessins, il faut le deviner et il a l’air plutôt timide, dans l’herbe haute d’abord puis dans le beau soulier rose d’où peu à peu vont apparaitre un œil, une patte, laissant deviner une grenouille qui s’avère être un crapaud de rien du tout, beaucoup plus « petit roi » avec sa couronne que « méchant ogre »…
Michael Morpurgo, qu’on ne présente plus, nous offre ici un simili conte, moderne et réjouissant. Il joue lui avec malice des codes du conte traditionnel et les détourne : le roi est bon enfant et prêt à vivre assis dans l’eau d’une mare en admirant les bestioles autour de lui ; la marâtre n’en est pas une et s’annonce pleine de rondeurs et de chaleur humaine. Les serviteurs sont rigides mais tournent vite au ridicule quand le moindre ver de terre, la moindre araignée ou la moindre grenouille leur sautent à la figure et qu’ils débarrassent le plancher en courant. L’ogre n’est pas un ogre, il mange ce que mangent les crapauds et c’est en partie grâce à lui que tout ira bientôt mieux pour Clara.
Quant à cette petite princesse qui refuse son statut en même temps que les robes roses, qui aime faire les quatre cents coups pieds nus dans la nature et accumuler des trésors de bazar dans sa chambre, elle nous est bien sympathique dès le début dans son désir de liberté et de joie de vivre, loin de toute convention. C’est une petite très attachante dont les désobéissances, les impertinences ne pourront que réjouir les jeunes lecteurs.
Clara est également touchante par ses émotions et ses chagrins : les absences de son père, son changement d’attitude depuis son veuvage, la mort de la maman…Mais le parti pris est de ne pas s’appesantir sur ce qui fait souffrir la petite fille et de rapidement remettre le curseur sur le positif, les solutions aux problèmes, les petits coups de pouce magiques, la joie de vivre et les fins heureuses !
L’ogre du soulier est un album résolument optimiste. Le deuil, les tristesses du père et de l’enfant paraîtront peut-être rapidement dépassées au lecteur adulte et la maman vite et facilement remplacée par le remariage. Mais les jeunes lecteurs seront eux très certainement séduits par la joyeuse ambiance de la fin où tout est résolu, consolé et ouvert sur des horizons résolument optimistes.
Retour en clin d’œil au langage du conte : Et ils vécurent heureux très longtemps !!