Pour Lily
Auteurs | Marie Desplechin et Olivier Balez |
---|---|
Editeur | Ecole des loisirs – coll Neuf – 2022 |
Avant, dans son ancienne vie, Jérémie demandait toujours à sa mère d’acheter la photo de classe. C’est fini. Désormais, il se fiche bien de ceux qui sont dessus. Il est arrivé en sixième après la rentrée et, à part les profs, personne ne lui parle. Ca lui convient, il n’a pas l’intention de se faire de nouveaux amis.
Mais il y a Lily.
En classe, elle est assise deux rangs devant lui. Si discrète qu’elle donne l’impression d’être transparente. Le jour où Lily vient lui parler, Jérémie est très étonné. Il ne comprend même pas ce qu’elle lui dit. Depuis, c’est plus fort que lui, il se surprend à l’observer, à tourner dans le quartier en vélo en espérant la croiser…
Présentation générale
Jérémie a déménagé et arrive dans un quartier et un collège inconnus. Il a été exclu précédemment pour sa violence. Sa mère veut qu’il recommence une nouvelle vie avec de nouvelles connaissances. Mais Jérémie est farouche, il est fragile et a un secret qui le mine. Il ne sait pas communiquer avec les autres. Mais peu à peu, il va arriver à se lier avec Lily puis Aya et, grâce à elles, à casser sa solitude, reprendre confiance en lui-même et se créer une famille atypique mais fondée sur de vraies relations fortes.
Marie Depleschin présente son livre en vidéo.
Nos commentaires
Avec Pour Lily, Marie Desplechin termine une trilogie de romans qui parlent des adolescents des cités : Quartier sensible. Ce double sens du mot « sensible » utilisé dans l’actualité à propos de faits divers et de difficultés sociales mais faisant appel dans ce récit à la sensibilité de chacun de ses habitants est plus que judicieux tant il parle bien d’amitié, de douleur et de partage et tisse une histoire forte et touchante.
Tout tourne autour de Jérémie. Le jeune ado arrive après un échec-une exclusion du collège précédent pour sa violence- dans un quartier inconnu. Très vite son personnage est brossé et devient attachant : il vit seul avec sa mère qu’il adore et protège, sans père ; il parle à son vélo, son unique ami avec lequel il découvre son nouvel univers fait de tours, de petites maisons, de voie ferrée et de wagons taggués, d’une dalle de jeux où on peut pratiquer le basket. Il est isolé dans sa classe de sixième car les groupes ont déjà été formés avant son arrivée. Mais on sent derrière tout cela un garçon gentil et tendre, qui ne sait pas dire les choses et utilise parfois la violence pour le faire, mais aussi quelqu’un qui est porteur d’un secret trop lourd pour lui. Il a peur des autres…Ce quartier devient mon quartier. Je suis en train de m’attacher. L’erreur. Le problème quand on s’attache, c’est qu’on sera détaché un jour. On sera arraché. Personnellement, je fais attention ; je m’attache le moins possible. (p 57/58)
Alors Jérémie s’est créé un rêve, partir en camion aménagé découvrir le monde et ce camion devient son refuge et son idéal. Mais ce rêve l’envahit, l’empêche de vivre et de penser le présent. Il ne veut pas s’attacher pour ne pas revivre un abandon. Alors, il s’efforce de devenir invisible…Je dois me débarrasser de mon rêve. Il prend trop de place. (p79)
Pourtant il va se reconnaître en Lily, élève de sa classe, silencieuse et fragile, farouche et isolée comme lui. Et si leur rencontre se fait de manière un peu brutale, il va comprendre peu à peu que de nombreux points communs les rapprochent. Avec elle, il évite le groupe et ses altercations violentes et inutiles. Avec elle, il peut parler, ou se taire.
T’es verrouillé de l’intérieur, Jérémie . [mais] Chez toi il y a de la lumière qui traverse. (p98)
Car peu à peu, Jérémie va entrer dans la vie de Lily, sans père comme lui, comprendre ses difficultés de vie liées à la dépression de sa maman et être accepté par sa voisine Marka qui prend en charge Lily quand elle ne peut rester chez elle.
Les autres, ceux de la classe, voient mal ce rapprochement qu’ils ne comprennent pas et il y aura du harcèlement, de la bagarre, et encore une exclusion pour Jérémie qui a l’impression de ne jamais y arriver.
Alors, Marie Desplechin lui construit peu à peu une toile de relations. Après Lily, c’est avec Aya, une autre fillette, qui l’agresse verbalement au début, pour se protéger, elle aussi. Je suis obligée de me faire une réputation, pour pas qu’on m’approche de trop près. P87. Mais elle se révèlera pleine d’attentions pour lui malgré une vie dans une famille un peu compliquée. Les familles dans le coin, c’est des jeux de casse-tête (p90). Elle deviendra son trait d’union avec le collège durant son exclusion et, en venant lui apporter ses devoirs, se reposera chez lui comme lui appréciera ses venues, chacun profitant de ces moments pour partager un pan de sa vie et se ressourcer en l’autre.
Mis à l’écart, Jérémie, seul en journée dans son appartement sera amené à réfléchir, à échanger avec sa mère qui lui révèlera la nature du secret qu’il portait, le pourquoi de l’absence de son père. J’en ai marre de ma mère qui croit que ce qu’on dit pas ne risque pas de nous faire de mal. (p144). Mieux vaut parler que taire.
Même s’il pressentait que son père était mort, apprendre que c’est lors d’une action de courage, lui donne une image positive avec laquelle il va pouvoir se projeter dans sa nouvelle vie. Et mieux comprendre sa mère qui a beaucoup de mal à accepter cette absence.
Jérémie, écouté par Lily, fera la connaissance de Marka, une amie de Sandrine, la maman de Lily, qui saura le comprendre et le faire parler. Libéré de son secret trop lourd à porter, aidé par la présence d’Aya, il se construira une famille de cœur, celle qu’il a choisie et qui va lui donner un élan pour redémarrer dans la vie. Une ouverture optimiste et lumineuse pour terminer ce récit.
L’écriture en JE par la voix de Jérémie permet au lecteur d’être au plus près de sa vie et de ses émotions, de saisir les fragilités de chacun mais aussi ses forces pour arriver à survivre dans un milieu compliqué où les adultes, parents ou professeurs ne sont pas forcément aidants. Le propos est nuancé et le point de vue psychologique est particulièrement fin.
Les illustrations de Olivier Balèze, tout en noir et blanc, accompagnent bien le texte avec des représentations qui donnent de la force aux personnages.
Notre avis
Dans ses histoires, Marie Depleschin sait laisser la place aux enfants pour comprendre leurs relations et leurs blessures. Elle est habile pour nous amener à aller voir derrière la façade qu’ils se créent pour se protéger ce qu’ils sont vraiment et qu’ils ne peuvent pas exprimer. C’est un regard bienveillant et sans jugement qui captive par la façon dont il fait progresser le récit en faisant évoluer chacun de ses personnages.
L’histoire est belle, forte, pleine d’humanité et de chaleur humaine. L’écriture est juste et bien adaptée, sans mélodrame ni misérabilisme, tout en douceur, bien ancrée dans la réalité et pleine d’émotions.
C’est un très beau récit dans lequel les jeunes collégiens se reconnaîtront facilement. Il leur parlera car il est bien le reflet de leur vie. C’est aussi une façon de leur montrer qu’on peut avancer, entrevoir un changement, avoir des appuis et se créer de belles rencontres optimistes.
C’est un livre très sensible qui donne à discuter, qui interroge la violence sans la nier et qui permet de s’interroger sur ce que nous dit l’autre sans parler.
Une très belle réussite.
Pour aller plus loin
Voir les deux autres livres de cette série « Quartier sensible » :
Baby Face autour des problèmes de stéréotypes, d’exclusion, de délit de faciès et d’intolérance.
Le ciel de Samir autour de son destin et de l’avenir qu’on peut espérer ou faire advenir.