Sacrés canards
| Auteur | Michaël Escoffier |
|---|---|
| Illustratrice | Geneviève Desprès |
| Editeur | D'eux – 2024 |
Au pays des canards, tout le monde faisait Coin! Coin! Tout le monde? Non!
Arrive un drôle de petit canard pas comme les autres qui, lui, préférait faire :
— Pouic! Pouic!
Le regard si unique et comique d’Escoffier sur comment e^tre soi sans se fondre dans l’autre, avec les illustrations ciselées de Geneviève Després.
Mots-clés : différence, liberté, identité
Notre présentation
Michaël Escoffier et Geneviève Desprès nous proposent avec Sacrés canards, un récit court, humoristique, qui laisse réfléchir.
Ce livre nous rappelle que les canards ont toujours fait « Coin,Coin ! » mais voilà qu’un jour, un petit canard exprime un franc « Pouic, Pouic !». Après ça, plus rien ne va dans le royaume des canards. Est-ce une provocation ? Est-ce l’expression de sa différence ? A-t-il le droit de faire « Pouic, Pouic ! » ?
En tous les cas, cela contrarie de nombreux canards. La colère monte, les canards s’emportent, les incivilités volent de part et d’autre de la mare. Tous défendent leurs convictions. Jusqu’à ce que les habitants à plumes demandent l’intervention de leur roi. Il lui faut un certain temps de réflexion avant de décider que seule la tolérance au vivre ensemble est une solution pour résoudre ce conflit.
L’histoire montre que ce n’est pas si simple en proposant au lecteur une fin ouverte humoristique.
Nos commentaires
Le titre « Sacrés Canards ! » induit immédiatement le ton humoristique du livre.
Cet humour d’entrée de jeu permet d’introduire, avec légèreté, des questions essentielles sur le vivre ensemble.
En effet, le premier sens du texte s’entend comme un récit autour d’une réflexion sur la différence et la place de la tolérance au sein d’un groupe d’individus à partir d’une question très simple : un individu canard a-t-il le droit d’émettre un autre son que celui de sa communauté ? La fin ouverte montre, avec beaucoup d’humour, que le sujet est infini.
À la deuxième lecture, les discordes et emballements des individus font surgir plusieurs problématiques sociales et philosophiques :
- De quoi sont faits les conflits? De toute évidence, l’introduction d’une nouveauté dérange un certain nombre de canards. Certains s’interrogent, d’autres, les plus âgés, sont « scandalisés ». Ils vivent le nouveau cri du caneton comme un « affront ». Il semble donc qu’il s’agisse davantage d’un conflit de générations même si plusieurs interprétations sont possibles notamment le problème de la différence, de l’inconnu, d’où vient ce caneton ?
- Quelle est la place d’un roi dans la société ? Quelle aurait été notre réponse si nous avions été à la place du roi ? Quelle est la place des femmes dans cette société ? En effet, dans l’histoire, la « reine des canes » apparaît une fois, et au côté de son mari. Le conflit s’entend-t-il comme un conflit masculin ? On peut se demander si le roi est celui qui représente la cause masculine et la cane, elle, la cause féminine. Les canards ne s’adressent qu’à leur majesté, le roi. L’histoire est une satire du rôle du roi, détenteur d’un pouvoir absolu : « j’ai décidé, à l’unanimité avec moi-même… ». Il a seul ce pouvoir de médiation et décisionnaire. L’ambiance au palais du roi s’assombrit lorsque ce dernier reçoit la demande de ces sujets et réfléchit à la manière de gérer cette sérieuse crise.
« Le roi, qui était un sacré canard » et nous pourrions ajouter, comme les autres, est révélateur de la nature des hommes qui ont du pouvoir : ils sont, eux-mêmes, avant tout des hommes.
Le roi dans l’histoire fait référence au personnage des contes traditionnels. - Qu’est-ce que la liberté ? A-t-elle ses limites ? Tant de questions s’offrent à nous après lecture de cet album de jeunesse. Contraindre le canard à se taire ? Pourquoi ça dérange et qui ? Quel est le danger d’une liberté totale ?
Nous ne savons pas qui est ce canard qui fait « Pouic ! Pouic » ni quelles sont ses intentions. Mais il dérange : son voisin puis ceux avec qui il cohabite. Ce dérangement s’étend et finit par altérer l’ensemble de la société. La liberté d’expression est rapidement requestionnée et la paix semble bien fragile.
La décision du roi met fin à cette «épineuse question, au «grand débat : Pouic ! Pouic ou Coin ! Coin ! ». Sans cette annonce, les canards poursuivraient leur incivisme ? En tous les cas, le roi est la tierce personne. Dans cette société, le non-arbitre des canards est poussé à l’exagération. Et pourtant, les canards ont leurs propres limites. Ils sentent qu’ils ont besoin de changer leur communication puisque c’est eux qui choisissent d’appeler un tiers. La colère et le mal-être de ces canards paraît être la limite à leurs libertés individuelles. L’histoire démontre que l’équilibre d’une société est sensible aux changements et suppose des efforts quotidiens pour que cette valeur, la liberté, puisse s’exprimer. Le roi rappelle l’égalité entre ses sujets « Vous êtes tous de bons gros canards ». C’est mettre en valeur ici, les ressources individuelles dont le peuple dispose pour respecter les libertés de chacun à être soi-même dans un monde où toute personne doit vivre avec l’Autre.
Sacrés canards ! est un livre à l’expressivité remarquable notamment grâce à ses onomatopées et à ses illustrations. L’écriture et les illustrations empruntent au genre de la bande dessinée, aux sons de l’enfance.
On ne peut pas passer à côté des expressions de ces oiseaux aux pattes palmées, malicieusement choisies. On découvre avec plaisir ces jeux d’expressions.
Sans le texte, les gestuelles dessinées peuvent donner lieu à une interprétation de l’émotion des canards par l’enfant. Dans les arts, ce livre de jeunesse peut poser la question de comment traduire par le dessin la colère, le mécontentement, le calme par exemple. L’aquarelle et les nuances de couleurs choisies par l’illustratrice servent complètement le milieu aquatique et plus précisément celui de la mare, dans lequel évoluent ces canards engagés.
C’est immanquablement un livre à découvrir et à reparcourir.
Pour approfondir la lecture
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