Tigre
Auteur - illustrateur | Jan Jutte |
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Editeur | Les éléphants – 2019 |
Dans la forêt qui borde sa petite ville, Joséphine tombe nez à nez avec un tigre ! Sa première frayeur passée, elle adopte ce nouveau venu qui deviendra bientôt son plus grand ami. Mais Tigre a du mal à s’adapter à la ville, et le diagnostic du vétérinaire est sans appel : Tigre a le mal du pays. Le cœur en miettes, Joséphine se résout à raccompagner Tigre dans sa jungle natale…
Présentation
Une belle histoire d’amitié entre deux personnages qui s’apprivoisent, se réconfortent… et se séparent car vivre ensemble n’est pas possible pour eux.
L’album en lui-même, grand-format, est un bel objet. La première de couverture invite à en savoir plus sur les deux personnages, le tigre en premier plan et la vieille dame s’éloignant en arrière plan. Les illustrations « pleine page », parfois sur double page, font la part belle à l’image dans ce joli récit. Les émotions des personnages se perçoivent assez aisément au regard des expressions, des postures des personnages et des choix chromatiques.
Le texte est simple, concis. Il indique l’évolution chronologique du récit, précise quelques pensées. Les paroles de la vieille dame permettent de comprendre le cheminement logique qui amène au retour du tigre dans son pays.
Cette histoire simple n’est ni naïve ni mièvre. C’est une histoire tendre qui valorise les principes de respect et de liberté.
Quelques commentaires
Au fil du récit
Les deux personnages arrivent successivement sur les deux premières doubles-pages. Le tigre suit les traces de Joséphine pour la retrouver sur la troisième double-page. La rencontre pourrait être dramatique. Les tigres sont en principe dévoreurs d’hommes. La vieille dame est d’ailleurs effrayée, pétrifiée. Mais le tigre est câlin et Joséphine répond à sa demande. De ce fait, le tigre commence déjà à ronronner, Joséphine est d’emblée conquise. C’est comme un coup de foudre amical.
L’arrivée dans la demeure de Joséphine ressemble à l’accueil d’un animal domestique : une gamelle et un endroit pour dormir. Et les deux protagonistes sont heureux ! La première sortie en ville est évidemment périlleuse dans la mesure où les habitants sont effrayés. Mais Joséphine a pris soin de mettre un collier symbolique au tigre pour les rassurer (« Les gens auraient peur si tu te promenais librement… »). S’ensuit une période de double adaptation : Le tigre s’adapte à la ville et les villageois s’adaptent à la présence du tigre. Le tigre devient tellement civilisé qu’il devient capable de saluer les personnes, de tenir la pause pour un artiste, de jouer avec les enfants…
Mais le tigre devient malade. Son pelage perd de sa superbe, il s’affaiblit. Le diagnostic médical est sans appel, il a besoin de retourner dans son pays. Joséphine n’hésite pas à le ramener en Inde. Les adieux sont rapides, juste l’objet d’une double page. La vieille dame est triste. Elle revient chez elle. La rencontre avec un chat lui réchauffe le cœur.
Entre nature et culture
C’est le tigre qui séduit la vieille dame, au début du récit. Malgré sa nature sauvage, il est en recherche d’affection et vient surprendre Joséphine en quémandant quelques caresses. Cela tombe bien car la vieille dame est seule elle aussi. Dans un premier temps leur amitié les comble. Le tigre ronronne à tout-va. Joséphine a toujours le sourire aux lèvres. Mais au contact de la société le tigre perd sa nature profonde. Il doit retrouver sa vie sauvage pour retrouver sa santé.
Yasmina Mahdi va assez loin dans l’analyse du départ du tigre. En effet elle voit là une symbolique pour marquer la capacité des tigres du Bengale, en voie d’extinction, à se réadapter dans leur milieu d’origine.
En tout état de cause, Joséphine se montre très compréhensive. Elle n’oppose aucune condition au retour du tigre dans son pays. Elle n’arrive pas à le regarder partir mais elle l’aime trop pour le laisser dépérir. Le chat qui prend la place du tigre chez elle à la fin du récit est beaucoup plus adapté pour vivre chez les hommes. Il peut conserver sa nature de chasseur tout en partageant sa vie avec les humains.
Les illustrations
Jan Jutte est un diplômé des Beaux-Arts d’Arnheim aux Pays-Bas. Il a reçu plusieurs fois le prix du Pinceau d’or. Ses illustrations sont une succession de dessins peints comme des petits tableaux. C’est la page ou plus souvent la double-page qui sert de cadre. Chaque dessin plonge le lecteur au cœur de l’action.
Le choix des couleurs reflète les états émotionnels des scènes.
Les couleurs pour la rencontre entre le tigre et Joséphine sont froides. Les dégradés de blancs dominent. Il n’y a pas de ligne d’horizon, le ciel et la terre se confondent. Les personnages sont au centre de ce paysage désolé. La robe rouge du tigre et les gants rouges de la vieille dame sont les seuls éléments qui réchauffent l’atmosphère. Les couleurs chaudes de l’intérieur de la maison apportent un contraste fort avec la forêt. Ici il fait bon vivre !
Il en est de même pour les autres moments. La ville est sombre lors de la première promenade du tigre, elle est beaucoup plus claire lorsque le tigre est accepté. Les partages entre le tigre et les enfants se présentent dans des couleurs chaudes mais la crise du tigre est traitée dans des couleurs froides…
L’expression des personnages est facilement décodable.
Le bien-être du tigre et de Joséphine se lit facilement au niveau de leurs yeux et de leur bouche Les lecteurs pourront s’amuser lors des promenades en ville à lire les expressions des personnages, leur panique puis leur fierté… sauf pour certains.
Les postures sont aussi des indicateurs d’émotion. On pourra noter que lors de la dépression du tigre les personnages sont courbés, tête baissée, abattus. Lors du départ du tigre dans la jungle le regard de la vieille dame est caché derrière de grandes lunettes noires. Elle ne regarde pas le tigre en arrière-plan alors que le tigre lui jette un regard. La séparation semble plus difficile pour elle qui rentre seule au village.
D’autres albums…
Nous avons sélectionné quelques albums en écho à l’album Tigre :
Le tigre qui s’invita pour le thé de Judith Kerr raconte l’histoire d’un tigre envahissant qui avale tout ce qu’il trouve. Ce n’est pas vraiment un tigre domestique, c’est surtout un tigre dévoreur mais pas dangereux ! |
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Le prince tigre de Chen Jiang Hong est un album dont le sujet est difficile puisqu’il s’agit de la vengeance d’une tigresse dont on a tué les petits. Mais l’album est splendide. Les illustrations sont de toute beauté. Et, tout compte fait, l’amour d’un enfant va réussir à changer le cours des choses. |
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Marlaguette de Marie Colmont et Gerda Muller, un classique du Père Castor, a une résonance directe au problème de la domestication d’un animal sauvage. En effet, on y lit l’impossibilité pour le loup, malgré sa bonne volonté, de devenir végétarien comme le voudrait Marlaguette. |