Toute une montagne

Auteure | Marie Colot |
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Illustratrice | Françoise Roger |
Editeur | A pas de loup – 2024 |
Jeanne, l’Incroyable Désordonnée, se prépare pour une expédition hors du commun : grimper au sommet d’une vertigineuse montagne.
Équipée, le sac de randonnée sur le dos, elle est prête à braver tous les dangers. Loup, ours ou autres monstres n’arriveront pas à la décourager.
Récit rythmé et texte en rimes soutiennent le récit jusqu’au bout du voyage.
Mots-clés : point-de-vue, jeu-défi, espace
Notre présentation
Dans sa chambre en désordre une petite fille se prépare pour une véritable expédition. Elle veut atteindre le sommet de la plus haute montage des environs. Elle sait que cette montagne est dangereuse mais elle a confiance. Telle une super héroïne elle s’équipe, elle se prépare mentalement, et elle s’élance.
Les obstacles ne manquent pas. Elle doit affronter de terribles animaux comme ceux qu’on trouve dans les livres. Elle doit trouver des solutions pour progresser malgré un relief parfois hostile. Il faut, par exemple, qu’elle dépasse une haie de buissons épineux ou qu’elle franchisse un précipice comme dans les contes. La météo ne l’épargne pas. Il pleut, il vente, il y a même une avalanche. Mais Jeanne est obstinée. Elle se construit un abri avec des cubes. Elle escalade un gigantesque rocher avec une corde à sauter. Elle trouve toujours une solution.
Arrivée au sommet de la montagne elle prend le temps d’admirer la vue, jusqu’à ce que, tout en bas, un animal terrible agite les bras, hurle, beugle, crie… […]
Nous laissons aux futurs lecteurs le soin d’imaginer la chute du récit. Qui est cet animal ? Pourquoi agite-t-il les bras ? Pourquoi hurle-t-il ? Nous ne rappellerons qu’un élément essentiel, la chambre de la petite fille est vraiment en désordre au début du récit…
Une chute réjouissante pour une expédition héroïque dans le monde imaginaire d’une chambre à coucher.La lecture stylisée donne du rythme à la narration orale. Les illustrations soulignent les efforts de la petite héroïne. De multiples détails alimentent les représentations et les perspectives du récit. Il est vraiment amusant de suivre Jeanne dans ses épreuves dynamiques et revitalisantes.
Nos commentaires
Certains lecteurs l’auront compris, l’épreuve à laquelle Jeanne est confrontée n’est autre que le rangement de sa chambre. Et l’animal terrible de la fin du récit est seulement un adulte qui demande « –Ca avance le rangement de la chambre ma chérie ? ».Mais il faut tout deviner ! Le récit n’est pas du tout explicite, il avance comme une véritable aventure de montagnarde. L’album, grâce à son format étroit tout en hauteur, favorise l’idée d’une ascension. Il invite à orienter le regard vers le haut puisqu’il semble qu’il n’y ait rien à voir sur la périphérie. Les péripéties de la petite fille interpellent parfois par une relative invraisemblance, mais elle fait vraiment de l’alpinisme. Elle porte un vrai sac à dos, elle est bien équipée, elle s’aide d’une corde pour progresser… L’auteure et l’illustratrice s’amusent à projeter le lecteur sur de fausses interprétations en laissant par ci, par là des indices plus ou moins évidents. A bien y regarder le lecteur retrouvera dans la chambre à coucher bon nombre d’éléments de l’aventure. C’est un jeu subtil entre rêveries et actions concrètes sur les objets. L’enfant qui aura compris les enjeux de ce récit si particulier aura tout loisir de reprendre l’album au début pour savourer les pièges, les détails qui démontent le réel au profit de l’imaginaire.
Il faut le dire, c’est vraiment le bazar dans la chambre de Jeanne ! La première double page de l’album montre une pièce dans laquelle il semble bien difficile de se déplacer tellement le sol est occupé par des objets divers et variés. Jeanne doit donc ranger sa chambre. Ce n’est jamais simple de mettre de l’ordre dans son espace, Jeanne en fait « toute une montagne », au sens propre comme au sens figuré. Elle part à l’assaut de sa mission en s’équipant comme une véritable exploratrice et elle aborde le rangement comme une épreuve physique périlleuse. Mais concrètement elle n’arrive à rien. La dernière illustration la présente dans un bazar encore plus important qu’au début. Debout sur un monticule d’objets disséminés sur son lit, l’air réjoui, elle répond à l’adulte « Oui, j’ai retrouvé mon bonnet, youpi ! » Cette chute est d’autant plus délectable que la réponse de Jeanne s’appuie sur un détail anodin au début du récit. En effet, au moment de sa préparation elle ne retrouvait pas son bonnet. Un avis de recherche du bonnet était même affiché sur le mur de sa chambre. Ca ne semblait pas être un problème, elle avait trouvé un casque en remplacement. Mais Jeanne est ravie d’avoir retrouvé son bonnet, c’est SA victoire ! Et c’est bien sympathique de l’entendre se réjouir.
Jeanne est une héroïne dynamique qui a confiance en elle. Elle est même une super héroïne quand, grimpée sur un podium et piétinant un yéti, elle arbore un drapeau « SUPER Jeanne » dans une posture victorieuse. Elle n’a peur de rien, elle est volontaire, courageuse, et surtout pleine d’imagination ! Jeanne entraîne le lecteur dans sa montagne magique avec un enthousiasme certain. On découvre avec elle des cachettes, des anfractuosités qui contribuent à créer une atmosphère mystérieuse. Les jeux de transparence de l’illustration laissent même percevoir des éléments cachés de la montagne tels des ossements de dinosaures. Jeanne est maline et rusée. Elle ne craint ni le loup, ni l’ours ni même le monstre. Son discours conquérant est tout à fait convaincant. Elle est honnête et sérieuse dans ses agissements. Or en réalité Jeanne détourne l’assignation à ranger pour son propre jeu. Elle montre et fait le contraire de ce qui lui est demandé, pour le plus grand plaisir du lecteur. C’est ce qu’on appelle de l’ironie, un humour pas si simple à comprendre pour de jeunes enfants qui ne considèreront peut-être que l’aspect ludique de l’aventure.
L’observation des illustrations est un régal en soi. Chaque jouet, chaque objet est un support pour inventer une histoire. La plante grasse devient la forêt d’épines, le tambour un moyen d’effrayer les monstres, le relief de la montagne est même suggéré sur une affiche. Tous les détails ont leur importance. Jeanne emporte avec elle une casserole, une pelle… et sa brosse à dents et son dentifrice. Preuve du sérieux de son aventure. Elle n’oublie surtout pas son doudou lapin dont la trombine expressive est délectable. Les deux pages de la chambre en bazar méritent un retour sur image pour prendre le temps d’observer les détournements et d’inventer d’autres histoires avec d’autres objets. Il est également possible de suggérer aux lecteurs de faire un tour dans leur propre espace de vie pour inventer leurs aventures personnelles.
Les lecteurs s’amuseront également aux allusions à différentes références littéraires. Jeanne ressemble comme deux gouttes d’eau à l’héroïne de Couvre-toi, un album de Françoise Rogier dans lequel le doudou lapin tient également une place. Dans une interview accordée au site objectif plumes l’auteure affirme sa fascination pour Le petit chaperon rouge, une accroche qu’on retrouve avec le pull rouge de l’enfant et son premier adversaire, un loup féroce. Sur son chemin Jeanne croise les trois petits cochons, le monstre de Maurice Sendack dans Max et les maximonstres. Le livre De la petite taupe qui voulait savoir qui lui avait fait sur la tête, posé nonchalamment sur son lit, peut facilement être rapproché de la taupe qui creuse un tunnel parallèle à celui de Jeanne.
Le texte est un jeu pour les enfants et un jeu d’enfant. Jeanne ne raconte pas son histoire comme une simple aventure. Elle fait de son récit un jeu à compter et une espèce de comptine libre et rythmée. Son comptage avance de façon aléatoire. Parfois elle énonce deux chiffres d’affilée, parfois quatre. La finalisation par« ..et dix !» ne marque même pas la fin de son ascension. Et peu importe ! Elle joue ! Les mots sont également l’occasion de s’amuser sur la musicalité de la langue. Il ne s’agit pas d’écrire de la poésie mais de faire rimer pour le plaisir d’écouter une histoire qui chante. Cela fonctionne. Le texte est agréable à oraliser, il permet une expressivité certaine du monologue intérieur de la petite ingénue.
Des illustrations dynamiques, un texte vivant, une super héroïne, du mystère, du danger, de l’humour…
Jeanne, l’Incroyable Désordonnée, est un personnage auquel de nombreux enfants peuvent s’identifier. Soit parce qu’ils doivent ranger leur chambre et que le courage de tout trier leur manque. Soit parce qu’ils aiment donner vie à quelques jouets ou objets familiers pour imaginer des aventures périlleuses et valorisantes.
Toute une montagne est un album très réussi qui invite tout lecteur à faire du rangement de sa chambre une aventure extra ordinaire. Quel bonheur !
Pour approfondir la lecture
– Il existe une lecture animée de l’album fidèle à l’illustration et à l’esprit du livre.
– Le site objectifplumes propose un dossier pédagogique intéressant qui valorise différentes mises en réseau.
– Le format orignal de Toute une montagne favorise l’idée de grimper. Nous connaissons d’autres albums du même format qui engage davantage le lecteur dans la profondeur. Plouf / Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?
– D’autres livres qui parlent de bazar !
o Quel bazar chez Zoé de Dominique Falda
o Range ta chambre de Xavier Salomon
o Une BD dans la série Ana Ana -Les champions du désordre