Un instant de silence

Un instant de silence
Auteure

Florence Jenner Metz

Illustratrice

Juliette David

Editeur

Alice Jeunesse – 2022

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Avec son frère Aman, Yémané a quitté son pays, l’Erythrée, dans l’espoir d’un avenir meilleur. Il nous raconte, avec sensibilité et poésie, son long et dangereux périple pour arriver à Calais…

Mots-clés : exil, émotions, fratrie

Présentation générale

Le jeune Yémané, dont nous n’apprendrons le prénom qu’à la fin du livre, a quitté son pays, l’Erythrée, en même temps que son frère Aman, comme ces milliers de migrants dont nous entendons parler tous les jours à la télévision ou à la radio. Leur famille, très pauvre, a sacrifié toutes ses économies pour payer des trafiquants et des passeurs sans états d’âme, dans l’espoir que là-bas, dans la lointaine Europe, les deux frères pourront vivre mieux et en sécurité. Après avoir été parqués dans un camp comme des animaux, ils ont traversé la mer sur un bateau bien trop petit et tellement chargé que Yémané n’y a plus retrouvé Aman. La peur au ventre et désormais seul, il se retrouve à Calais, dans cette « jungle » si souvent dénoncée où les migrants s’entassent dans des conditions insalubres, dans l’attente de pouvoir un jour gagner l’Angleterre. Là, isolé et perdu, Yémané repense à tout ce qu’il vient de vivre, il se souvient avec nostalgie et tristesse de son pays où il aurait voulu pouvoir vivre ; il songe aussi à sa famille qui lui manque terriblement et auprès de laquelle il aurait voulu pouvoir rester. Jusqu’au jour où son frère, lui-même arrivé de son côté à Calais, le retrouve, plongé dans ses pensées, en train de pleurer et de se désespérer. Ils sont à nouveau deux et cela change tout. Ils sont vivants et reprendre espoir devient alors possible : Oui, vivre en France, plutôt qu’en Angleterre,va être envisageable. S’y construire un avenir, un nouvel horizon, bâtir des projets. Et pourquoi pas un jour retourner en Erythrée ?

Nos commentaires

Un instant de silence est un livre grave. Il traite d’un sujet si présent dans les media que les enfants certainement ne passent pas à côté de ce qu’on en dit. Très souvent, trop souvent, nous apprenons qu’un bateau a coulé en Méditerranée et on nous informe du nombre de morts avant de passer à autre chose. Jusqu’à la prochaine fois. L’exil, les migrants, voilà le sujet que Florence Jenner Metz choisit de traiter de manière frontale et réaliste sans en cacher les aspects les plus durs. Il y a quelque chose de presque « documentaire » dans cet album. On entend Erythrée, misère, milice, soldat, mineur à Bisha, camp d’Hitsats, Calais…On peut s’en tenir à ces évocations dont on devine aisément les parts d’ombre. On peut aussi à partir de là aller chercher des informations sur toutes ces réalités évoquées dans le récit de Yémané : L’Erythrée, en Afrique de l’Est, riche en ressources minières, est un pays soumis à une dictature totalitaire qui viole impunément les droits humains et interdit toute liberté d’expression ; hommes et femmes y sont contraints à un service militaire à durée illimitée et qui utilise les soldats comme de véritables esclaves ; Bisha est une mine de zinc et de cuivre où le travail est très dur ; Hitsats, un camp de réfugiés en Ethiopie où ceux qui ont fui leur pays sont parqués en attendant de tenter la traversée de la Méditerranée. D’où une très forte migration politique et économique, la plupart des habitants y étant très pauvre. Le pays est souvent décrit comme une prison à ciel ouvert.

Cet aspect documentaire peut être abordé ou pas selon l’âge des lecteurs et les questions qu’ils poseront peut-être. Notamment quand ils liront à la fin du livre la lettre que Yémané adresse à ses parents après avoir retrouvé son frère. Cette lettre raconte tout du terrible voyage qui l’a amené jusqu’à Calais. Avec plus de détails durs que dans le texte qui la précède. Les quatre mois de peur, de faim et de fatigue, le Soudan, l’Egypte, le camp en Ethiopie, la violence des passeurs, des trafiquants d’êtres humains, le rafiot surchargé sur une mer incertaine qui recrache les migrants sur une plage d’Italie, la route jusqu’à Calais, sans rien savoir de là où l’on va. La lecture d’Un instant de silence devra être accompagnée, décryptée et expliquée par un adulte.

Le texte se déroule sur deux et même trois chronologies : le présent de Yémané débarqué seul à Calais, sur une terre inconnue et hostile par bien des aspects ; les souvenirs qu’il convoque, ceux du voyage et ceux de sa vie d’avant quand il était entouré de sa famille, dans son pays ; et cette projection dans un avenir optimiste.

Plusieurs choses vont venir adoucir le propos du livre.

Il y a tout l’espoir contenu par la fin. Yémané s’autorise enfin à pleurer. Et à nous livrer son prénom quand il retrouve une identité, une dignité, un horizon qui s’ouvre.Avec son frère, ensemble, ils reprennent confiance en un avenir possible. La fin de la lettre aux parents donne le détail de leurs projets : rester en France, en apprendre la langue, obtenir des papiers, se former, étudier. Aman deviendra un grand médecin, et moi, j’aurai mon restaurant. Ce restaurant aura le goût de la cuisine maternelle, le lien ne sera pas rompu, la famille sera fière d’eux et un jour, ils reviendront en Erythrée. Même si tous ces espoirs nous paraissent, à nous adultes informés de la difficile intégration des migrants, assez irréalistes, ils permettront au jeune lecteur d’être rassuré sur le sort de Yémané et de son frère. Et de refermer plus sereinement le livre. Et puis après tout pourquoi ne pas y croire ? Certains destins de migrants doivent parfois ressembler à ça…

Ce qui rend l’histoire aussi moins dure, c’est sa poésie. Sa délicatesse. Sa lecture nécessite à chaque page de faire référence au titre de l’album, comme un leitmotiv : Un instant de silence…pour écouter, pour sentir, pour regarder, pour se souvenir, pour oublier aussi, pour comprendre, pour pleurer, pour espérer, découvrir, reconstruire…A chaque double-page c’est la voix de Yémané que l’on entend en un texte court, très simple, très émouvant, qui complète et illustre cette succession de verbes à l’infinitif. Cela crée à la lecture et notamment à la lecture oralisée, une très belle musique poétique emplie d’émotion. Yémané nous raconte son histoire, nous ressentons pour lui une forte empathie, il nous fait partager son regard, son ressenti, grâce à lui nous comprenons ce que doit signifier quitter son pays dans de telles conditions et avoir toute une vie à reconstruire en terre étrangère. En une seule question on entend le doute : Une vie meilleure ? Parfois c’est le sentiment d’injustice, un début de colère, qui affleurent en peu de mots. Sans jugement, sans discours, sans condamnation nettement exprimée, avec juste du ressenti, l’autrice nous dit tout. C’est l’histoire de Yémané mais ce choix des verbes à l’infinitif qui ouvrent chaque « strophe », donne aussi au texte une dimension plus large. C’est là l’histoire de tous les migrants.

Ces instants de silence, nécessaires à Yémané pour tenir debout, le sont aussi au lecteur car c’est une histoire bouleversante. Ils nous permettent de nous imprégner du texte. Et de respirer.

Les dessins de Juliette David, très coloriés et comme crayonnés, sont eux-mêmes empreints de poésie et très touchants. Ils « disent » beaucoup de petites choses très importantes qui enrichissent le texte : Sur la couverture, Yémané dans le bateau est à part du groupe, il est le seul à ne pas regarder du même côté. Inquiet, triste, séparé de ceux qu’il aime, c’est bien lui qui va nous raconter cette histoire, nous prêter son regard. La métaphore des oiseaux libres est belle. A la fin Yémané et ses frères semblent avoir des ailes, ils sont prêts à de nouveaux envols. Les feuilles d’automne, symboles au début d’un automne froid et inconnu ontelles aussi finalement la liberté de s’envoler et de faire rêver. Le regard de Yémané et de son frère sur les voiliers qui passent à l’horizon disent l’espoir du retour au pays, un jour. Et à Pourquoi certains peuvent-ils courir, rire, rêver, étudier, s’empiffrer et d’autres, juste se taire ? répond sur les visages de Yémané et de tous les migrants une absence de bouche lourde de sens.

Un instant de silence est un très beau livre sur l’exil, porté par un personnage émouvant et attachant. Il n’élude ni les difficultés ni la violence de ce que vivent les migrants. Mais il offre à la fin un espoir tel que nous avons envie de croire, avec Yémané, à la possibilité et à la richesse d’un accueil généreux.

Nous vous proposons différents ouvrages qui portent sur l’exil, notons que l’album Les migrateurs fait vraiment écho à Un instant de silence.