Le grand voyage de Quenotte
Auteure - Illustratrice | Jessica Meserve |
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Traduit par | Michèle Moreau |
Editeur | Didier jeunesse – 2021 |
Les lapins aiment vivre entre lapins. Ils ne vont pas chercher plus loin que ce qu’ils connaissent et ce qu’ils aiment bien.
Alors, lorsque Quenotte s’éloigne de son terrier : panique ! Le monde extérieur peut être effrayant, surtout lorsqu’il est peuplé de créatures étranges qui ne mangent pas de carottes. Mais est-ce que tous les géants, griffus et poilus sont mauvais ? Quenotte sera-t-elle assez courageuse, et osera-t-elle dépasser ses aprioris ?
Mots-clés : destin, courage, initiation, peur
Présentation générale
Quenotte vit entourée de ses semblables, dans un grand terrier dont aucun lapin ne franchit jamais les frontières car le monde n’est rassurant et fiable que lorsque l’on reste entre soi, là où l’on a ses habitudes. Ailleurs, c’est dangereux. Et tout ce qui ne ressemble pasun lapin ne peut être qu’un prédateur dont il faut avoir peur.
Un jour, Quenotte, poussée par la gourmandise, cherche à attraper une carotte un poil trop loin, chute dans un grand trou noir très effrayant et pense alors qu’il ne pouvait rien lui arriver de pire…Elle tombe ensuite dans l’eau, dérive sur un rondin et rencontre un géant velu et griffu qui l’épouvante. Elle cherche un refuge en creusant un trou, ça, elle sait faire…Mais dans ce trou, il fait froid, il n’y a rien à manger et Quenotte s’y sent très seule. Lorsque le géant réapparait, c’est pour gentiment lui apporter quelque chose à manger, quelque chose certes d’inconnu mais de délicieux. Serait-ce qu’il n’y a pas que les carottes dans la vie ?? Quenotte suit le géant finalement plutôt gentil, derrière lui se met à grimper aux arbres, ce qu’elle n’a jamais fait, et elle découvre alors tout un monde inconnu, toutes sortes d’animaux qu’elle n’a jamais vus mais dont on lui a enseigné à l’école des lapins qu’ils étaient tous très dangereux…
Sauf que là, elle ne va rencontrer que gentillesse, joie de vivre et envie de partager. Les autres animaux lui apprennent à faire des choses qu’elle n’a jamais faites, elle-même leur enseigne ce qu’elle sait faire…et le monde des possibles s’élargit soudainement. Quand Quenotte commence à s’ennuyer des siens et qu’elle décide de retourner à son terrier, ses nouveaux copains vont la suivre, l’accompagner, l’aider… Le chemin du retour est le même qu’à l’aller mais il sera ainsi beaucoup moins effrayant et « pas si terrible que ça » finalement.
Les autres lapins restés au terrier accueillent Quenotte, sa carotte, et ses nouveaux amis avec bonheur une fois la surprise passée. L’univers des lapins s’élargit soudainement, tout le monde va vivre ensemble dans la joie et la bonne humeur ! Ce qui s’annonçait comme « le pire » sera finalement « le mieux » et même au-delà de ce que Quenotte et les siens pouvaient imaginer…
Notre avis
D’abord, il y a la première de couverture. La petite Quenotte a la tête sortie de son terrier et regarde une rivière serpenter au loin jusque derrière les montagnes et vers le soleil. Certes elle a le regard inquiet mais contrairement aux autres lapins, elle sort de son trou, lève la tête et elle regarde, elle… Sur la page de garde, la même petite Quenotte est dehors, plantée entre deux pancartes indiquant des directions opposées, l’une va vers le terrier et l’autre vers un mystérieux ailleurs. Cette fois le corps est certes tourné vers le chemin le plus rassurant mais le regard, lui, est surpris, curieux et résolument tenté par l’aventure. Tout est dit : Quenotte va, sans le vouloir vraiment au début, bouleverser l’étroite vie de ses congénères…
Le grand voyage de Quenotte est une fable animalière qui a pour thèmes principaux le courage, la capacité à dépasser ses peurs, et notamment celle de l’inconnu, la peur des autres qui sont différents de soi et donc pensés et enseignés comme dangereux, la construction de la confiance en soi et la richesse, finalement, du vivre ensemble.
Au départ, Quenotte n’a pas choisi, sa chute dans le trou noir est accidentelle. Cependant, il y a tout de même en elle une petite prédisposition puisqu’elle a justement envie d’une carotte qui est…un peu trop loin. Les autres lapins ne l’auraient sans doute même pas vue ou lui auraient tourné le dos. Quenotte est tentée…Et n’en sera pas punie, bien au contraire. On est loin du conte traditionnel. Il n’y aura pas de retour à la case départ. Tout va changer. En mieux. A partir du moment où le « géant » lui apporte quelque chose d’inconnu (mais d’excellent…) à manger, Quenotte va se rendre compte que tout ce qu’on lui a appris dans le terrier n’est que préjugé fondé sur la peur de l’inconnu et de la différence, et qu’en dépassant tous les a priori on s’ouvre à un monde beaucoup plus riche, beaucoup plus drôle, beaucoup plus dynamique. C’est le voyage initiatique qui va changer sa vie et celle de tous les autres lapins, convaincus que la tentation de l’entre-soi était en fait une impasse, une prison. Quenotte prend confiance en elle, elle trouve son propre chemin dans la vie, découvre la solidarité, le partage. Elle se rend compte que les différences entre elle et les autres permettent de s’enrichir mutuellement, que l’ouverture d’esprit permet de rêver d’ailleurs et par là même de s’ouvrir au monde. A la fin du livre, elle va rallier toute sa petite communauté à ces nouvelles manières d’envisager la vie, la vraie vie, et le terrier va devenir tout autre. Tout le monde va y vivre ensemble, y partager ses savoir-faire et ses savoirêtre heureux, tous joyeusement mélangés, lapins et non-lapins. L’enseignement même en est bouleversé, on n’apprend plus la peur et le repli sur soi mais la découverte, le crapahutage, l’exploration et comment grandir au milieu des autres et grâce à eux. On pourra trouver que le happy end de la dernière page est un peu rapide…Il l’est, certes. Mais il est joli, joyeux, optimiste, sorte d’Eden tout d’un coup conquis grâce à une Quenotte au regard toujours en alerte. Certes aussi il n’y a pas de mise en garde ni de prédateur dans cet album. Tout le monde est finalement gentil, pacifique et inoffensif, et l’amitié rend la vie passionnante. La transformation est rapide. Sans doute est-ce un peu utopique, un peu idéaliste, un peu trop simple par rapport à la « vraie vie ». Mais ce n’est pas grave ; il y a suffisamment par ailleurs de contes d’avertissement et d’histoires davantage centrées sur la complexe réalité humaine pour rétablir l’équilibre. Nous sommes sensibles à l’optimisme joyeux et sans ombre des aventures de Quenotte, bienvenu en ces temps de méfiance et de « développement personnel ». A partir de là, on aura tout loisir en littérature jeunesse de nuancer le propos, en en conservant l’essentiel : La richesse du vivre-ensemble.
Les illustrations
Le texte de cet album est assez dense, pas forcément simple pour les plus jeunes. Il demandera alors certainement un accompagnement. Ce qui est certain, et très riche, c’est que les illustrations, par rapport au texte, sont nécessaires. Pour l’éclairer, l’enrichir, le nuancer, le mettre en question.
Jessica Meserve est l’autrice et l’illustratrice de cet album. Les dessins sont de très jolies aquarelles, pleines d’humour, de douceur et de poésie. Les couleurs basculent dans les tons froids quand l’aventure se corse et redeviennent chaleureuses quand tout va mieux.Les mises en page sont diverses, parfois en pleines pages et même en doubles pages, parfois organisées en bandes verticales ou horizontales façon BD. Les dessins sont pleins de détails à dénicher, à observer : Petites souris coquines qui tentent de tirer de leur côté sur la carotte convoitée par Quenotte ; minuscules fourmis tapies sous la terre quand Quenotte s’est réfugiée dans son trou et qui s’inquiètent dans le noir de cette grosse bête atterrie au-dessus de chez elles…comme quoi on peut avoir peur d’un lapin quand on n’en est pas un ! Et il y a une belle complémentarité entre ces détails et le texte. Les divers affichages sur pancartes qui jalonnent les couloirs du terrier au début de l’histoire permettent de prendre la mesure de la rigidité des normes sociales en vigueur chez les lapins :« Stop frontière ». « J’y suis j’y reste ». « Le bonheur est à portée de carotte ». Ainsi également cette pancarte où sont dessinés tous les attributs à craindre chez les autres, cornes, plumes, griffes, sabots et écailles, que Quenotte identifiera par la suite sur chacun de ses nouveaux amis. Le nouvel affichage à la fin du livre change de ton : « L’aventure c’est par là ». « Bienvenue ». Les personnages sont croqués avec malice, et si l’on regarde attentivement les dessins, on remarque qu’ils disent parfois autre chose que le texte et donnent des indices au lecteur. Par exemple, lorsque Quenotte rencontre pour la première fois le « géant » qui fait tellement peur, si on regarde bien la tête de ce fameux géant on s’aperçoit tout de suite qu’il a surtout l’air étonné puis compatissant face à ce drôle d’animal qui vient d’échouer dans sa rivière ! Si le jeune lecteur ouvre ses yeux, il pourra d’ores et déjà rassurer la petite Quenotte qui est aveuglée par ses peurs !
Pour prolonger la lecture
Cet ouvrage peut faire penser au livre « Chers maman et papa » d’Emily Gravett, qui met en scène Sunny, un petit suricate qui n’en peut plus de vivre dans sa famille, qui étouffe dans le désert et qui a envie de changer d’air. Il décide de partir en voyage et envoie régulièrement une carte postale à ses parents pour raconter ses péripéties. Même thème du voyage initiatique qui permet de grandir.
Septembre 2021