Le silence de Rouge

Auteur | Mathieu Pierloot |
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Illustratrice | Giulia Vetri |
Editeur | Versant Sud – 2023 |
Une nuit, Seymour recueille une enfant sur la plage. Jour après jour, son silence envahit la maison. Alors, Seymour s’inquiète.
Depuis que Rouge est entrée dans son existence, sa vie compte double.
Mots-clés : adoption, différence, famille, émotions
Présentation générale
Seymour n’est pas un loup comme les autres. Il n’a aucun point commun avec la meute dont il fait partie. Il se sent différent de ses propres parents. Il est fragile, contemplatif, il déteste la violence et se sent une âme de végétarien. Les autres loups se moquent de lui. Il décide alors de quitter la meute pour tenter de vivre ailleurs, autrement. Il s’installe dans une petite chaumière au-dessus d’une plage de sable. La maison est inhabitée mais pleine de livres, de pièces silencieuses et d’objets bavards. Il s’y sent tout de suite bien, tranquille. Il peut y lire près d’un feu de cheminée en buvant ses tisanes. Il est heureux.
Mais voilà qu’une nuit, il sauve de la noyade une petite fille en robe rouge qui s’avance vers le large et s’enfonce dans la mer. Il la ramène chez lui, veille sur son long sommeil. Quand elle ouvre les yeux et qu’il lui demande son prénom, elle ne répond pas. Celle qu’il nomme alors Rouge s’est enfermée dans le silence. Peu à peu malgré tout, la petite fille va renaître à la vie auprès de Seymour qui prend grand soin d’elle. Peu à peu ils se rapprochent l’un de l’autre. Rouge ne parle toujours pas mais elle se met à sourire, à dessiner. Les années passent, ils sont côte à côte, attentifs l’un à l’autre. Rouge grandit et Seymour vieillit. Un jour il est temps pour Rouge de prendre son indépendance. L’oiseau doit quitter le nid. Elle part pendant le sommeil de Seymour, elle voudrait lui dire qu’elle l’aime, qu’il lui a sauvé la vie, mais elle n’a pas encore retrouvé les mots.
On retrouve Rouge sur la même plage, des années plus tard. Elle y est avec son compagnon et leur petit garçon qui, sur le sable, trace les lettres de son prénom : SEYMOUR, le plus beau des prénoms, dit Rouge qui a retrouvé la parole. Sur la falaise, la maison où elle a vécu avec le loup disparaît sous l’aubépine et la bruyère. La vie de Rouge est devant elle mais elle sait à qui elle la doit.
Nos commentaires
Aux éditions Versant sud, la collection Les Pétoches a pour cibles les univers déconcertants où on apprend à apprivoiser des sentiments légèrement inquiétants, à frissonner et à jouer à se faire peur.
Le silence de Rouge est un album complexe. Et tout album qu’il est, enrichi de nombreuses illustrations, il ne s’adresse pas vraiment à de trop jeunes lecteurs. Il nécessite une certaine maturité et l’accompagnement d’un adulte peut être utile. S’il peut sembler légèrement inquiétant, il nous a surtout paru, à nous, d’une beauté bouleversante. On écoutera avec beaucoup d’intérêt la double interview de Mathieu Pierloot et de l’illustratrice Giulia Vetri sur le site de l’éditeur :
L’auteur y explique qu’à l’origine de ce livre, il y a une image dans sa tête, celle d’un loup en costume de tweed, seul au bord d’une falaise. Et une question : Que fait-il là ? Mathieu Pierloot dit qu’il a presque écrit cette histoire malgré lui : Je ne savais pas très bien ce que j’étais en train d’écrire. Ce qui donne certainement à cette histoire cette dimension presque « psychanalytique » que nous avons ressentie.
Nous y sommes dans une ambiance de conte inversé qui fait forcément penser au Petit Chaperon Rouge : un loup, une fillette habillée de rouge, une rencontre. Mais ce loup est tout sauf prédateur. Il trouve refuge dans une maison mais n’est coupable d’aucune intrusion violente pour la faire sienne. Rouge, quant à elle, n’a que la couleur de son vêtement pour évoquer le célèbre chaperon. C’est elle qui penche davantage vers le « sauvage » et auprès du loup elle trouve tendresse et protection. Le contraire de l’agression et de la dévoration. Nous sommes néanmoins dans le registre du conte. Le loup, animal sauvage au début de l’histoire va « s’humaniser », en raison de sa différence, de sa sensibilité. Il va s’installer dans une maison, s’habiller quand il aura froid, lire, boire des tisanes, ramasser des champignons en forêt, des coquillages sur la plage et vieillir dans son fauteuil. Tout en restant à quatre pattes, à hauteur d’enfant, avec sa belle fourrure grise à caresser. Il va également « s’humaniser » en s’attachant à la petite fille, en la prenant en charge, en veillant sur elle, en l’aidant à grandir sous sa protection. Rouge de son côté ne révèlera rien de son histoire d’avant. Il y a manifestement eu un tel traumatisme qu’elle voulait mourir (du moins l’imagine-t-on) et qu’elle ne peut plus sortir du silence. De ce traumatisme, on n’en devinera que quelques traces, grâce à la conversation entre une théière, une tasse, un buffet et un chandelier. Car cette maison est un peu magique, les objets y parlent entre eux. Rouge, désespérée, voulait se noyer, elle a des bleus sur les jambes et de la peur dans les yeux. Elle a sans doute vécu quelque chose de très dur, on ne saura pas quoi. C’est un des non-dits du texte. Il y en a d’autres et ils sont émouvants. On n’a pas besoin d’en savoir davantage pour entrer pleinement dans l’histoire.
Une histoire de maltraitance, de résilience, de reconstruction de soi grâce à l’amour d’autrui. Une histoire d’adoption. Un regard posé sur la notion de parentalité. Etre parent c’est aussi un jour laisser la porte ouverte pour que l’enfant puisse partir vivre sa vie. Seymour est un père adoptif à la hauteur, jusqu’au bout. Il a su respecter le silence de la fillette, prendre soin d’elle en la laissant se rapprocher de lui petit à petit, à son rythme. Il l’observe aller de mieux en mieux, commencer à sourire, réussir à exprimer son attachement grâce au dessin. Il lui laisse tout l’espace dont elle a besoin. Il ne lui impose rien. Elle a bien le droit sur la plage de ne pas préférer les mêmes coquillages que lui…L’importance de la relation est dans les deux sens. La vie de Seymour désormais compte double. Il est fier et ému de tous les progrès de l’enfant. Le texte est court, tout n’est pas écrit mais tout se devine avec délicatesse et poésie, beaucoup de douceur et de tristesse aussi.
La fin du livre est très belle. Rouge grandit, Seymour vieillit. Mais il est temps pour elle de partir, de prendre son indépendance. Quand on part, il ne faut pas se retourner. Quand on part il ne faut pas pleurer. Une grande illustration, en pleine double-page, sans texte, montre un oiseau qui prend son envol et s’éloigne de la maison. Il faudra sans doute mettre des mots sur le sens symbolique de ce dessin avec les enfants. Et la dernière double-page sera à commenter elle aussi pour comprendrel e saut dans le temps, le prénom du fils de Rouge, le regard que, devenue adulte, elle jette en arrière vers la maison redevenue « sauvage ». Rouge parle. Et tout ce qu’elle n’a pas pu dire à Seymour avant de partir, toute sa gratitude, son amour sont contenus dans ce prénom qu’elle a offert à son fils. Elle vit, elle a construit une famille, elle est heureuse. Le silence de Rouge est aussi un livre sur la mort (celle du loup est « devinée »), sur la séparation nécessaire pour devenir soi, la force du souvenir, le temps qui passe, la force du lien. Rendons aussi hommage aux peintures de Giulia Vetri : une riche conversation entre les teintes chaudes et les teintes froides ; une belle articulation avec le rythme du texte ; le rendu des textures qui donne envie de toucher les pages ; une rondeur douce et rassurante ; la profondeur des paysages…L’album est un très bel objet.
Le silence de Rouge est une histoire très touchante, bouleversante par moments, qui se lit en partie entre les lignes et qui touche à des thèmes fondamentaux de la vie. A partager de préférence avec des enfants déjà grands.
Sur le même thème du lien entre un enfant et un animal qui le protège, vous trouverez sur notre site la présentation de La fille en poils de chien.
Et un petit clin d’œil à ce vieil album du Père Castor : Marlaguette, où une petite fille va tenter d’apprivoiser un loup et où celui-ci, par amitié, accepte d’être domestiqué, sans que cela réussisse vraiment. Morale: un animal sauvage garde toujours en lui une part sauvage qu’il faut respecter.