La fille en poils de chien

La fille en poils de chien
Auteure

Emmanuelle Maisonneuve

Illustrateur

Antoine Déprez

Editeur

Alice Deuzio-2022

A travers la forêt en Sibérie, une fille fuit. Elle a dix ans, peut-être plus. Dans la grotte où elle se réfugie, une grande ombre se profile soudain… un chien, enfui lui aussi. C’est le début d’une alliance spéciale, pour la survie dans l’hiver et la neige. Mais viendra le temps de sortir du bois et de se rapprocher des hommes.
Un autre temps… Une nouvelle vie ?

Mots-clés : nature, lien homme-animal, Grand-Nord, identité

Présentation de l’éditeur

Chassée par les siens, la petite fille n’a pas d’autre choix que de fuir.
Alors qu’elle se réfugie dans la forêt, elle fait la rencontre d’un chien qui entreprend de l’aider. Ensemble, ils sont leur propre meute, leur propre attelage. L’instinct du chien et l’ingéniosité de la petite fille sont mis à profit pour qu’ils puissent tous deux survivre.
L’hiver est rude et l’enfant transie de froid. Elle se confectionne alors un vêtement à l’aide du pelage de l’animal. Elle devient la fille en poils de chien, prête à combattre le gel.
Mais les baies ne poussent plus et le gibier se fait rare. Comment vont-ils se nourrir ? Le chien veille sur sa protégée, mais à quel point est-il prêt à risquer sa vie pour son attelage ?

Nos commentaires

Le récit commence comme un long travelling cinématographique. Nous sommes en Sibérie, il fait un froid glacial, les arbres de la forêt sont couverts de neige, une petite fille court, seule. Elle s’enfuit. La caméra s’arrête en plan fixe sur une grotte dans laquelle la fillette se réfugie. Mais une ombre apparaît. Il ne s’agit pas d’un loup mais d’un chien, en fuite lui aussi. Dans la grotte l’animal parle, rassure la fillette sur ses intentions. Mais l’avenir de ces deux êtres en détresse est bien incertain dans un milieu aussi hostile.

L’ambiance est donnée. Il est question de nature sauvage, d’amitié et surtout de survie. Les deux personnages ont chacun vécu un drame. La fille a vu son village détruit, elle a perdu sa famille. Le chien n’a pas supporté d’être enfermé dans un enclos, trop vieux pour continuer à être chien de tête de son attelage. Tous deux sont seuls, malheureux, traumatisés. Ils se consolent comme ils peuvent. Ils savent qu’ils doivent maintenant lutter contre le froid, la faim, la soif. Le chien propose de laisser leurs souvenirs derrière eux pour former un attelage et continuer de vivre : « – Le traîneau ; c’est notre bagage que nous emportons avec nous. Il est notre passé, ce que nous avons vécu… Mais le chemin, c’est notre vie qu’il faut continuer. Pour alléger le traîneau, nous oublierons nos malheurs. Nous nous ferons une nouvelle vie.» C’est ainsi qu’ils organisent leur cohabitation : pas de hiérarchie, de l’entraide, du partage et de la solidarité.

Les liens entre les deux personnages sont très forts. Ils se tissent au fil du temps et de leur expérience. Ils sont empreints de respect, d’affection, d’admiration. Chacun a des qualités propres. Le chien court dans la neige protégé par ses pattes, il peut chasser. La Fille profite de ses mains agiles pour ramasser des baies mais aussi pour déboucher la source au fond de la grotte. Ils sont tous les deux utiles. Ils traversent des moments d’une grande intensité, frôlant la mort à plusieurs reprises. Leur courage, leur volonté, leur confiance mutuelle sont leurs seules armes.

Lorsque la Fille risque de mourir gelée, le chien tente de la réchauffer comme il peut mais ce n’est pas suffisant. Heureusement la Fille est astucieuse. Avec un peigne, vestige de son passé, elle récupère les vieux poils du chien, confectionne du feutre et se fabrique un habit de pelage. Le chien est épaté (« Tu me ressembles. Tu sens mon odeur ! ». La Fille, elle, se trouve transformée (- Ce sera ma seconde peau. Pour me moquer du froid ! »). En revêtant les poils de chien la Fille peut affronter le froid et les obstacles de sa nouvelle vie. Elle devient louve, elle est « la fille de l’hiver ». On retrouve ce même esprit de métamorphose dans Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier lorsque Vendredi se laisse glisser dans la souille. Le bain de boue le lave de sa souillure et lui redonne de l’espoir. Ici c’est le manteau en poil de chien qui donne une nouvelle vigueur à la Fille et lui apporte la force de continuer.

La grande différence qui existe entre les deux personnages tient à leur âge et à leur motivation. La Fille est jeune, elle a toute la vie devant elle. Elle s’est enfuie pour ne pas mourir. Elle reste vivante grâce à une intelligence et un instinct de survie hors du commun. Le chien, lui, est vieux, il sait qu’il arrive à la fin de sa vie. Sa fuite est un choix pour rester libre jusqu’au bout. Là est son secret qu’il ne veut pas révéler à la Fille, encore trop jeune pour accepter la mort. Conscient de son rôle d’ancien il s’attache à transmettre ses savoirs, ses connaissances en organisant au mieux l’attelage qu’ils forment à deux. Il rassure la Fille, la réchauffe, l’aide à se projeter dans l’avenir. Il prend tous les risques pour rapporter de quoi manger. Sa disparition à un moment du récit obligera la Fille à sortir de la grotte pour subsister. Et c’est à ce moment-là qu’elle retrouvera la vie avec les hommes.

La Fille et le chien se sont apprivoisés mutuellement. La Fille est très attachée à l’animal auquel elle doit en grande partie sa survie. Elle lui trouve très vite un nom, « Groys Hunt« , Grand Chien. Elle s’est Inspirée des histoires que son grand-père lui racontait à propos d’une constellation reconnaissable à sa forme de chien auquel il manque la tête. A la fin du roman Grand-Chien retrouve son état sauvage alors que son état physique ne lui permet plus de survivre. L’épilogue montre La Fille scrutant le ciel en compagnie de papa Vassili. Elle reconnaît Grand-Chien dans une nouvelle étoile tout à fait particulière (« Cette étoile ne brille que pour toi. »), celle qui fait la tête du chien, celui qui mène l’attelage. Cette évocation tendre et sensible nous ramène au monde poétique du Petit Prince de Saint Exupéry. Le Petit Prince rassure le renard en lui proposant de regarder les étoiles la nuit. La Fille regarde avec émotion la nouvelle étoile qui brille pour elle.

Le lien au passé est une thématique largement déclinée tout au long du roman rythmé par une comptine que le chien répète comme un mantra :
« Petite Fille, Petite Fille…
Les souvenirs sont de pesants colis…
Jette-les loin derrière, Petite Fille !
Pour tracer une nouvelle vie. »

Une douce mélodie pour une injonction qui pose de nombreuses questions. Peut-on réellement avancer en abandonnant tous ses souvenirs ? Le passé n’est-il pas une base de construction de soi ?
Pour le chien l’abandon des souvenirs est un choix pour éviter la nostalgie et garder sa liberté de penser et d’agir. Pour la Fille le rejet de son passé n’est pas simple. Elle n’a pas encore beaucoup d’expérience. Elle est en train de grandir, de s’élever. Certes sa vie avec Grand-Chien lui apprend à survivre mais comment peut-elle évoluer sans d’autres humains ? La situation de la Fille ressemble à celle de Mowgli dans Le livre de la jungle de Rudyard Kipling. Son osmose avec la nature et l’influence du chien l’amènent à penser qu’elle n’a pas besoin du monde des hommes, qu’elle peut même le renier. Or c’est bien la société humaine qui va lui offrir la possibilité de devenir une personne.
En effet, après différentes péripéties, la Fille est accueillie seule chez une famille. Elle retrouve une vie sociale, des relations humaines, des habitudes qui lui parlent. Elle retrouve un équilibre. Dans cet environnement rassurant elle réussit à prononcer son prénom de petite fille, Zeeva. Elle parvient également à se détacher de sa peau en poils de chien. Ce n’est ni simple ni facile car Zeeva a besoin de construire de nouveaux repères. Pour avancer Zeeva ne veut plus penser à Grand-Chien (« Oublie les souvenirs, petite, pour ne pas souffrir à nouveau »). Mais ce n’est pas possible. Rattrapée par sa conscience et l’amour qu’elle porte au chien, elle va, pour la dernière fois, revêtir sa peau de bête pour aller libérer Grand-Chien.

Dans la peur Zeeva vivait une sorte de régression, comme un retour à un état animal. Revenue parmi les hommes elle retrouve sa nature sociale. Elle grandit aussi. Elle fait maintenant la part des choses entre le présent, le passé et le futur. Elle comprend qu’on ne peut pas se préserver de tout, que l’oubli des souvenirs n’est pas la clé du présent. Elle s’en veut d’avoir abandonné Grand-Chien parce qu’elle l’aime de tout son cœur et elle veut le soutenir. Elle comprend que le libérer signifie pour lui mourir dans les bois. Mais elle répond à la demande de Grand-Chien par respect et surtout par amour. Cette dernière action marque un passage au niveau de sa maturité. Zeeva brûle son manteau de poils de chien à son retour, signe de sa volonté de grandir parmi les hommes.

On pourrait croire qu’un récit déclinant des thèmes si sérieux et si profonds soit difficile à lire. Il n’en est rien ! La lecture du roman est un réel plaisir. Les chapitres sont très courts. En deux ou trois pages seulement le lecteur découvre une nouvelle épreuve, un nouvel obstacle, une évolution notable de la situation. La progression dans le récit est rapide et le temps passe vite. La lecture de chaque chapitre est facilitée par une mise en page et un contenu à teneur poétique. Les phrases sont courtes avec des retours à la ligne fréquents. Des répétions de comptines et d’expressions, reconnaissables à leur forme typographique (en italique), rythment le texte. Les phrases importantes, les moments à ne pas rater sont également mis en exergue par une écriture en italique. Le texte donne à entendre comme il donne à voir. Outre sa musicalité il éveille à l’imagerie mentale dans le cadre de la forêt comme dans le cadre domestique. Une très jolie découverte littéraire.

Un dépaysement total. Des personnages sensibles dont une héroïne courageuse, débrouillarde, fidèle, éminemment sympathique. Des situations qui donnent à réfléchir sur la construction de soi, le rapport à la nature, les choix de vie, la notion de liberté. Une écriture pleine de poésie. Ce roman est un véritable coup de cœur.

Prolongement

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