Le cahier bleu foncé

Auteure | Françoise Legendre |
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Editeur | Thierry Magnier – 2024 |
Depuis qu’il a emménagé en France avec sa famille, Alexandru n’a qu’un plaisir : cuisiner avec sa mère des plats délicieux qui embaument toute la maison. Mais un jour, sa mère n’est plus là. Le précieux carnet de recettes bleu foncé dont elle ne se séparait jamais reste fermé, comme le cœur d’Alexandru. Retrouvera-t-il le goût de la cuisine et de la vie ?
Mots-clés : relation adultes-enfants, deuil, exil
Présentation
Dans sa collection « Petite Poche », Thierry Magnier nous propose des petits romans courts, mais toujours avec des textes forts et une mise en page qui respecte le rythme des petits lecteurs pour engager les jeunes dans la lecture sans images.
Celui-ci ne déroge pas à cette règle. Son format, petit, qui tient dans la main comme dans la poche, a des chapitres courts de 2 à 3 pages qui associent concision du propos et facilité de lecture.
Ici, Françoise Legendre retrouve ses thèmes favoris sur la tolérance, la mémoire, l’enfance et les liens de famille pour nous raconter une belle histoire centrée sur un jeune garçon roumain installé en France et qui découvre une autre vie que celle qu’il a connue.
Nos commentaires
Alexandru est différent des autres (« J’ai la peau très mate, les cheveux noirs »), ce qui, rapidement, le fait être surnommé « le gitan » par ses camarades de classe. Il n’a pas les mêmes activités que les autres (« J’ai horreur du foot »), ce qui le met aussi un peu à l’écart. En revanche, il adore cuisiner, parce que les plats qu’il confectionne lui rappelle son pays et aussi parce qu’il cuisine avec sa maman qui lui transmet son savoir et tisse avec lui une belle relation.
C’est pourquoi, quand sa maman vient à décéder brutalement, il s’approprie le cahier de recettes familial qui lui restitue une partie de ce qu’il a vécu avec celle-ci. Il ne s’autorise plus à cuisiner mais feuillette, renifle, savoure ce document plein de souvenirs et de bons goûts partagés. Il y retrouve des images fortes, les gestes appris pour faire une pâte ou cuire des légumes. Il le cache même sous son matelas pour mieux le retrouver au moment du coucher. C’est un objet apaisant, qui l’aide à s’endormir.
Mais un jour, le cahier disparaît. Il s’aperçoit que c’est son petit frère qui le lui a pris. Dans une colère incontrôlable, il le jette contre un mur ce qui fait exploser sa couverture et éparpille toutes les recettes auxquelles il tenait tant. Le choc de la mort de sa mère s’alourdit de la perte de ce cahier et ce garçon, tout en sensibilité, se renferme sur lui et son monde perdu. Ce cahier était le symbole de l’amour, du partage, du pays, du bonheur. Il représente tout ce à quoi il tient mais en cela il lui rappelle aussi trop tout ce qu’il a perdu. Des sentiments antagonistes qu’il a du mal à gérer.
C’est néanmoins la cuisine qui le sortira de sa douleur quand il fera la connaissance de Rim, une fillette libanaise de son collège, qui vient cuisiner chez lui. Grâce à elle, il retrouve des odeurs délicieuses, des goûts familiers, des épices connues… La proposition qu’elle lui avait faite au collège d’échanger autour de leurs passés qui se ressemblent et qu’il avait rejetée violemment, se transforme alors en coopération pour faire ensemble des plats issus de leurs cultures, des plats qui, sans être les mêmes se ressemblent et rappellent un peu le pays d’où ils viennent. Dans la cuisine, il existe un certain universalisme mais aussi une unité. Cela favorise le partage tout en marquant les particularités de chacun. La cuisine devient un moyen de se rapprocher, de partager et de se lier d’amitié. C’est aussi une façon de redonner place à la vie nourricière, qui fait grandir et appelle vers l’avenir.
La personnalité d’Alexandru est intéressante. S’il se démarque des autres garçons du collège, ce n’est pas tant par son origine et son physique différents que parce qu’il s’autorise à ne pas participer à des activités qui ne lui plaisent pas et qui pourraient faciliter son intégration. Il préfère découvrir des domaines olfactifs, gustatifs et manuels qui lui ressemblent davantage. Il se donne le droit d’apparaître plutôt comme une personne sensible, en particulier à la cuisine, ce qui n’est pas courant dans les personnages masculins de la littérature.
Le personnage du père est aussi très attachant, même s’il se dessine en creux au fil de la lecture. Après la mort de sa femme, il devient plus présent dans la maison mais rien ne ressemble à la place que la mère avait dans la famille. « Il se forçait à parler, à sourire… ». Il prépare le dîner mais rien n’égale les petits plats que sa maman mitonnait. Il essaie de contenir ses enfants quand ils se battent mais ses mots ne calment en rien la colère de l’aîné. Cependant, silencieusement, c’est lui qui ressort le cahier de recettes abîmé pour en recoller les pages et le replacer sur l’étagère de la cuisine. C’est lui aussi, sans en prévenir son fils, qui propose à la jeune libanaise de venir cuisiner chez eux. C’est encore lui qui, lorsque les deux adolescents auront brisé la glace, s’éclipsera discrètement pour les laisser tous les deux discuter de leurs souvenirs culinaires. C’est lui qui arrivera, tout en douceur et délicatesse, à aider Alexandru à surmonter son chagrin.
Notre avis
Ce petit livre aborde en peu de pages beaucoup de thèmes : l’étranger, la cuisine et le goût, le rapport familial, le rapport amical…Il déborde de vérité dans les comportements qu’il décrit, les émotions qu’il traduit. Il comporte des événements forts qui sont pleins de sincérité. Le récit à la première personne, amplifie cette narration, et permet une identification facile.
S’il est court et vite lu, il nécessite cependant un bon niveau de compréhension ou un accompagnement de l’adulte pour bien comprendre les émotions exprimées par Alexandru et ne pas mal les interpréter : différencier sa colère de la violence, apprendre à reconnaître sa sensibilité, comprendre les plaies créées par son histoire. C’est une lecture qui touchera les enfants et leur donnera une autre vision de ce que représentent l’exil et l’intégration.
On pourra juste regretter que ce soit Rim, une jeune fille libanaise, exilée comme lui, qui lui tende la main, même si on peut lire ce choix comme une première marche vers l’accès à d’autres amitiés à venir.
Pour aller plus loin
L’autrice, Françoise Legendre, a écrit d’autres petits livres qui s’appuient sur les sens et la transmission, avec une sensibilité et une délicatesse remarquables.
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Les odeurs de l’enfance | L’immigration portugaise | La transmission familiale |
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L’exil roumain | L’immigration de l’Est | Les préjugés contre les Rom |