J’arrête quand je veux
Auteur | Nicolas Ancion |
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Edtiteur | Mijade – 2020 |
Théo est fan de jeux vidéo, comme ses copains et ses copines. Il jouerait bien tout le temps, s’il n’y avait l’école et les parents. Jusqu’au jour où il découvre un jeu en ligne bien plus passionnant que tous les autres. Théo se lance alors sans retenue, au point d’en oublier ses amis, la jolie Yaëlle, l’école et tout le reste. Théo parviendra-t-il à quitter le jeu pour revenir dans notre monde ?
Mots-clés : informatique, liberté, amitié
Présentation
« J’arrête quand je veux » est la phrase type des accros en tout genre, la phrase qui ne laisse aucune place au doute, la phrase qui rassure celui qui l’énonce.
Théo est un garçon comme les autres. Sa vie de famille n’est pas simple. Il parle difficilement à ses parents mais il est proche de sa sœur. Il a de vrais amis, complices et fidèles, avec lesquels il passe d’excellents moments. Il est plutôt studieux et ne rencontre pas de difficultés particulières au collège. Il est amoureux mais n’a pas encore osé se déclarer. Il est passionné par les jeux vidéo et aime y jouer pendant ses temps libres. Bref, Théo a une vie presque sans histoire.
Mais voilà, Théo se laisse prendre à un jeu en ligne, The Land of the Living Dead. Il perd le sommeil, son self-control, s’isole et ne vit plus que par et pour le jeu. Il faudra toute l’attention de son entourage pour le sortir de son enfermement.
Ce roman, simple et bien écrit, pointe un risque important dans notre société, l’addiction. Il n’est jamais question de juger Théo, mais surtout de comprendre l’engrenage qui l’amène à perdre pied. Une fiction tout à fait réussie, plaisante à lire et qui donne à réfléchir.
Nos commentaires
Le site Babelio nous apprend que ce livre est une réédition après actualisation d’un récit déjà paru en 2013. Nicolas Ancion a travaillé en partenariat avec l’association belge Infor-drogues. Il a rencontré beaucoup de classes de collège et s’est appuyé sur de nombreux échanges pour écrire son livre. Le but de son écriture est donc tout à fait ciblé : dénoncer des agissements d’addiction en visant un public de jeunes collégiens.
De façon très classique le récit se décline en trois temps principaux : la présentation des personnages et du contexte, la découverte du jeu et l’addiction de Théo puis la résolution du problème avec l’intervention de l’entourage de Théo. La dépendance croissante de Théo représente le cœur de l’histoire. C’est la partie la plus prenante, la plus motivante.
Une situation de départ simple à comprendre… et un peu longue
Théo est un garçon « ordinaire ». Ses parents sont divorcés. Il vit une semaine sur deux chez l’un et l’autre alors que sa sœur a décidé de vivre chez sa mère. Son père dépressif, très pris par son travail, est souvent absent. Sa mère, plus présente, ne connaît rien en informatique et en jeux vidéo. Il vit au sein d’une famille certes décomposée, mais toujours aimante. Il est souvent seul et trouve parfois le temps long.
Matthieu et Són sont des très bons copains. Ils partagent avec Théo le goût des jeux, notamment des jeux sur écran. Ils aiment échanger et parlent facilement de leur vie, de leur secret de cœur… Ils ont créé l’ATARI, l’Assemblée des Trois Amis que Rien n’Inquiète, une sorte de club des cinq même s’ils ne sont que trois. Modernité oblige, ils peuvent communiquer à distance via un groupe de discussion. En ligne.
Le collège n’est pas un lieu trop contraignant. Les cours paraissent plutôt intéressants. Il ne semble pas exister de conflit important entre élèves et adultes. La prof de français est sympathique. Sa proposition ouverte pour faire un exposé enchante Théo.
La mise en place des personnages et du contexte dure soixante-dix pages soit plus d’un tiers du récit. C’est certainement un peu long et il ne faudrait pas que le-la lecteur-trice ne s’y ennuie au risque d’abandonner sa lecture avant d’arriver à la partie la plus intéressante.
Le pays des morts-vivants
Le nouveau jeu que découvre Théo est symptomatique des jeux addictifs au regard de sa forme et des modalités de jeu.
La mise en scène de l’introduction du jeu est déjà toute une histoire. Une image choc, de la musique forte. Il s’agit déjà de rompre avec le quotidien pour intégrer d’emblée un environnement visuel et sonore particulier, dépaysant, décapant même !
La constitution de l’avatar est un moment important puisqu’il s’agit de fabriquer un personnage, presque de se dédoubler. Théo choisit un zombie, grand, brun, informaticien, mort dans un accident de voiture et ressuscité au cimetière du Père Lachaise. Et Théo voit défiler, comme par magie, tout ce qui s’est passé avant qu’il ne crée « Bobby », les raisons et les circonstances de sa mort, son retour à Paris. Tout est fait pour suggérer une vie effective du personnage avec son histoire alors qu’il n’a été créé qu’à partir d’un choix d’options.
Le jeu semble porter des valeurs sociales. Il faut interroger d’autres joueurs pour entrer dans le jeu pour en comprendre les ressorts. Cependant le but du jeu est très simple : « Tu dois vivre le plus longtemps possible et faire vivre le zombie ». Mais qui doit vivre le plus longtemps possible, Théo ou Bobby ? Dès le départ il y a confusion d’identités. De plus les rencontres ne sont jamais désintéressées. Les amis d’un jour n’hésitent pas à vous tirer dessus à la première occasion pour gagner en puissance. C’est la loi du plus fort.
C’est l’expérience du jeu qui fait l’apprentissage. « C’est en jouant que tu découvres. Comme dans la vraie vie, tu n’as pas le mode d’emploi. » explique Théo à ses amis. Il est fasciné par la multitude des possibles, l’immensité des univers à découvrir. Il a le sentiment d’une grande liberté. Cette fois c’est le rapport à la réalité qui est dévoyé. Le temps passé devant l’écran assujettit le joueur au monde virtuel dans lequel il est projeté.
L’unique façon d’avancer dans le jeu est d’utiliser la violence, souvent extrême, et de n’avoir confiance en personne. L’usage d’armes à feu est autorisé comme dans de nombreux jeux, mais il y a aussi des coups de chaînes, des attaques de dobermans… Il n’y a aucun scrupule à cogner une petite fille pour lui voler sa trottinette ou à torturer une vieille dame pour lui faire dire où elle cache ses bijoux. Il s’agit ici de sublimer une toute puissance tyrannique, déshumanisée, sans aucune négociation.
Est-ce que Théo fait la différence entre le virtuel et la réalité ? Est-ce qu’il sait qu’il est dans un monde de fiction ? Certainement. Mais il est subjugué. « Tout est possible. Je peux faire ce que je veux, je peux devenir ce que je veux… ». Le jeu lui offre une liberté d’actions qui lui permet de s’évader d’un quotidien dont il ne veut plus. Et peu importe la morale ! Il oublie sa vie réelle sans se rendre compte qu’il entre dans un mécanisme totalement malsain et dégradant !
L’évolution de Théo
Nous l’avons déjà dit, Théo est un garçon ordinaire, sans problème particulier. Bien sûr, il souffre de l’absence de son père et se sent parfois seul. Mais il a une vie sociale agréable et se sait aimé. Il parle facilement avec sa mère, sa sœur, ses amis.
Au fil de l’histoire les attitudes de Théo vont changer. Tout d’abord Théo va commencer à mentir. Le mensonge est parfois utile et tolérable quand il s’agit de dépasser quelques contraintes. Le problème posé ici est le degré de fréquence des mensonges et l’évolution de leur teneur. Théo affirme que « tous les copains jouent », petit mensonge. Mais ensuite il ment à son père et à sa mère sur son état de santé, sur son travail… Il triche pour se fabriquer un certificat médial.
Théo n’échange plus avec sa famille. Il ne parle vraiment qu’à ses amis. Mais il ne leur parle que du jeu ! Il n’écoute plus rien, il n’est plus en mesure de discuter avec eux sur différents sujets. Il est uniquement apte à affirmer le bien-fondé de son investissement dans le jeu et à louer les possibilités offertes en ligne. Cela devient obsessionnel.
Les états émotionnels de Théo passent par différents stades. Les sentiments de solitude et de tristesse sont les plus prégnants avant qu’il ne joue. Les premières approches du jeu, notamment les premières pertes de son avatar le mettent dans une colère proche de la rage, une émotion qui le déborde. Puis ensuite vient l’excitation, l’euphorie de mieux comprendre et d’avancer en prenant le dessus. Mais quelle est la place du jeu ? Quand Théo s’amuse-t-il vraiment ?
Arrivé au summum de l’évolution de Bobby, Théo ne dort plus. C’est la condition indispensable pour maintenir son univers virtuel. Il est complètement enfermé, chez lui et surtout dans son écran. Théo s’est exclu avec un déni constant de l’emprise du jeu.
Heureusement Théo s’aperçoit, à la toute fin du récit, que l’écriture peut lui procurer plus de plaisir que le jeu en ligne. Il est vrai qu’il s’attache enfin à écrire un poème à Yaëlle, sa bien-aimée. Cette conclusion est peut-être un peu trop pédagogique, voire facile. Mais elle a le mérite de défendre l’idée que le langage permet aussi une mise à distance par rapport au réel, car il est personnel, plus introverti.
Les réactions des proches
Théo a bénéficié d’amis solides et d’une famille aimante et empathique pour se sortir très rapidement de son état de dépendance. Alors que le jeu l’enfermait dans un individualisme certain, c’est l’esprit de solidarité de son entourage qui le sauve.
Ses amis sont les premiers à être en alerte. Ils ne savent pas quoi faire. Ils cherchent des solutions et ont du mal à trouver des adultes à l’écoute. Même Sergio, l’éducateur, ne réagit pas rapidement. On notera que Matthieu et Són font preuve d’une grande maturité. « On s’en fout de ton jeu, on veut savoir comment tu vas. » Ils n’hésitent pas à agir directement en privant Théo de son portable et de sa clé USB. Leur réaction permet une issue rapide sans l’intervention des adultes. Est-elle si réaliste ?
Les parents n’ont rien vu par manque d’attention, par méconnaissance, parce qu’ils faisaient une confiance absolue à leur enfant… En tout état de cause ils agissent tous les deux à la fin du récit, preuve qu’ils ne sont surtout pas indifférents aux problèmes de Théo.
Seul Sergio, l’éducateur, tient un rôle actif par rapport au problème posé. Cela donne à s’interroger sur le rôle des collèges, notamment en France même si l’auteur est belge. Nous profitons de cet article pour signaler qu’il existe maintenant une formation spécifique à l’usage d’internet pour les CM2 finalisé par un permis internet
Le plaisir du jeu
Le roman ouvre à de nombreuses discussions sur les jeux vidéo et l’addiction.
La notion de jeu est toujours délicate à définir précisément. Il existe toutes sortes de jeux dans des circonstances diverses et complexes. Mais ce que l’on peut affirmer est que le jeu est lié au sentiment de plaisir. On a plaisir à jouer ! On peut s’interroger dans le récit sur le plaisir qu’éprouve Théo quand il joue.
Il est tout à fait normal d’être pris dans un jeu, par un jeu. Il n’y a certainement aucune morale à imposer par rapport à un « bon » jeu ou à un « mauvais » jeu. Mais il est certainement important de resituer le rôle de l’adulte dans le contrôle et le cadre qu’il doit poser pour protéger les enfants.
Il est question ici de jeux vidéo. Nous pourrions évoquer également les jeux d’argent, les jeux de pari, les challenges…. La question de l’addiction au jeu n’est pas qu’une question pour les adolescents !
Pour accompagner la lecture
Le site proposé à la fin du livre offre un véritable complément au livre. Il donne aux enfants la possibilité d’inventer une autre fin, de partager leur avis… Les enseignants y trouveront tout un jeu de questions-réponses ainsi que des propositions de pistes pédagogiques. Les parents sont orientés sur des questions-réponses et des pistes de discussion.
Nicolas Ancion a une bibliographie impressionnante (48 livres) que l’on peut retrouver sur le site Babelio ou sur Ricochet
Le site Babelio propose également une Interview de Nicolas Ancion à Bruxelles sur les conditions dans lesquelles il écrit en général.
Nous avions eu un coup de coeur il y a quelques années pour un roman de Sophie Rigal-Goulard qui traite également de la dépendance à l’écran, 10 jours sans écran