Chevalier Chouette
Auteur/illustrateur | Christopher Denis |
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Traductrice | Claire Billaud |
Editeur | Kaléidoscope – 2023 |
Présentation générale
Nous sommes au temps de la chevalerie. Tout nous y plonge, l’armure du personnage en première de couverture, les blasons en page de garde, l’ambiance générale des illustrations couleur sépia… Ce temps passé est souvent associé à un univers merveilleux peuplé de créatures imaginaires et d’actions héroïques. La victoire sur un dragon, entre autre, est un exploit qui couronne la vie de nombreux chevaliers de légende tel le roi Arthur, Lancelot, Siegfried, Saint Georges…. C’est justement l’épreuve à laquelle est confronté Chevalier Chouette, une petite chouette de rien du tout, ne possédant aucune qualité spécifique pour devenir un héros.
Chevalier Chouette n’est pas bien né, il est petit, dénué de toute force physique. Et pourtant, il va non seulement accomplir son rêve, devenir chevalier, mais aussi prouver à tous (et à lui-même) qu’il est capable des plus grands exploits comme rendre un dragon amical. C’est grâce à sa volonté affirmée et à son audace qu’il intègre l’école de chevalerie. Son intelligence, sa persévérance et surtout son travail lui permettent de porter l’armure et de devenir « chevalier de la garde de nuit ». Son courage, son instinct, son astuce sont ses armes pour détourner les menaces d’un méchant dragon et le transformer en allié voire en ami. Nul besoin de se battre ! Chevalier Chouette est bien plus malin que cela !
Le texte est concis. Les situations sont posées en quelques courtes phrases. Des dialogues assez rapides installent la relation entre la chouette et le dragon. Les illustrations sont à la fois esthétiques et expressives. Le plus souvent sur des doubles pages elles donnent envie de suivre le petit héros dans toutes ses péripéties. Le lecteur l’envie, craint pour sa vie, admire son courage, se réjouit de sa réussite. La dernière scène de nuit présente Chevalier Chouette, tranquillement installé sur un tabouret, à côté d’un brasero, entouré de ses amis à savoir un énorme dragon, ses enfants et deux chevaliers. Le tableau est beau à regarder et il porte en lui une espèce de candeur et de sincérité qui reflète parfaitement l’esprit de l’album : ce n’est pas la violence qui fait le héros mais plutôt sa générosité.
Voilà un livre qui apporte la preuve irréfutable qu’il ne suffit pas d’être grand et costaud pour affronter les dangers. Les plus petits ont toute leur chance, il leur suffit de laisser parler leur cœur et leur imagination. Des illustrations formidables, une histoire pleine de tendresse et d’humour, remplie d’énergie et d’espoir. A lire dans toutes les familles !
Notre avis
Chevalier Chouette a reçu la médaille Caldecott Honor 2023, une récompense décernée par l’Association for Library for Service to Children, branche de l’American Library Association, à l’artiste qui a créé l’album pour enfant le plus remarquable. Le livre a également été cité dans la liste des bestsellers du New York Times. Il est traduit en plus de vingt-cinq langues et apparaît dans de nombreuses listes de prix littéraires. Toutes ces marques de reconnaissance nous semblent tout à fait méritées même si nous avons choisi ce « coup de cœur » en ignorant toutes ces récompenses.
Les illustrations nous ont d’emblée séduits. Représenter un univers nocturne et moyenâgeux compréhensible pour des enfants de 5 à 6 ans était une sacrée gageure. La nuit engendre facilement de l’angoisse et de la peur chez le jeune enfant. Il fallait ici que ce soit abordable et mesuré pour que l’enfant puisse se projeter facilement dans le personnage principal, Chevalier Chouette, un petit animal nocturne qui, justement, utilise la nuit pour valoriser ses propres qualités. De même le Moyen-âge est une période éloignée des jeunes enfants qui connaissent encore mal le monde de la chevalerie avec ses codes, ses créatures et ses légendes. La plupart du temps ils ont accès à des histoires rassurantes de conquête amoureuse avec château-fort et dragon. Aucune perspective amoureuse dans Chevalier Chouette. Le lecteur est confronté à des éléments plutôt effrayants et à l’incertitude d’une issue heureuse. Il est néanmoins nécessaire qu’il ose s’aventurer et se confronter, comme la petite chouette, aux énormes chevaliers et au terrible dragon. C’est tout le talent de Christopher Denise qui réussit à créer un univers chevaleresque et enfantin, mystérieux mais aussi léger et accessible.
L’utilisation des lumières, la variété des plans et l’usage des couleurs sont des éléments forts de l’illustration. L’intérieur de la famille chouette est teinté de jaune et de brun comme les scènes d’apprentissage de la chevalerie. Les couleurs sépia que nous évoquions lors de la présentation générale ancrent le récit dans un passé tant familial qu’historique. Ensuite tout se passe la nuit, le bleu et le gris deviennent donc beaucoup plus prégnants. Mais très rapidement le jaune, l’ocre et le marron reviennent en force grâce au brasero installé sur le chemin de garde. Son feu illumine la nuit, créant ainsi des projections d’ombres et de lumières propres à mettre en valeur des éléments clés. Le dragon, par exemple, apparaît dans l’ombre comme une menace encore imprécise. Lorsqu’il se rapproche ses yeux et ses dents brillent sous les flammes, le danger qu’il représente devient alors évident. La lecture des situations est d’autant plus pertinente que Christopher Denise joue sur des changements de points de vue comme une caméra de cinéma. Un gros plan sur les yeux de Chevalier Chouette juste avant l’arrivée du dragon pointe son regard interrogateur quelque peu inquiet. Une contre-plongée sur le mur d’enceinte ne laisse apparaître que son regard au loin, Chevalier Chouette est bien seul face à son problème. Le dragon apparaît dans le dos de Chevalier Chouette en plan rapproché et toujours en légère contre-plongée, le lecteur voit précisément le danger. Les personnages ont changé de côté, ils sont de profil, ils se regardent, le plan est encore plus rapproché, le lecteur ne peut que trembler pour le petit chevalier. Ces quelques descriptions rapides illustrent la construction quasi cinématographique de la narration. Le lecteur est entraîné dans le récit au fil des pages.
Différents éléments permettent de dédramatiser les situations et de s’amuser. Tout d’abord Chevalier Chouette est vraiment à hauteur d’enfant. Avant d’accomplir son rêve on le voit vivre en famille, se déguiser, rêver. Certains détails sont savoureux comme le plat de souris que tient sa maman, la casserole qui lui sert de casque ou encore son doudou dragon. La tapisserie qui révèle son rêve est originale et insolite. Elle fait certainement référence à la tapisserie de Bayeux mais aussi à la tapisserie de Game of Throne ! La nomination de Chevalier Chouette comme garde de nuit ne peut effrayer le lecteur s’il sait que l’animal dort le jour (« Chevalier Chouette était très doué pour ce métier »). Les bruits d’aile dans « la nuit très sombre et très très silencieuse » sont relativement préoccupants mais la chouette, familière de ce type de bruit, y répond simplement en hululant. Et sa question au dragon « Qui t’es, toi ? » nous fait immanquablement penser au conte La grenouille à grande bouche et à son personnage téméraire. Chevalier Chouette vit une expérience dangereuse mais il est visiblement bien armé.
La solution trouvée pour amadouer le dragon est totalement inattendue. Chevalier Chouette sort une pizza de nulle part et la propose très naturellement au dragon (« -Que dirais-tu d’une pizza ? »). Cette nouvelle situation provoque un décrochage complet au niveau de l’angoisse engendrée par la nuit, la confrontation des personnages et la peur de la dévoration. Tout à coup il n’est plus question de Moyen-âge et de combats chevaleresques. C’est la dimension du partage qui prend le relais. Cette rupture anachronique peut gêner un lecteur adulte mais il nous semble que les enfants n’auront cure du décalage. L’essentiel est que le dragon accepte cette pizza de la marque « L’écuyer », « délicieuse », » tendre et moelleuse », comme cela est écrit sur la boîte de livraison. Et « Il s’avéra que le dragon adorait la pizza ». L’issue est donc trouvée, peut-être un peu facilement mais elle permet d’orienter le récit vers la convivialité et l’échange. Plutôt que de s’entretuer ou s’entredévorer il vaut mieux papoter et manger autour d’un bon brasero entre amis, telle pourrait être la conclusion de l’album.
Le personnage de la petite chouette est très réussi. On perçoit très facilement sa fragilité mais aussi son obstination et son courage. Encadré par ses parents il n’apparaît pas bien grand. Entouré par les chevaliers en armure il ne fait vraiment pas le poids. Sur le chemin de ronde il est obligé de prendre une échelle pour regarder au-delà du mur. Il est évidemment le « tout-petit » de l’histoire. Mais il n’est jamais ridicule et il sait prendre des initiatives. C’est lui qui rédige une lettre de motivation pour intégrer l’Ecole des chevaliers. Il porte une armure bien ajustée et se tient comme un chevalier même s’il n’arrive pas à soulever une épée et à porter un bouclier. Il prend ses tours de gardes sans broncher et se tient bien droit sur ses petites pattes. Il n’est la risée de personne et sa fonction n’est jamais remise en cause. Chevalier Chouette n’a pas besoin de faire ses preuves pour être reconnu par les autres, il veut juste être chevalier. Avec ses yeux grand ouvert et son regard songeur derrière sa visière, dans ses postures rigides à cause de son armure mais néanmoins expressives, il a un petit côté Charlie Chaplin. C’est un personnage naïf, sensible, tendre et drôle sans le vouloir. Il est éminemment sympathique.
Un album construit autour d’un personnage touchant, jamais dépassé, plein de ressources. Des illustrations à voir et à revoir pour le plaisir des yeux et la joie de plonger dans une histoire de chevalerie qui fait peur mais qui fait aussi rire et sourire. Chevalier Chouette est un livre à lire, à feuilleter, à dire, à jouer… juste pour s’amuser !
Pour aller plus loin
– Différentes lectures orales sont disponibles en ligne dont celle du site Chut! Une histoire…
– Nous proposons, pour les plus jeunes lecteurs, d’autres albums qui parlent de chevalerie et de dragons
– Et un bel ouvrage pour les lecteurs un peu plus âgés