Du voyage

Du voyage
Auteur

Emmanuel Bourdier

Illustrateur

Thomas Baas

Editeur

Flammarion Jeunesse-2021

J’ai la paupière gauche collée pour cause de grève matinale. Maman m’explique à chaque fois que je la remercierai un jour. Un jour, c’est loin et une paupière, c’est lourd. »
Nouveau matin, nouvelle école pour Géronimo. Il ne fait que passer mais il aime ça. Cette fois, le maître va permettre la rencontre entre deux mondes, briser les préjugés contre sa communauté. Et, autour d’une chanson ou d’un match de foot, chacun trouvera sa place.

Mots-clés : différence, rejet, école-collège, relation adultes-enfants

Présentation générale

Geronimo est un enfant Manouche qui vit en caravane avec sa communauté et il ne reste jamais très longtemps à un endroit. Ce matin, c’est donc encore une nouvelle école pour lui, où il ne restera qu’une semaine. A chaque fois, c’est passer d’un monde à l’autre, d’une culture à une autre, et il sait que les préjugés contre « les gens du voyage » vont l’obliger à revêtir comme d’habitude sa « carapace » pour se protéger. D’où l’envie de ne pas se lever, de continuer à dormir comme les autres enfants du camp. Mais c’est sans compter la ferme volonté de sa mère de toujours le conduire à l’école : « Oui je sais, maman m’explique à chaque fois que je la remercierai un jour. » C’est sans compter aussi sa propre soif d’apprendre qui le motive malgré tout : « Je suis là, chez eux, pour apprendre (…) et j’adore ça ! » Dans cette école, il y aura un accueil maladroit de la directrice, comme d’habitude les regards de curiosité des autres élèves, comme d’habitude ceux qui se moqueront et le provoqueront. Mais il y aura aussi un maître, M.Chouraud, qui posera sur Geronimo un regard juste et attentif, sans préjugés, qui punira les moqueurs, qui saura s’asseoir par terre près de Geronimo pour lui demander ce qu’il aime, qui s’intéressera à lui et qui l’intègrera en douceur dans sa classe : « C’est la première fois que je vois un professeur les fesses par terre, ça surprend. » D’où la jolie dédicace du livre d’Emmanuel Bourdier aux « profs magiciens qui nous font voyager entre quatre murs. »

Notre avis

Le titre de ce beau petit roman, « Du voyage », qu’on comprend mieux après l’avoir lu, est déjà riche en lui-même. On va donc nous y parler de ce voyage parfois magique entre les quatre murs d’une classe, mais aussi du voyage que Geronimo convoque dans sa tête pour échapper aux moqueries des autres et conserver sa liberté d’esprit. Et bien sûr, il va nous parler de ces « gens du voyage », comme on les appelle, et dont le petit Geronimo fait partie. Réalité que l’on découvre petit à petit par une entrée progressive dans le récit. Le point de vue est celui de l’enfant, c’est lui qui raconte et nous entrons dans son intimité, portés par une écriture à la fois simple et poétique, drôle et émouvante. Petit à petit nous le situons, grâce au coq mangé la veille, aux allusions musicales à Django, aux sabots de la maman qui claquent, et à ce chemin qui quitte le campement et qui se continue en trottoir. Les dessins nous aident aussi à comprendre où nous sommes, la caravane, le châle de la mère et ses grandes boucles d’oreille, sa robe longue, les cornichons Malossol. Et avec Geronimo, nous allons passer de son monde à l’autre, celui des « gadjis ». Les titres des chapitres sont longs, comme des débuts de texte et nous font entrer dans le vif de la parole de l’enfant.

Ce petit garçon est très attachant. Il fait preuve d’une grande maturité, d’une grande sagesse. Il est encore très jeune mais il a acquis beaucoup d’expérience dans la vie et il connait toutes les difficultés que lui vaut le fait de passer ainsi d’un chemin à un trottoir. Il est intelligent, curieux, avide d’apprendre et prêt à faire des efforts parfois douloureux pour y parvenir. Cette poésie, cette émotion qui émanent de lui sont très bien accompagnées par les dessins de Thomas Baas, avec leurs traits noirs très fins et leurs touches de bleu, pleins de délicatesse et d’humour aussi. Geronimo porte en lui la richesse de sa culture. Il a un rapport à la nature très fort, il aime les paysages découverts pendant ses voyages, les oiseaux dont il connait les noms, les arbres auxquels on peut toujours faire confiance, ce qui n’est pas toujours le cas avec les êtres humains. Il entend « le murmure de la terre qui s’éveille. » Il aime la musique et joue très bien de la guitare. Tout cela, il le porte en silence en lui, n’a jamais pu le partager avec les autres à l’école. Mais cela le rassure et le protège de la brutalité des moqueries. Et nous, lecteurs, nous apprenons de petites choses sur la culture Manouche, ces seconds prénoms que chacun porte ou ces « michtos » que l’on se trouve dans la vie comme beaux cadeaux de bienvenue et qui aident à tenir le coup. Geronimo n’en est pas moins un enfant qui grandit. Qui n’est pas toujours d’accord avec sa « daronne », qui s’émeut beaucoup de la petite fille assise à côté de lui en classe. Il est dans cet équilibre fragile et émouvant de la fin d’enfance. « Grandir, parfois, c’est lourd ».

La mère de Geronimo est un beau personnage d’adulte positive. Qui brave sans faillir l’hostilité de sa communauté pour l’école des « gadjis » parce qu’elle veut que son fils apprenne, réussisse à l’école et soit plus tard ainsi maître de son destin. Elle est inflexible sur le sujet malgré ses propres peurs et malgré les rumeurs qui courent sur l’école dans le campement. Les préjugés, on le voit, fonctionnent dans les deux sens. Elle ne fait pas demi-tour malgré l’image d’elle-même que lui renvoie le regard de « l’autre monde ». Elle s’expose elle aussi aux préjugés, au mépris, à la gêne. Son émotion est palpable, Geronimo la ressent, ils se donnent du courage l’un à l’autre, ils se soutiennent en silence. Même si, Geronimo le reconnait, il éprouve pour sa mère un mélange de fierté et de honte, exposé comme il l’est lui aussi à la dureté des regards d’autrui. Et quand la mère le laisse à la directrice, elle a ces paroles émouvantes : « S’il vous plait, prenez en soin, il est tout ce que j’ai. ». Ce qui, pour nous lecteurs adultes, nous laisse entrevoir un tout petit peu de sa vie de femme.

Enfin, bien sûr, autre beau personnage positif, le maître d’école. Geronimo a l’habitude d’être traité comme un « débile » en classe ou « un criminel sorti de prison » à qui on donne « du travail de CP. » Ce maître-là est différent. D’abord il joue (mal) de la guitare, l’ambiance de sa classe est agréable. Et surtout il va intervenir quand des gamins bêtes et méchants vont commencer à harceler Geronimo, « pas touche Manouche, pas touche Manouche ! ».Il va se fâcher, punir ces « imbéciles, ces « cerveaux de poulet », il va parler fraternité, accueil, égalité. Et surtout il va se mettre à hauteur d’enfant, il va écouter Geronimo, le regarder sans préjugés et sans mépris, il va échanger avec lui sur un pied d’égalité.
Le livre se termine sur le dessin où on voit Geronimo le lendemain partir seul à l’école, sans sa mère, le cartable dans une main et la guitare sur l’épaule, symboles de deux cultures un temps réconciliées. Geronimo va montrer au maître comment mieux jouer de la guitare, ce sera un bel échange de savoirs. Il est intégré à l’équipe de foot. Et ne raconte pas à sa mère que sa petite voisine de classe lui a offert sa belle gomme à paillettes ! Même si ça ne dure qu’une semaine, il est certain que Geronimo en ressortira plus riche et plus fort. Et que les autres auront aussi appris à respecter ses différences.

Un vrai coup de cœur. « Du voyage » est un roman court, subtil et percutant en même temps, qui pointe la stupidité des préjugés quels qu’ils soient et qui offre une belle valorisation de l’école. Beaucoup d’axes de réflexion pour de jeunes lecteurs.

Sur le site de l’auteur on trouvera son importante bibliographie jeunesse, romans, albums, séries, avec une déclinaison de thèmes forts comme les difficultés sociales d’une famille, les sans-papiers, la résistance à l’oppression, la vieillesse et Alzheimer…et aussi, bien sûr, l’auteur étant animateur d’une station de radio rock, la musique !

Dans une sensibilité un peu semblable, on peut lire Frère de passage d’Arnaud Tiercelin et Aude Brisson chez Kilowatt.

Frère de passage - broché - Arnaud Tiercelin, Aude Brisson - Achat Livre | fnac