La compagnie des griffes
Auteur-e/Illustrateur-rice | Clémentine Mélois et Rudy Spiessert |
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Editeur | Ecole des loisirs – 2023 |
Il y a de cela fort longtemps, au cœur de la vieille ville de La Rochelle, il y avait un orphelinat. Là vivait Gervaise, une jeune fille de onze ans qui s’ennuyait affreusement terriblement. Or, cher lecteur, d’ici quelques pages, Gervaise va faire une rencontre des plus exceptionnelles. Bientôt, elle filera de toit en toit dans la nuit, cheveux aux vents, affrontant les pires dangers aux côtés des fiers brigands de la Compagnie des Griffes, lançant dans la nuit leur célèbre cri de ralliement : Chassons, chats, avec…
Présentation générale
Gervaise, une orpheline, sage, courageuse, s’ennuie dans sa vie quotidienne. Elle surprend la conversation de trois chats mousquetaires, chefs d’une bande de voleurs, à la recherche d’une nouvelle cachette. Elle leur propose alors de les dissimuler dans les sous-sols de l’orphelinat qu’elle habite. En contrepartie ils devront l’intégrer dans leur troupe.
C’est ainsi que commence l’aventure !
Les chats vifs, agiles, courageux et malins courent, sautent, volent. Leur costume, leur épée, leurs différences et leurs connivences nous transportent aux temps héroïques des mousquetaires. Ils veillent sur leurs congénères et les protègent. Leur philosophie consiste à prendre aux riches et à aider les plus pauvres. De fait la population les craint mais les admire également. Toujours enjoués ils entraînent le lecteur avec dynamisme dans des péripéties téméraires et palpitantes
Gervaise, à l’instar de Ladybug (voire Fantômette ou Cat’sEyes pour les plus anciens) acquiert le statut d’héroïne volante. Elle accompagne les chats par monts et par vaux. Elle est parfaitement intégrée dans la bande tout en gardant son humanité. Elle n’hésite pas à venir en aide à un enfant maltraité par un terrible brigand, qu’elle réussira à libérer avec l’aide de ses amis.
Aucune zone blanche dans cette histoire. Les doubles pages sont largement illustrées, exposant explicitement les lieux, les circonstances et les actions. L’écriture littéraire est soutenue, étoffée par un vocabulaire bien choisi. Les personnages, toujours très actifs, s’expriment parfois à l’aide de bulles, mettant ainsi en valeur quelques répliques importantes, drôles ou simplement annexes au texte. Entre l’ambiance « cartoon » des illustrations et le soin porté à l’écriture les lecteurs pourront plonger en toute confiance dans ces aventures romanesques pleines d’allégresse et de bons sentiments.
Nos commentaires
Clémentine Mélois et Rudy Spiessert se sont déjà associés pour écrire les séries Chère Bertille et Les chiens pirates. Dans une interview de la librairie Mollat de 2022 Clémentine Mélois explique sa façon de travailler. De formation artistique, elle interagit avec Rudy Spiessert sur l’illustration, proposant à l’illustrateur des croquis préalables de l’histoire qu’elle porte dans son imaginaire. De la même façon elle étudie toutes les suggestions de Rudy Spiessert pour agir sur le texte. Sa préoccupation la plus importante est de créer à chaque fois un livre différent, qu’elle aurait aimé lire étant petite et qui plaise autant aux adultes qu’aux enfants. Elle pense en effet que les adultes ne doivent pas se lasser de lire et relire une histoire à un enfant qui le demande. Et elle ne souhaite qu’une chose, que les jeunes lecteurs apprécient son album et en demandent inlassablement sa relecture. C’est un pari réussi pour La compagnie des griffes.
L’histoire est nourrie par des références littéraires bien connues des adultes que les enfants croiseront sans aucun doute un jour ou l’autre. Le personnage Gervaise nous rappelle la malheureuse blanchisseuse de Zola dans L’assomoir. Le prénom de l’orphelin, Bertolt, fait certainement écho au célèbre dramaturge Bertolt Brecht. Les chats, avec leur costume et leur épée, nous font évidemment penser aux trois mousquetaires d’Alexandre Dumas. Leur activité, leur façon de vivre nous ramènent aux aventures de Robin des bois. Le méchant Tranche-tête correspond au mythe de l’ogre dévoreur. L’auteur s’amuse même à faire référence à Charles Baudelaire lorsqu’elle décrit l’antre des chats « tout n’était que désordre et beauté, luxe, ronron et volupté ». Ainsi l’histoire fait voyager le lecteur dans un joli bain de littérature. De plus l’écriture, avec ses métaphores, ses structures, ses expressions, nourrit l’imaginaire des lecteurs de tout âge. Pour exemple Gervaise rêve d’une « vie croustillante, pleine de pépites d’aventure, nappée d’une couche de mystère et saupoudrée de danger ». Comment ne pas être mis en appétit par ce début de récit où « la moindre petite miette de surprise » ravirait Gervaise dans son quotidien qui ressemble à « une assiette de brocolis ». L’usage lexical est riche et permet de jouer sur un éventail d’approches. Entre la mine patibulaire du méchant et les gens riches acrimonieux et atrabilaires quand on les vole, le lecteur peut choisir de sortir son dictionnaire ou simplement de se laisser porter par la musicalité des mots mystérieux.
Les personnages sont éminemment sympathiques. Gervaise est une héroïne comme on les aime. Elle n’est pas la pauvre orpheline exploitée par des adultes, loin de là. Elle a simplement envie de prendre sa vie en main quitte à courir des risques. Elle n’est pas sûre d’elle et elle a conscience que sa proposition pour cacher les chats est audacieuse. Mais elle fait le choix d’avancer dans sa vie. Elle gagne sa place dans la Compagnie des griffes et devient un élément à part entière de la bande de chats. Elle reste pourtant une personne responsable et elle garde toute sa sensibilité, tant pour aider les chats que pour secourir Bertolt. Toujours souriante, fille sage le jour ou aventurière téméraire la nuit, elle représente une image féminine positive.
La drôlerie de l’histoire s’appuie essentiellement sur les personnages des chats, Jean-Jean, un peu tourmenté tel Athos, La miette pataud et généreux comme Porthos, et enfin Canard d’une grande élégance à la façon d’Aramis. Leur personnalité, leur dénomination et leurs tics sont complètement loufoques. Ils sont obsédés par la nourriture. Ils ont de la gouaille. Canard a un langage plutôt fleuri (« Ce n’est certes pas une façon de… »). La Miette parle l’ « argot des brigands» qui finit les mots en « uche » (« enchantuche »,« Géronimuche ! ») pour le plus grand plaisir des amateurs de néologismes sonores. Jean-Jean utilise des insultes assez imagées(« Andouille de Guéméné », « espèce d’épinard »). Leur devise impossible (« Chassons, chats, avec chance et panache ! ») ressemble plus à un virelangue qu’à un cri de guerre fédérateur. Ils règnent sur une espèce de cour des miracles composée d’un panel de personnalités félines illustréessur une double page, sous la forme d’un trombinoscope très amusant. Leur trésor prête à sourire. Outre les caisses d’objets en or et un ensemble de mobilier ancien ils entreposent le tableau de la Joconde et celui de la jeune fille à la perle, des petits clins d’œil astucieux pour les connaisseurs. En fait les chats n’ont cure de conserver leur trésor pour leur seul plaisir. Ils vivent avec beaucoup de naturel, ils perdent leurs poils, ils font leurs griffes, ils sont avides de poissons… Leur vie communautaire demande de la discrétion mais ils possèdent tous un brin de folie amusant.
Les illustrations reprennent le texte en apportant une belle dynamique et des effets comiques. Des détails amusants attirent le regard comme la dégaine des chats, leur costume… Gervaise et les trois chats ont une bouille très expressive. Ils sont parfois inquiets voire en colère mais la plupart du temps ils arborent une mine réjouie sympathique. Visiblement ils sont heureux.A contrario Tranche-tête est totalement antipathique. Avec ses bras surmusclés, sa bedaine informe et son visage ingrat il est tout de suite perçu comme le méchant qu’il faut éliminer. La succession des farces dont il est victime est une suite de gags réjouissants pour le lecteur qui n’a qu’une envie, faire tomber ce triste personnage.
L’histoire est construite autour d’un schéma narratif simple et dans un format qui facilite la lecture. En effet,il n’y a pas de tension entre le texte et l’image. Et comme pour la série des Chiens Pirates, l’album est découpé en sept chapitres qui peuvent correspondre à une lecture suivie sur une semaine. Les chapitres sont courts et leur transition met en appétence le lecteur. Du fait du volume du texte et de sa richesse nous proposons cet album pour les lecteurs mais des petits lecteurs auront sans aucun doute plaisir à écouter les aventures de cette bande bien sympathique.
Beaucoup d’énergie et d’optimisme dans cette histoire qui prône le courage et l’action. Un livre illustré divertissant, très agréable à lire pour qui aime le mystère, l’aventure et l’humour.
Pour prolonger la lecture
*La série des Chiens Pirates des mêmes auteurs
Tome 1 : Adieu Côtelettes (2019)
Tome 2 : prisonniers des glaces (2020)
Tome 3 : Dans les griffes de Barbechat (2022)
Tome 4 : Les Chiens pirates et le Vaisseau Fantôme (2023)
*La série des Chère Bertille
Tome 1 : Chère Bertille … et la lune gruyère (2019)
Tome 2 : A bord du redoutable (2019)
Tome 3 : Au centre de la terre
*Une conférence assez drôle de Clémentine Mélois intitulé « De Baudelaire à Pif Gadget » scène littéraire en 2022 présenté à la maison de la Poésie en 2022.