La mystérieuse baleine
Auteur-illustrateur | Danier Frost |
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Editeur | Ecole des loisirs – 2020 |
La mystérieuse et gigantesque baleine, le papa de Nils et Anna ne l’a vue qu’une fois, quand il était petit. Depuis, elle occupe son esprit et il parle d’elle le soir au coin du feu. Alors, Nils rêve d’elle la nuit et scrute l’horizon le jour, pour l’apercevoir. Et un matin, il prend le kayak et part à sa rencontre. Mais bientôt, le kayak gigote. Ce n’est pas la baleine, c’est Anna, venue aider son grand frère à explorer les mers…
Mots-clés : Grand-Nord, fratrie
Présentation générale
Un bel album qui plonge d’emblée le lecteur dans l’univers froid et mystérieux de la banquise. La couleur bleue domine tout au long du récit, ponctuée par deux éléments colorés qui représentent les personnages. La première silhouette rouge coquelicot, carmin peut-être cardinal représente Nils, le grand frère. La deuxième forme jaune safran, beurre voire fleur de soufre est Anna, la petite sœur.
Après une soirée autour du feu à écouter des récits merveilleux Nils décide de partir à la recherche de la baleine incroyable dont a parlé son père. Il part au petit matin dans son kayak sans savoir que sa petite sœur, petite espionne, s’était cachée dans l’embarcation. Sa quête solitaire perd toute son intimité et se transforme en une escapade forcée quelque peu bruyante. En effet Anna est turbulente, bavarde, elle agace Nils et perturbe la sérénité des lieux.
Mais les deux enfants restent proches dans l’immensité arctique. Lorsque le pire arrive, la séparation des glaces et la mise en danger de la fillette, Nils est désemparé. Heureusement la mystérieuse baleine apparaît pour apporter une issue heureuse à la situation.
Une histoire simple, bâtie sur une représentation « classique » de la fratrie, pour vivre une aventure merveilleuse et dépaysante. Des illustrations très réussies qui donnent à apprécier la magie des pays des grands froids.
Notre analyse
La première approche de l’album passe par la couverture, très réussie ! Est-ce une vue du ciel ou une vue de la mer ? Les éléments blancs sont-ils des nuages ou des blocs de glace ? La forme sombre représente-t-elle un avion, une fusée ou un cétacé ? Et quel est ce petit élément ocre ou milieu de la forme ? Un hublot ? Un œil ? Un poisson pilote ? Il faut prendre le temps d’observer l’image pour bien comprendre les différentes représentations : les oiseaux et leur ombre, le kayak et ses deux passagers dont l’un pagaie, la baleine et son cheminement vertical, du bas vers le haut. Daniel Frost donne le ton. Son histoire confronte le gigantesque au tout petit, l’immensité arctique aux petits hommes, dans un univers où l’eau et le ciel se mélangent et s’entremêlent.
La fusion entre l’air et l’eau se retrouvent à de nombreux carrefours. Les petits matins sont déclinés par des couleurs acidulées du jaune au bleu en passant par des rosés et des verts tendres annonçant des aurores boréales prochaines. Les rêves de Nils sont représentés par des nuages-baleines parcourant le ciel sous la clarté de la pleine lune. La bande d’horizon du volcan fumant est comme une ligne de séparation d’un fond nacré sur lequel avance l’embarcation des enfants. Les blocs de glace et leur ombre forment une continuité avec l’étendue maritime d’un bleu profond. Sur la dernière page ils deviennent des sortes de points isolés suspendus dans un espace indéfini. La banquise, la glace de mer, est mouvante. Les espaces dans le récit se croisent, se confondent, se séparent comme s’il n’existait pas véritablement de ligne d’horizon.
Les deux enfants sont bien petits au regard du paysage qui les entoure. Ils sont emmitouflés dans des combinaisons qui ne permettent pas de bien identifier leurs traits ou leurs mimiques. Leurs postures, leurs attitudes parlent pour eux. La couleur de leur costume est un point de repère important pour les identifier, notamment lors des plans larges. On notera quelques illustrations originales qui demanderont certainement à être décodées pour de jeunes enfants. La double page du kayak glissant sur l’eau en vue aérienne à gauche et en contre-plongée à droite mérite certainement un temps d’arrêt pour comprendre la construction de l’image, ses parallèles et ses différences. Son analyse permet par exemple de repérer les analogies ciel/mer dont nous parlions plus haut.
Les illustrations sont riches, variées au niveau des points de vue, des cadrages, des mises en page. Il y a des vues de face, des vues de profil, des vues de dos, des plongées, des contre-plongées, des plans larges, moyens et même un gros plan lorsque Nils panique. Parfois un moment du récit est représenté sur une image pleine sur double page (le père qui raconte, les enfants qui s’en vont…). D’autres fois quatre images successives sont nécessaires pour raconter (l’apparition d’Anna dans le kayak, l’agitation d’Anna…). Mais Daniel Frost joue également sur l’opposition des doubles- pages pour présenter le recto et le verso d’une scène (l’entrée dans la grotte sous marine, l’apparition du morse et l’isolement d’Anna…). Toutes ces représentations apportent une dynamique narrative très engageante qui invite le lecteur à partager l’aventure de Nils et Anna.
Car il s’agit bien d’une aventure avec une quête, un éloignement volontaire et du danger. La motivation de Nils pour partir est très rapide. La navigation à deux sur une embarcation peu stable n’est pas très convaincante. Et l’arrivée « comme par hasard » de la baleine pour sauver Anna est bien étonnante. On l’aura noté, l’aventure n’a rien de réaliste. Est-ce un conte ? Une histoire fantastique ? Peu importe, c’est une belle histoire ! Nils et Anna affrontent un espace dur et hostile. Ils restent solidaires, fidèles à leur quête. L’ombre de la baleine qui se déplace horizontalement, de droite à gauche, face au petit point de couleur jaune safran, beurre voire fleur de soufre, relève de la magie. Le cétacé ne dit rien, c’est un sauveur, un guide bienveillant, un protecteur. L’issue du récit apporte un sentiment de sérénité, de douceur.
Pourtant le récit met en avant des relations tendues dans la fratrie. Nils souhaitait être tranquille et partir seul, il se retrouve accompagné de sa petite sœur pénible et encombrante. Les deux personnages font penser aux stéréotypes du grand frère protecteur et de la petite dernière envahissante. Nils tente d’ignorer sa sœur mais il la supporte, lui explique, essaie de la prévenir du danger. Il reste tout au long du récit un grand frère attentionné. Anna s’impose, s’exclame, commente, parle à tort et à travers. Elle est une fillette gâtée qui ne fait que ce dont elle a envie. Et cela paie puisque c’est elle qui révèle la présence de la baleine ! On peut penser que le rôle de Nils est un peu minimisé au regard du détournement de son aventure. En même temps on lit beaucoup d’affection et d’amour entre les deux enfants, notamment lorsqu’Anna est en danger. Les deux dernières illustrations montrent un rapprochement certain entre les deux enfants qui se tiennent la main.
La mystérieuse baleine parle du froid, du danger mais aussi du mystère, de la rencontre et de la protection. Sa lecture est assez facile. Ses illustrations sont très jolies. Elles prêtent à s’arrêter pour rêver et/ou raconter à l’envi.
Mise en ligne – Décembre 2021