Le fil
Auteur-Illustrateur | Laurent Jalibert |
---|---|
Editeur | Gautier Languereau – 2019 |
Oh hisse ! Il faut absolument tirer ce fil car au bout, il y a un petit trésor…
Une petite dame, un chat, un cochon, un ours, un géant même et aussi un tout petit poussin s’entraident pour tirer sur ce satané fil.
Qu’y a-t-il au bout ? Le fameux « petit trésor » n’est rien d’autre qu’un bonhomme qui se retrouve les fesses à l’air ! On ne vous a jamais appris qu’il ne fallait pas tirer sur un fil qui dépasse ?
Mots clés : randonnée
Présentation
Une « petite dame » tire sur un fil vert qui traîne par terre, mais elle a beau tirer, au bout de ce fil, ça résiste. Alors, comme dans le conte le Gros radis, des animaux de plus en plus gros ainsi qu’un géant vont lui venir en aide, attirés par la perspective du trésor qui devrait se trouver à l’extrémité de ce fil. Finalement, un petit oiseau se mêle à la troupe, sans même demander de récompense, tire à son tourle fil et… le « petit trésor » apparaît, les fesses à l’air et, bien évidemment, furieux. C’est que ça ne se fait pas de tirer sur un fil qui dépasse, surtout quand il s’agit d’un fil issu d’une culotte!
Au lieu d’obtenir une jolie récompense, tout le monde se retrouve donc à tricoter un nouvelle culotte pour le « petit trésor ».
Analyse
On aura reconnu sans peine la randonnée célèbre du gros radis sous ce récit dynamique et amusant. De la randonnée, il reprend l’usagedes ritournelles, des énumérations et des répétitions (« malgré leurs « ho » et leurs « hisse » le chat et la petite dame essoufflés… » puis « malgré leurs « ho » et leurs « hisse »le cochon, le chat et la petit dame, etc. », ou bien « il tire le géant, qui tire l’ours, qui tire le cochon, qui tire le chat, qui tire la petit dame, qui tire le fil ») mais aussi le principe de la gradation, utilisé de façon répétée. Les tout jeunes enfants, aidés en cela par les illustrations,devraient pouvoir sans peine identifierla gradationcroissante de la taille des auxiliaires, du chat au géant,en passant par le cochon et l’ours, puis le contraste avec le tout petit oiseau, contraste qui touche à la fois la taille et le comportement de ce dernier animal (l’oiseau n’a « Pas besoin de promesses ni de « ho »nide »hisse » ») et qui prépare le dénouement.
Une deuxième gradation semble également accessible, celle qui touche la récompense attendue : comme dans le jeu du téléphone arabe, chaque personnage présente en effet au personnage qui le suit le « trésor » qui serait bout du fil. Le texte passe ainsi de « petit trésor» à « trésor » sans qualificatif, puis à « gros trésor » pour finirpar « gigantesque trésor »- ce qui est logique pour un géant ! –,et chacun imagine alors toute la nourriture qu’il pourrait s’acheter avec sa part de trésor. Cette observation faite, il sera alors possible de revenir au tout premier discours de la petite dame, laquelle n’a pas vraiment menti en évoquant son « petit trésor », mais a juste utilisé la capacité du langage humain à dépasser le sens propre pour créer des sens imagés,déplacement sémantique que les animaux – ou le géant – ne perçoivent pas.
Une dernière gradation est lisible dans le texte : celle de la mesure des déplacements du fil (« quelques millimètres », « quelques centimètres », « quelques décimètres », « quelques mètres », « quelques hectomètres » – que sont devenus les décamètres ?), gradation qui amusera plutôt les lecteurs adultes que les jeunes enfants, tout comme l’ironie perceptible dans l’expression « à peine quelques hectomètres de plus ont été tirés ».Il est vrai qu’il faut une certaine quantité de fil pour tricoter une culotte !
Le texte ainsi composé vient bien en bouche et sa structure à la fois itérative et dynamique devrait permettre une mémorisation assez aisée de l’histoire – ou à tout le moins des lectures « partagées » entre lecteur adulte et enfant auditeur –, d’autant que la mise en page s’apparente également aux livres à surprises, en jouant avec le dessin du fil, qui vient se « perdre » au bas des pages de droite, et avec la phrase répétée « C’est alors qu’arrive… » elle aussi située en bas et à droite : l’envie de tourner la page pour en savoir plus est irrépressible ! La typographie elle-même cherchel’expressivité, certains passages étant mis en valeur par une police plus grosse ou plus grasse. Quant aux illustrations, elles sont tout aussi dynamiques et expressives : les efforts fournis, la déception après chaque « échec », la fatigue des protagonistes, la colère du « petit trésor » sont rendus avec simplicité et efficacité ;les regards sont éloquents, les silhouettes tout en rondeurs se détachent parfaitement sur un fond clair uniforme. Les doubles pages permettent à Philippe Jalbert de varier les attitudes, de théâtraliser la « chaîne » que créent tous ceux qui s’agrègent au fil, dont les tensions et les angles sont reproduits avec beaucoup de finesse. Dans leur grande majorité, les images accompagnent le texte sans le contrarier ou donner des informations qu’il ne transmettrait pas – il est intéressant à cet égard de constater que le texte est « complet » et peut être compris sans les images – mais les dernières pages vont un peu plus loin : la dernière double page présente de façon assez hilarante tous ceux qui ont tiré sur le fil, assis par terre en train de tricoter (« Telle fut leur récompense ») mais leur éclatantemaladresse n’est révélée que par l’image, de même que l’inversion des rôles habituels. C’est visiblement le « petit trésor » qui a pris le pouvoir, qui « punit » les « adultes » et les surveille d’un regard noir. Le gag final, quant à lui, n’est donné que par l’illustration : le « petit trésor » soupire, vêtu non d’une culotte digne de ce nom mais d’une grosse chaussette verte. C’est tout ce que le groupe a réussi à faire !…
Un album éminemment sympathique et qui devrait donner lieu à bien du bonheur lors de lectures partagées.