Les trois enterrements de mon chien

Les trois enterrements de mon chien
Auteur

Guillaume Guéraud

Editeur

Le Rouergue – 2020

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Babino, le chien de Némo, vient de se faire écraser par une voiture. C’était son meilleur ami, il était de toutes les aventures et de toutes les confidences. Avec ses copains, tous très malheureux de sa disparition, ils décident d’organiser un enterrement digne de Babino. Mais rien ne va se passer comme prévu… Un roman tendre et très drôle autour de l’attachement d’une bande de gamins pour leur compagnon de jeux.

Mots-clé ;  initiation, deuil

Présentation

Quand Némo, élève de CM2, apprend que son chien s’est fait écraser, il est dévasté. Heureusement, ses trois meilleur.e.s ami.e.s, alerté.e.s,viennent le réconforter et, à eux quatre, ils décident d’organiser les funérailles de Babino. Commencent alors des discussions enflammées sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire, entrecoupées de fous-rire ou de sanglots, parfois entremêlés, lorsque les souvenirs des jeux avec ce brave chien remontent à la surface. Commencent aussi une suite de quiproquos ou de déplacements inattendus de sa tombe, qui vont amener les enfants à s’adapter, à se soutenir mutuellement, à approfondir le sens des rituels de deuil et à apprivoiser leur chagrin, jusqu’à organiser, au troisième et dernier « essai », le plus bel enterrement de chien qu’on puisse imaginer !

Analyse et pistes de lecture

Les romans pour la jeunesse traitant de la mort sont menacés par deux écueils : celui d’être lénifiants s’ils adoucissent exagérément ou tentent d’effacer ce qu’a d’irrémédiable la séparation qu’elle crée, ou, à l’inverse, celui d’être profondément angoissants s’ils insistent avec lourdeur sur le pathos et l’affliction, sans laisser de place à un avenir pour les vivants. Les trois enterrements de mon chien, fort heureusement, ne tombe ni dans l’un ni dans l’autre de ces travers et avance vaillamment vers la mise en terre de ce chien comme un funambule sur son fil.

Même s’il est évidemment possible de se contenter d’apprécier ce roman sensible et respectueux sans chercher à l’analyser, il reste intéressant, selon nous, d’identifier, peut-être aussi au cours de discussions avec les jeunes lecteurs (plutôt de cycle 3), plusieurs éléments constitutifs de la narration qui lui assurent ce délicat équilibre entre joie de vivre et chagrin authentique et lui donnent son pouvoir empathique, voire «thérapeutique ».

Bien entendu, le choix de l’auteur de se centrer, pour parler de la mort et de ses rituels, sur un chien, celui du jeune narrateur, est un premier élément à souligner, non pas tant parce que ce choix introduit «mécaniquement » une distance vis-à-vis des décès de personnages humains (d’ailleurs, le texte quant à lui multiplie les rapprochements entre la mort de Babino et la mort de parents proches qu’ont pu connaître les enfants, notamment celle des grands-parents), que parce que, dès lors qu’il s’agit d’un animal de compagnie, les enfants sont invités, hors de toute institution civile ou religieuse, à construire de façon autonome la cérémonie qui leur semble la plus pertinente. Evoquant son père qui préfère les laisser seuls organiser les funérailles, le narrateur précise d’ailleurs : « Comme si c’était un jeu réservé à des gamins. Sauf qu’on n’avait jamais joué à ça ».L’intrigue elle-même, avec ses rebondissements annoncés par le titre (Les trois enterrements entraînés par un quiproquo sur le sac contenant le cadavre et les déplacements successifs de la tombe) amène le groupe d’amis à s’approprier cet enterrement au fur et à mesure des péripéties, en adoptant mais aussi en adaptant librement et après discussions entre eux des éléments de rituels funéraires ou de décorum, qu’ils empruntent évidemment au monde des adultes (plaque commémorative, épitaphes multiples, absence de croix ou de croissant, minute de silence, discours sur le décédé, objet laissé dans la tombe «comme ça se faisait au temps des pharaons »)et donc à prendre doucement conscience de leurs sens profond. Chaque enterrement « raté » fonctionne ainsi comme une répétition générale qui permet aux personnages à la fois de partager des souvenirs et de découvrir en quoi les funérailles assurent une fonction sociale protectrice, ce que montre, par exemple, l’évolution des enfants dans leur appréhension de la minute de silence : d’abord vécue de façon totalement extérieure, définie ainsi de façon drôlatique par Gaspard : « Il faut aussi baisser la tête et fermer les yeux pour se recueillir pendant la minute de silence. Je le sais parce que, moi, c’est mon troisième enterrement. J’ai déjà fait celui de ma grand-mère et celui de mon hamster », impossible à respecter par le groupe surexcité, comme les remarques de la raisonnable Morgane le manifestent (« je pense que pour faire une minute de silence, il faut commencer par se taire une minute », ou plus loin : « Bon, on la fait, cette minute de silence ? a crié Morgane »), cette minute de silence finit par être intériorisée lors du « véritable » enterrement et par devenir un authentique moment de recueillement (« On s’est sagement réunis devant [le cercueil]. Sans plus rien dire. Sans même préciser que c’était le moment de la minute de silence. On a tous les cinq baissé la tête »).

En effaçant au maximum les adultes, dont le rôle essentiel se réduit ici à garantir la légalité de la mise en terre (Cf. le voisin gendarme), l’auteur attire donc toute l’attention sur ces enfants et manifeste un profond respect pour leur douleur, qu’il réussit à peindre au plus près de leurs représentations, usant pour cela d’un narrateur lui-même enfant et surtout d’une multiplication des passages dialogués, c’est-à-dire, en quelque sorte, en leur laissant la parole. Ce choix narratif permet en outre à Guillaume Guéraud d’alterner de façon très dynamique, parfois au sein d’un même chapitre, parties comiques et parties plus émotionnelles ou plus philosophiques sur la mort (voir notamment les chapitres 4 et 6), au gré des fluctuations des échanges. Il serait sans doute assez aisé de transposer ce roman en pièce de théâtre (c’est une invitation pour les enseignants !), tant l’auteur se montre apte à concevoir des dialogues enfantins de façon tendre, naturelle et amusée, sans craindre leurs bifurcations inattendues, leurs coq-à-l’âne, les passages brusques de l’émotion la plus palpable aux fous-rires irrépressibles ou les propos gentiment scatologiques (voir l’humour de répétition autour du fait que « comme tous les chiens, [Babino] arrivait à se lécher le cul tout seul »), et les passages plutôt rabelaisiens qui semblent manifester à leur façon la force de la vie qui va, avec son « bas corporel » indispensable. La qualité, la vivacité et la fluidité de ces dialogues mais aussi leur instabilité, leur cours capricieux accordé aux émotions contradictoires qui bouleversent ces enfants, nous semblent d’ailleurs des facteurs majeurs de la réussite de ce récit de vie comme de sa grande lisibilité.

Il va néanmoins de soi que l’omniprésence du groupe des quatre amis n’est pas seulement liée aux variations de rythme ou au mélange de cocasserie et de tristesse qu’il autorise. Le groupe, et notamment sa composition, trouvent également leur nécessité du fait même de la thématique abordée. D’une part parce qu’il permet de montrer que le collectif aide à mieux absorber le choc provoqué par un décès au sein d’une communauté (« Je ne sais pas comment je vais pouvoir m’amuser sans lui. Mais je vais trouver. Grâce à vous. Sans l’oublier. » déclare le narrateur en conclusion de son discours) ; d’autre part, parce que, dans sa diversité, le groupe participe de ce « bricolage » culturel et cultuel que met en scène et semble défendre le roman, du fait de la variété calculée de ses membres (une fille, trois garçons, de bons et de moins bons élèves, des origines sociales et des croyances religieuses différentes). Le souci de mêler les cultures, sans adultes pour en imposer l’une ou l’autre, de privilégier chez ses personnages, ne serait-ce que par leur âge, le doute plutôt que les certitudes (« T’as déjà vu un animal croire en Dieu, toi ? / Il croyait peut-être au dieu des chiens… a supposé Mila »), de mettre en scène des élèves dont les savoirs sont instables parce qu’en construction et un groupe recherchant le consensus et l’union autour de leur projet plutôt que la dispute, amène Guillaume Guéraud à évoquer de façon apaisée, à travers des échanges vifs et souvent drôles, les croyances religieuses mais aussi l’athéisme (« N’importe quoi ! il n’y a pas plus de dieu pour les chiens que pour les hommes », affirme le narrateur, sans être suivi par ses amis), ce qui n’est pas si fréquent en littérature de jeunesse, en les juxtaposant plutôt qu’en les opposant, et même à brouiller les cartes et à lutter contre les préjugés de genre (un garçon peut pleurer son chien) ou les stéréotypes religieux dans lesquels on enferme parfois les immigrés, comme le montre cet extrait, d’un comique proche de l’absurde (Il était alcoolique, ton grand-père ? s’est étonné Gaspard. Je croyais qu’il était musulman… / Non, il était algérien, mais il était pas musulman. / Il était catholique ? / Non, juste alcoolique. Il croyait pas à la religion, comme Némo et Babino. »). Ainsi le groupe d’enfants, en cherchant à « inventer » une cérémonie à la hauteur de leur chagrin, se mue-t-il en communauté active et respectueuse de chacun.

Tout concourt dès lors à ce que le dernier chapitre soit l’apogée du roman : les obstacles qui ont contrecarré l’enterrement, accumulés d’une façon très cinématographique, ont certes permis un approfondissement de la réflexion chez les personnages et une appropriation de certains rites, mais ils créent également une tension croissante et une attente chez les lecteurs. Ce dernier chapitre doit donc brasser l’ensemble des thèmes, et proposer sous la forme d’une cérémonie exemplaire une issue pour soulager ces tensions.

Métaphoriquement, la détermination de la dernière demeure de Babino, dans ses errements, renvoie d’ores et déjà à une mise à distance et à une « ouverture » : d’abord prévue sous le pommier, sorte de point central du jardin, puis décalée contre la clôture du fond, mais encore visible de la chambre du narrateur, la tombe finit par trouver sa vraie place en pleine nature, au milieu d’un champ ouvert couvert de coquelicots (comparé d’ailleurs plusieurs fois à un écran de cinéma où Babino pourra vivre des aventures), comme s’il fallait aussi laisser aux morts la possibilité de se séparer des vivants pour ne pas peser sur eux, et de disposer d’un espace imaginaire pour s’y ébattre. Une même gradation symbolique peut se lire dans les caractéristiques de la terre : d’abord résistante, compacte et dure sous le pommier, aux premiers moments presque insupportables du deuil, elle devient plus facile creuser près de la clôture et finit par être qualifiée de « tendre », à tous les sens du terme, dans le champ (p. 62).

Mais le centre de gravité de la cérémonie, et du dernier chapitre lui-même, repose essentiellement sur les discours rapportés. En conformité avec la volonté de l’auteur de privilégier le « bricolage culturel » et la juxtaposition des croyances, il y a autant d’hommages que d’enfants présents (5), rapportés dans leur totalité, chacun se montrant sensible à l’une ou l’autre des qualités du chien, sa gentillesse, sa bonne humeur, sa joie de vivre, sa force ou sa souplesse, mais tous évoquant une représentation mentale rémanente de Babino aidant à vivre et à se projeter vers l’avenir. Le discours du narrateur, le dernier à parler, est particulièrement émouvant et intéressant, en ce qu’il cite et convoque tous les membres du groupe en même temps que le chien, comme un regroupement dans le regroupement, une concentration de cette histoire commune réconfortante et encourageante, de cette solidarité qui a permis aux personnages de grandir en se confrontant à l’impermanence des êtres (voir p. 70). Ce dernier chapitre apparaît également comme une apologie de la parole, de la capacité humaine à mettre des mots et des récits, qu’ils soient mémoriels ou fictionnels, sur la souffrance pour la transcender (des récits, ou des films, le roman abondant, on l’a vu, en références cinématographiques, d’Indiana Jones à Kill Bill et s’inscrivant de la dédicace à l’ultime phrase (Mais après ce bel enterrement, grâce à mes amis, grâce à Mila et grâce au cinéma, j’ai su que je continuerais à gambader avec Babino dans ce champ bien plus grand qu’un écran.) comme un hommage au cinéma, et en particulier au film de Tommy Lee Jones, Trois enterrements). il semble en tout cas être le cœur émotionnel du roman et ne devrait pas laisser les lecteurs insensibles.

A la fois léger et profond, triste et joyeux, scatologique et philosophique, ce roman nous paraît d’abord marqué par le respect : respect des enfants et de leurs chagrins, respect aussi de leurs tâtonnements et des bricolages que toute construction d’une culture suppose, respect des cultes et des croyances, lorsqu’ils permettent de rendre hommage aux morts et de les lier à nos vies sans qu’ils pèsent d’un poids insupportable sur elles, respect des récits et des arts du récit qui peuvent nous aider à mieux traverser les crises qui guettent toute vie. Ni mièvre ni mielleux, ni oppressant ni angoissant, il se lit vite mais reste longtemps en mémoire et peut, selon nous, aider les enfants à verbaliser leurs craintes face au décès d’un être proche ou servir de tremplin pour de nombreux débats sur l’importance et le sens des rites face à cet événement inéluctable.

Lecture chaudement recommandée !

 

Article mis en ligne le 19.11.2020