L’étoile du soir
Auteure | Siècle Vaëlban |
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Editeur | Albin Jeunesse – 2023 |
« Le vrai courage, c’est de dire au revoir. Si on ne sait pas dire au revoir, on n’ose jamais aimer. »
Fille de la montagne, Kinjal entend le chant des pierres et le murmure des arbres. Chaque soir après l’école, elle court retrouver ses parents et sa grande sœur, la belle Chadna, si parfaite…Mais bientôt, la vie de Kinjal bascule : sa sœur est victime de la maladie des fleurs de chair. Sa rencontre avec Etoile du soir et Petit Matin, deux panthères des neiges, aidera-t-elle Kinjal à retrouver son chemin ?
PLONGEZ AU CŒUR DES MONTAGNES INDIENNES, DA NS UN ROMAN INITIATIQUE VIBRANT D’EMOTION ET D’ESPOIR.
Mots-clés : Asie, montagne, famille, fratrie, fille-garçon, relation adultes-enfants, lien homme-animal, deuil, maladie
Présentation générale
Kinjal vit en Inde dans un village de montagne. Sa famille est pauvre. Son père, Amog, est menuisier. Sa mère, Madhura, fait le ménage et la cuisine chez un voisin plus riche. Elle a une grande sœur qu’elle jalouse beaucoup, Chadna, qui a le teint plus clair qu’elle, qui est belle et docile. D’ailleurs, ses parents s’apprêtent à la marier : Elle sera une épouse « parfaite » car elle a suivi avec obéissance tous les enseignements domestiques prodigués par la mère, qui est beaucoup plus proche d’elle que de Kinjal.
Kinjal, elle, aime aller à l’école où elle est une excellente élève. Elle aime sa liberté et crapahuter dans la montagne Hemadri, « la montagne d’or ». Elle connait le chant des pierres et celui des arbres. Elle se sent en lien avec les esprits de la nature. Elle n’aime pas baisser les yeux, elle aime observer, et obéir n’est pas son fort.
Sa vie bascule lorsque sa sœur qui allait se marier déclare la « maladie des fleurs de chair », une maladie mortelle. Kinjal va devoir arrêter l’école pour remplacer sa sœur auprès de Madhura, en l’aidant aux tâches domestiques et dans son travail de femme de ménage. Parallèlement à ce drame, Kinjjal dans la montagne va secourir deux bébés panthères dont la mère, blessée, a disparu. Elle va réussir à les nourrir pendant un temps en récupérant des gourdes de lait de chèvre auprès d’une fille de sa classe, contre la promesse de lui faire tous ses devoirs scolaires en échange.
Chadna qui s’affaiblit peu à peu va alors plaider la cause de sa sœur pour qu’elle retourne à l’école afin de pouvoir ensuite obtenir une bourse, faire des études et vivre plus libre qu’elle-même n’aurait jamais pu l’être. Les deux sœurs vont se rapprocher, leur relation va devenir beaucoup plus forte et les liens familiaux vont se resserrer.
Chadna meurt. Un des bébés panthères aussi. Mais c’est dans un climat apaisé que Kinjal va pouvoir envisager de vivre comme elle le souhaite. Elle trouve une véritable amitié auprès de Jayasimha, un jeune garçon récemment arrivé dans sa classe qui se rapproche d’elle. Ils iront ensemble au collège, il pourra l’héberger chez lui en ville. Elle n’est plus seule. Et l’horizon s’ouvre sur une émancipation certaine.
Nos commentaires
Le roman de Siècle Vaëlban est en fait bien plus riche et bien plus complexe qu’un simple résumé le laisse supposer.
C’est un livre qui nous transporte jusqu’en Inde. Nous y sommes immergés dans une région montagneuse où l’école est dans un village, mais où certains enfants, comme Kinjal, vivent loin et doivent chaque jour beaucoup marcher dans la montagne pour venir en classe. Au travers de l’histoire qui nous est racontée, nous découvrons la vie quotidienne d’une famille indienne, ses traditions, notamment religieuses, ses croyances, ses rites, son intérieur, sa cuisine… On en devine les inégalités sociales, entre la pauvreté des parents de Kinjal, la richesse toute relative de ceux de son « amie » Shari et l’aisance de la famille de Jayasimha qui possède une maison en ville.
Le roman a donc une teneur ethnologique certaine. L’autrice, Siècle Vaëlban, a beaucoup voyagé en Asie du sud, cela se sent aux nombreux petits détails concrets du quotidien qu’elle décrit et à ce qu’elle nous dit des organisations familiales et sociales.
Nous découvrons également des paysages magnifiques en suivant Kinjal dans ses aventures et ses découvertes montagnardes. Le livre est une ode à la nature sauvage que nous approchons d’une manière très poétique, portés par les convictions animistes de la petite fille qui pense que dans une vie antérieure elle était sûrement un arbre. Et lorsque la panthère adulte lui apparaît, elle ne sait pas si c’est une vraie panthère ou un esprit de la montagne déguisé…Mais peu importe. L’important est d’être à l’écoute de la nature et de la protéger. Nous apprenons que les noms propres sont porteurs d’une signification symbolique qui définit la personne. Chadna c’est l’amour ; Kinjal, la berge de la rivière ; Shari, la flèche ; Jay, le lion victorieux ; Subaha et Citara, les deux bébés panthères, Petit matin et Etoile du soir qui donne son beau titre au livre.
Roman ethnologique d’un côté, conte initiatique empreint d’une poésie magique de l’autre… Il y a quelque chose de très beau dans l’écriture malgré la violence de certaines situations. Siècle Vaëlban est férue de littérature imaginaire, très attentive au lien tissé entre le monde vivant et notre monde intérieur. Les deux aspects de son écriture s’accordent avec douceur. Et au bout du compte le message laissé est porteur d’espoir et de liberté. Malgré l’adversité, il faut savoir protéger en soi la capacité de s’émerveiller et de se tenir droit. Il y a beaucoup d’émotion dans le texte mais pas de misérabilisme ni de pathos trop appuyé. Les sujets sont graves mais le ton est serein. Très concret par beaucoup d’aspects, le récit tient aussi du conte, ne serait-ce que par l’absence de contextualisation temporelle, ce qui lui donne une résonnance plus large, plus profonde, plus philosophique d’une certaine manière. Une valeur universelle.
Le livre est aussi une histoire d’amitié : Il y a la « fausse amie », Shari, que Kinjal n’identifie pas comme telle au début. La fillette va se révéler extrêmement jalouse de la réussite scolaire de Kinjal. Elle va profiter de sa légère supériorité sociale pour piéger Kinjal quand elle va avoir besoin de lait de chèvre pour ses petites panthères. Et se réjouir avec méchanceté de son exclusion scolaire. Kinjal comprend peu à peu que le nom de Shari, la flèche, est fait pour blesser. Je vais faire de ta vie un enfer…
A l’inverse, celui qu’au début elle prend pour un rival scolaire présomptueux va se révéler un ami sincère à la fin du roman. Jayasimha vient de la ville, il semble d’abord très sûr de lui, il veut prendre la place de Kinjal en tête de classe, ce qui ravit Shari. Mais dans la dernière partie du roman, il renonce à son arrogance forcée et offre son aide et son amitié à Kinjal en lui révélant ses propres fragilités et la raison de son arrivée au village. Kinjal a troqué une « amie flèche » contre « un ami lion ». Jay va être solidaire jusqu’au bout de l’histoire des panthères et c’est aussi grâce à lui qu’elle va pouvoir envisager son avenir d’une toute autre manière.
Le roman nous entraine également dans l’histoire d’une famille, au cœur des liens familiaux pas toujours simples, marqués entre autres par le poids des traditions. Kinjal est extrêmement jalouse de sa sœur au début du livre parce qu’elle est « parfaite », obéissante, en conformité avec ce qu’on attend d’une fille, et que sa mère semble la préférer. Ce sentiment de jalousie n’empêche pas Kinjal d’être attachée à sa sœur et elle est triste quand elle apprend que celle-ci va les quitter pour être mariée. Et il va disparaître quand, au cœur de la maladie de Chadna et à l’approche de sa mort, les deux sœurs vont se rapprocher. Chadna défend Kinjal, insiste auprès de ses parents pour qu’elle retourne en classe et plaide pour qu’elle puisse être une fille libre. Les échanges entre les deux sœurs sont très touchants. Chadna qui va mourir exprime ses regrets d’être restée elle-même totalement prisonnière de ce qu’on attendait d’elle. Kinjal lui doit d’être sauvée.
Le père est davantage en retrait que la mère, sans doute parce que ses enfants sont des filles. On le sent plus tendre et plus attentif avec Kinjal que sa femme, il est proche de ses ressentis face à la nature, triste de ce qui lui arrive quand la mère la somme d’arrêter l’école. Mais la grandeur d’âme de Chadna, la générosité de ses dernières volontés vont permettre à l’ensemble de la famille de se rapprocher, de mieux se comprendre et de se sentir vraiment unie. La mère va pacifier sa relation avec Kinjal et l’accepter telle qu’elle est, différente et précieuse. Elle va lui permettre de choisir sa vie en étant fière d’elle et en mémoire de Chadna.
C’est donc l’histoire d’une petite fille de neuf ans qui va faire bouger les lignes de la tradition, une petite héroïne rebelle dans une société peu encline à l’émancipation des femmes. Une société où la naissance des garçons est bien plus valorisée que celle des filles. Où l’école passe après les apprentissages domestiques, surtout dans les milieux pauvres. Où le seul horizon des filles est le mariage arrangé, choisi par les parents. Les rêves de Kinjal sont ailleurs. L’école va lui offrir des ailes et la promesse d’une émancipation.
L’étoile du soir est enfin un très beau livre sur le deuil, la perte, la résilience. Kinjal est impuissante face à la maladie de sa sœur. Elle se dit que si elle ne peut pas la guérir, elle peut au moins sauver les petites panthères.
Chadna meurt de sa maladie (et là encore on découvre les rites culturels de l’Inde face à la mort) ; en même temps un des bébés panthères, Etoile du soir, trop faible dès le départ ne pourra pas être sauvé par Kinjal. L’autrice, avec ces deux morts simultanées, ouvre la voie à un symbolisme puissant et assez bouleversant. La mort est abordée comme une transformation, un recommencement. On peut bien sûr y voir une croyance indienne en la réincarnation. Mais aussi, plus simplement, l’idée apaisante que quelque chose finit en s’inscrivant dans la continuité du monde : Chadna et Etoile du soir ont symboliquement rejoint la montagne sacrée, elles demeurent présentes dans le mystère de la nature et dans le cœur de Kinjal. C’est à partir de ces deux expériences de deuil qu’elle va pouvoir envisager son indépendance, son envol.
L’étoile du soir est vraiment un très beau livre, très émouvant, que les adultes auront autant de plaisir à lire que les jeunes lecteurs. Les chapitres sont courts et l’écriture très fluide. Tout est très bien lié et articulé.
Pauliina Hannuniemi en signe les illustrations : petits dessins en noir et blanc en début de chapitres et surtout une très belle couverture dans les tons mauves et roses où l’on voit les deux sœurs, accompagnées des deux petites panthères, réunies face à la beauté d’un paysage.
Aux lecteurs, l’autrice adresse ses remerciements : Merci enfin à vous, chers lecteurs, d’avoir entamé l’ascension du sentier des chèvres au côté de Kinjal. Puissent les pierres du chemin vous offrir leurs faces les plus solides sur lesquelles appuyer vos pas.
Autre lecture auquel ce livre nous a fait penser : Le pays de sable de Xavier-Laurent Petit et Amandine Delaunay dans la collection « Histoires naturelles » chez Neuf/Ecole des Loisirs.