Lilly sous la mer

Lilly sous la mer
Auteur-Illustrateur

Thomas Lavachery

Editeur

Pastel – Ecole des Loisirs – 2021

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Le 12 septembre 1920, le premier appareil d’exploration capable de descendre à 2000 mètres de profondeur, plonge dans la mer des Bermudes. À son bord, les époux Bullitt, savants réputés, espèrent prouver l’existence de la vie animale dans les abysses. Leurs enfants, Théo et Lilly, font partie de l’expédition. Lilly Bullitt ne quitte pas le hublot. Que voit-elle donc que les autres ne voient pas ?

Mots-clés : mer, point-de-vue, sciences

Présentation générale

Ce petit album au titre naïf et à la première de couverture un peu désuète avec ses cadres dorés est un vrai coup de cœur, tant par sa forme que par son contenu.

C’est l’histoire d’une expédition scientifique dans les années 20. Une famille, somme toute originale, expérimente la vie sous-marine dans une cloche de plongée spécialement conçue. La mère, Lee Bullitt, capitaine de bord, veut prouver que le vaisseau qu’elle a créée est suffisamment résistant et qu’il est possible de vivre au moins un mois à une profondeur de 2000 mètres. Le père,Bill Bullitt, biologiste réputé, a émis l’hypothèse que des espèces animales vivent dans des grandes profondeurs. Il veut en apporter la preuve. Théo et Lilly, leurs enfants, suivent. Théo est le grand frère, un adolescent assez prétentieux. Lilly est une petite fille discrète de cinq ans et demi. Elle ne parle pas encore mais elle regarde, surtout elle observe !

Le lecteur partage l’aventure de la famille du départ du port pour la mise à l’eau de la capsule jusqu’au retour à terre avec son lot de conférences pour présenter les résultats des expériences. Le texte est tellement vivant , l’aventure est tellement passionnante qu’on pourrait croire à un réel témoignage scientifique. La forme de l’album aide largement à l’imprégnation du lecteur. Le format portrait vertical donne l’effet de profondeur sous-tendu par le texte. De nombreux pliages « surprises » animent les différentes temps du récit avec délicatesse et humour. Les talents d’observation de la petite Lilly sont mis en exergue par des pleines pages qui montrent à quel point le silence et l’imaginaire dépasse bel et bien la science pure !

Récit d’aventure, documentaire, journal de bord, récit de sciences fiction… Lilly sous la mer répond à tous ces genres avec beaucoup de bonheur. Voilà un voyage sous la mer terriblement séduisant !

Nos commentaires

Jules Verne proposait à ses lecteurs des récits de sciences fiction avec moults détails techniques qui apportaient une véritable crédibilité à sa narration. D’autant que l’auteur a été le précurseur de nombreuses inventions techniques qui ont suivi. Nous étions au XIXème siècle, à une époque de développement important du monde industriel et de la mécanique.

Lilly sous la mer est de la même veine. Thomas Lavachery situe son histoire dans les années 20 et, comme Jules Verne, il apporte des détails tellement précis que le lecteur peut avoir des doutes sur l’aspect fictionnel du récit. La boule d’acier ressemble à s’y méprendre à un batiscaf. Le choix des Bermudes pour plonger est crédible. Le prélèvement d’échantillons d’eau pour une observation au microscope est une procédure scientifique qui a fait ses preuves. Et pourtant…. Est-ce que l’on emmènerait des enfants dans un batiscaf ? Est-ce qu’on utiliserait des “bullicalors” pour se réchauffer et un “bulliphone” pour communiquer ? Et que dire des postures des personnages dans leur vie quotidienne, ils sont tellement décallés dans les illustrations ! L’auteur joue entre fiction et réalisme avec délectation. Il s’amuse même à écrire un épilogue pour apporter la preuve tangible de l’existence de ses personnages, êtres de papier à part entière. Plus d’un lecteur s’y laissera prendre (même des adultes !). En fait l’auteur a créé un univers avec ses propres règles, ses propres lois pour plonger le lecteur dans l’aventure. Son livre entre tout à fait dans le nouveau genre artistique dénommé le Steampunk, un mouvement culturel qui mêle esthétique et technologies du XIXème siècle.

Outre l’aspect historique et technique l’histoire est palpitante. Il y a du suspens et du mystère tout au long de l’album car le challenge de la famille Bullitt est ambitieux. Est-ce que la famille va revenir saine et sauve ? Y a-t-il vraiment de la vie en grande profondeur ? Ses questions centrales laissent le lecteur en attente de l’issue et motivent la lecture de bout en bout.

Le texte est agréable à lire, écrit dans un style parfois relevé (“Après un voyage sans encombre sur une mer clémente…”). Des détails souvent savoureux donnent de l’épaisseur et allègent en même temps la tension liée aux situations. Des nombres précis, par exemple, indiquent les dates, le timing de la mise à l’eau, les paliers de descente, les poids et mesures diverses des poissons… Des preuves tangibles de la précision de l’expérience! D’un autre côté des expressions anglaises (“My goodness !”) disséminées apportent un petit côté anglais très distingué, sans parler de la dénomination des personnages so british.

Les illustrations donnent vie à toute cette histoire avec brio. Thomas Lavachery est un artiste belge confirmé qui a travaillé dans de nombreux domaines (la BD, le cinéma, la pub…) avant de s’essayer à la littérature jeunesse. On trouve dans son dessin une influence de Tomi Ungerer et de François Place. L’usage de l’aquarelle et la précision du trait sur les premières et dernières pages (notamment la double page du scientifique présentant sa trouvaille, une crevette luminescente) nous font penser au Dernier Géant de François Place. Les personnages dans leur vie quotidienne, dessinés à l’aquarelle et l’encre, semblent faire écho aux héros de Tomi Ungerer. Lilly sur la page d’avant garde, au travers de son hublot, a un petit goût de Zeralda. Les personnages représentés par leur ombres qui crient leur joie d’avoir découvert deux crevettes renvoient aux fameux brigands de l’album Les trois brigands, un classique de la littérature jeunesse.

Les jeux de pliage de pages dont nous avons parlé lors de la présentation du livre apportent de l’ampleur au récit en donnant la part belle à l’image… et à l’imaginaire. La page des poissons abyssaux qu’obsersent Lilly est incroyable. Quelle est la part de l’imaginaire et la part du réel dans le regard de Lilly ? Ces créatures sont tellement fabuleuses, et Lilly est tellement silencieuse. Une recherche sur la toile semble montrer que la plupart des poissons représentés sont référencés mais le lecteur n’a qu’une envie, suivre son imaginaire pour affirmer sa liberté, comme l’héroïne.

La chute du récit est un pied de nez aux adultes et adolescents qui disent détenir le savoir et se croient sérieux. Personne n’a prêté attention à Lilly. Son père n’a rien vu au travers des dessins de sa fille, interprétant ses représentations de méduses comme des bonshommes têtards. Et pourtant… Lilly est bien celle qui a découvert le plus de choses sur la vie des profondeurs sous-marines. Sa parole libérée lors de sa conférence improvisée devant ses peluches en témoigne avec humour et une certaine jubilation.

Un album pour les jeunes lecteurs qui aiment l’aventure ! Et pour les autres ! Il suffit de déplier quelques pages, de se laisser surprendre par le texte et par l’image pour entrer dans l’univers de la famille Bullitt !

Mise en ligne en novembre 2022