L’ogre d’en bas

L’ogre d’en bas
Auteur

Olivier Dupin

Illustrateur

Barroux

Editeur

Glénat jeunesse – 2024

Des drapeaux rouges barrés de noir flottent sur la ville, les soldats sont partout. Et des gens disparaissent. Des « gens comme eux ».
Sarah et sa petite sœur, désormais seules, vont découvrir le vrai visage de « l’ogre d’en bas », cet homme au regard noir et au cœur juste.

Mots clés : guerre, courage, peur

Présentation de l’éditeur

Un récit puissant et poétique sur les Justes, ces anonymes qui sauvèrent des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale, au péril de leur vie.
Un album délicat sur la question des apparences, du courage, et de ce qui fait notre humanité.

Nos commentaires

Cet album raconte l’histoire de la famille de Sarah. Cette fillette vit avec sa sœur et ses parents dans un appartement très simple où tous se sentent bien. Mais des soldats arrivent dans leur ville et leur vie est bouleversée : plus le droit de sortir ou d’aller dans les magasins et certains même disparaissent. Ils doivent donc rester chez eux.
Un soir, leur père ne rentre pas et leur mère, partie à sa recherche, est arrêtée par des soldats sous les yeux de ses enfants, à la fenêtre. Les policiers, entendant le cri d’une des deux sœurs, montent pour chercher les filles, mais « l’ogre d’en bas » surgit et incite les fillettes à se cacher dans son énorme barbe. Pétrifiées de peur par cet homme, le concierge, qui les effraie depuis longtemps, elles hésitent à lui obéir. L’aînée entraine la cadette, ce qui leur évite d’être arrêtées. Elles découvrent que cette barbe qui leur faisait si peur se révèle être un petit nid douillet où elles sont en sécurité. « L’ogre d’en bas » ne veut que leur bien.
Le concierge les cache alors dans sa loge, les nourrit et leur interdit de sortir. Lassées d’être consignées chez un inconnu et inquiètes pour leurs parents, les deux sœurs sortent un jour de la loge pour retourner dans leur appartement y chercher des objets. Mais, au retour, elles croisent un voisin avec une tête « étonnée ». Le soir même, la police arrive dans la loge, mais les enfants se cachent de nouveau dans la grande barbe salvatrice.
Comprenant que les fillettes ne sont plus en sécurité dans cet immeuble, « l’ogre d’en bas » les conduit à la campagne, chez sa sœur, qui va prendre soin d’elles. Isolées, perdues sans leurs parents ni leur environnement, les sœurs pleurent souvent. Mais d’autres enfants vont arriver peu à peu dans cette ferme, chaque fois portés par le concierge, et ouvrent sur une fin apaisée.

Notre avis

Pour nous adultes, il est clair que ce texte aborde les rafles des Juifs durant la Seconde guerre mondiale et qu’il dénonce des comportements de délateurs autant qu’il met en avant ces Justes qui ont sauvé tant de personnes.
Pour les enfants, le contexte de guerre est facile à comprendre avec les soldats, les interdictions, les menaces et les disparitions. Les illustrations de Barroux se chargent de dépeindre cette ambiance anxiogène avec des couleurs simples : rouge des étendards qui flottent, de l’affiche rouge, du rideau du délateur, des soldats avec leur chien et leurs brassards ; jaune des étoiles cousues sur les vêtements, de la faible lumière qui éclaire l’appartement, du cocon serein de la loge, et noir, pour les rues, la nuit, l’arrestation, la barbe de l’ogre. Même si les enfants ne connaissent pas ce pan de l’Histoire, ils ressentiront sans mal cette lourdeur, ces malaises, les questions qui tournent dans ce texte.

Ils comprendront aussi aisément pourquoi ce personnage de « l’ogre d’en bas » fait si peur aux fillettes : il est gigantesque, il a une barbe qui va presque jusqu’à terre, et il y a les rumeurs qui disent que cette barbe peut avaler les enfants.
Car nous sommes ici dans une forme qui pourrait être celle du conte, avec ce personnage si effrayant. Peut-on lui faire confiance ? Va-t-il nous engraisser pour nous manger ? Pourquoi a-t-il un regard si noir ? Pourquoi nous enferme-t-il chez lui ? Veut-il nous empêcher de revoir nos parents ? Voilà toutes les questions que se posent les deux sœurs et que le lecteur comprendra sans difficultés. Comme est palpable l’angoisse qui étreindra les enfants et leur fera prendre des risques : ne pas aller se cacher, sortir de la loge…Si elles ont peur de cet homme, c’est parce qu’il a « un regard noir et dur ». Car lui aussi a peur d’être arrêté pour la protection qu’il apporte « aux gens comme elles ».

Les enfants sont transportés sans explications vers la campagne. Peut-il leur expliquer les raisons de cette fuite ? Peuvent-elles comprendre qu’elles sont maintenant en sécurité ? La complicité qui lie les deux filles est très forte : l’ainée se doit de protéger la petite, qui est toujours en arrière, à ne pas vouloir faire ce qu’on lui demande car elle ne comprend pas ce qui se passe. On lui dit de se cacher chez le méchant ogre puis d’attendre qu’il la mange. On lui interdit d’aller chercher ses trésors auxquels elle tient tant et on l’emmène en voyage très très loin. Pourquoi tout ça ?
Perdues dans ce grand chamboulement de la guerre, elles ne se sentent nulle part chez elles et n’arriveront à se détendre un peu qu’avec l’arrivée des autres enfants qui leur fera comprendre quel est le vrai rôle du concierge ainsi que son attitude qui est celle d’un homme avec « un cœur énorme, un cœur de Juste ». Là encore l’illustration soutient admirablement le texte en éclaircissant l’horizon de très légères teintes bleutées, de sourires, de fleurs, d’étoiles décousues dans un cadre rassurant et calme. Il faut parfois faire confiance, contrairement aux apparences, et reconnaître la valeur d’une personne qui agit avec son cœur.

Le format de cet album, grand, presque encombrant, est pourtant bien adapté au thème abordé. L’ogre y rentre tout juste sur une page, sa barbe s’y étalant sur des doubles-pages pour montrer son importance. Cette dimension permet aussi de jouer sur des sentiments de dominations en mettant les protagonistes face à face : opposition entre les soldats qui écrasent avec leurs chiens la famille dans la peur et le malheur ; effroi à la vue du voisin délateur qui observe d’en haut les fillettes de son regard cynique. Ce choix de grandeur du livre est aussi utile pour faire ressentir les enfants tout petits, dans un monde qui les dépasse, et juste à la bonne taille pour se cacher dans la barbe ou pour symboliser par un grand trou noir le monde dans lequel elles pensent être tombées définitivement.

C’est une histoire forte et indispensable, racontée à hauteur d’enfant, avec des émotions mais aussi une place faite à l’imagination et au soulagement. C’est un texte qui donne à parler, à échanger, à comprendre et à réfléchir. La place de l’adulte est importante dans cet accompagnement pour ne pas ajouter de l’anxiété à un contexte actuel déjà lourd politiquement.
Un bel album dans lequel texte et images se complètent totalement, s’enrichissant mutuellement au profit de la compréhension et de l’ambiance du récit. Il intéressera sûrement les bons lecteurs et les renverra vers des éléments de l’Histoire qu’ils sont capables de comprendre. Un livre utile.

Pour aller plus loin

La Grande peur sous les étoiles - 1La grande peur sous les étoiles de Jo Hoeslandt et Johanna Kang / Syros 2019
En 1942, le nord de la France était occupé par l’armée allemande qui l’avait envahi. Lydia et moi, Hélène, nous avions huit ans et demi, ni la guerre ni les Allemands ne nous empêchaient d’aller à l’école, de jouer, de nous disputer et de nous réconcilier, comme toutes les autres amies du monde.
Un jour, pendant que nous jouions près d’elle, la maman de Lydia a cousu une étoile jaune sur leurs vestes.

Toutes mes mamans - 1

Toutes mes mamans de Renata Piatkowska et Pauline Duhame, / Flammarion 2022
Durant la seconde guerre mondiale, Irena Sendler a sauvé plus de 2500 enfants juifs du ghetto de Varsovie. Simon Bauman était l’un d’entre eux. Voici son histoire, inspirée de faits réels.