Pas pour les éléphants
Auteurs | Davide Cali |
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Illustratrice | Giula Pastorino |
Editeur | Sarbacane – 2023 |
Un éléphant arrive en ville. Il cherche un café pour son petit déjeuner.
-Désolé, dit le garçon. On ne sert pas les éléphants.
Éléphant cherche un kiosque pour s’acheter le journal.
-On ne vend pas de journaux aux éléphants, fait le marchand.
Mots-clés : différence, rumeur, rejet
Présentation de l’éditeur
Éléphant arrive en ville. Il cherche un café pour son petit déjeuner. « Désolé, dit le garçon. On ne sert pas les éléphants. » Éléphant cherche un kiosque pour s’acheter le journal. « On ne vend pas de journaux aux éléphants », fait le marchand. Et quand Éléphant veut acheter des bananes, la réponse est la même : « Pas pour les éléphants. » Ainsi de suite, jusqu’à ce qu’un incendie se déclare… Cette fois, Éléphant se révèle fort utile, grâce à sa trompe-lance incendie ! L’opinion s’inverse : tout le monde l’aime, soudain… « Ils sont bizarres, ces gens-là », pense Éléphant. Et le lecteur avec lui.
Présentation générale
L’éditeur reprend intégralement le début du texte dans sa présentation. Il donne ainsi le thème et le ton du récit : l’histoire d’un primo arrivant rejeté par une communauté puis élevé au rang de héros suite à un retournement de situation, un drame qui finit bien. L’éditeur continue sa présentation en annonçant une fable forte et graphique sur la nécessité et la richesse de l’accueil. Il nous semble que cette analyse est très optimiste. Nous pensons que ce récit est également un support pour dénoncer des comportements humains totalement injustifiables. L’histoire est simple, facile d’accès, l’ambiance n’est ni triste ni morose. Il y a même quelques moments comiques. Mais il n’existe aucun doute sur les réactions affligeantes des accueillants. Le dénouement est évidemment positif (il s’agit de littérature de jeunesse !). Mais la fin reste ouverte car rien n’est figé en ce qui concerne le rapport à l’autre.
Un livre simple pour identifier et remettre en question différentes réactions sur l’accueil d’un étranger. Un style graphique sobre qui permet d’exprimer avec force des confrontations, des oppositions. Un petit album qui, l’air de rien, en dit beaucoup !
Notre avis
Le personnage principal est un drôle d’éléphant !Coloré en marron, trop haut sur pattes, deux petites oreilles pendantes, un sourire au coin de la bouche… Dessiné en équilibre sur un vélo acrobatique sur la couverture il semble léger, insouciant, heureux. Le titre « Pas pour les éléphants » indique pourtant qu’il ne s’agit pas d’une histoire d’espièglerie, loin de là. Le sujet est sérieux.
L’éléphant s’impose sur chaque double-page au début du récit. Il est confronté à des espèces de bonshommes patates tous différents tant dans la forme que dans leur coloration. Leur seul point commun est leur petite taille. Les illustrations sont graphiques et très expressives. En peu de traits Giulia Pastorino révèle autant la naïveté de l’éléphant que la méchanceté des habitants de la communauté. La forme de l’éléphant est simplifiée. Il possède, pour seuls attributs de sa nature, une trompe ainsi que des jambes et des oreilles spécifiques. Ses pattes et sa trompe sont raides, sa bouche est son seul moyen d’expression. Il reste toujours très neutre. Il demande peu de choses, il entend les réponses, il ne réagit pas. Les habitants qu’il interpelle sont vert, jaune, noir. Ils ne possèdent pas de torse, leurs jambes sont transparentes, leur tête surdimensionnée. Aucun ne sourit. Ils ont tous une attitude dure, bien campés dans leur espace, quand ils regardent l’éléphant droit dans les yeux pour lui signifier leur refus de le servir. Pourtant il n’y a aucune raison pour qu’ils n’acceptent pas de servir un café, de vendre un journal ou des bananes. Ils sont tous en posture très favorable, le serveur tient trois plateaux en équilibre chargés de tasses, le vendeur de journaux a plein de spécimens sur sa devanture, l’épicier est installé sur une montagne de bananes. Leur seul argument est qu’un éléphant n’a accès à rien. C’est injuste, injustifié, injustifiable. La situation s’aggrave encore lorsque l’éléphant se voit refuser l’accès à la mer pour se baigner par un policier et qu’il apprend qu’il n’a ni le droit de circuler en vélo, ni le droit de s’asseoir sur un banc. Aucune activité, aucun loisir même anodin ne lui est permis. Le jeune lecteur comprendra aisément les larmes qui coulent abondamment des yeux de l’éléphant à la suite de ces malheureuses péripéties.
La scène de l’éléphant en pleurs marque une première transition dans le récit qui va ensuite gagner en intensité dans le registre de la haine et de la colère contre l’étranger. Peu d’éléments sur cette double-page : l’éléphant, quelques arbres, et le petit oiseau jaune, très discret jusque-là, qui suit l’éléphant page à page depuis le début. Les paroles de l’oiseau permettent de dire explicitement la situation « Personne ne veut de toi ici ». Après son constat il propose une solution : « Cherche plutôt un endroit pour les éléphants ! ». Une suggestion qui semble plutôt maline. Mais l’éléphant est perplexe « Mais c’est quoi un endroit pour les éléphants ? Tous les endroits sont pour les éléphants. » Il n’y a pas de point d’exclamation à cette dernière phrase. Il ne s’agit pas d’une revendication pour imposer sa présence oud’une incompréhension revancharde. L’éléphant est totalement dérouté. Il n’a pas de passé, le lecteur ignore son origine. Il n’a pas de projet, le lecteur n’envisage aucune perspective pour son futur. Il est simplement là, au cœur du récit. Et Il vit le tempsau présent comme le jeune lecteur qui le suit. En fait l’éléphant est comme un enfant. Ses demandes sont simples, il souhaite boire, lire, manger, se baigner, faire du vélo et s’asseoir sur un banc. Tout lui est refusé et il ne sait plus où est sa place. De plus il sent une haine et une colère monter autour de lui. En témoigne le feuillage des arbres qui l’entourent, des boules vertes comme des visages possédant des yeux aux sourcils rapprochés et des bouches grandes ouvertes qui semblent crier. La tension monte et l’éléphant est perdu.
Après avoir été rejeté par quelques individus, l’éléphant devient la bête noire de toute la communauté. Les bonshommes colorés se réunissent et leurs échanges ne font qu’alimenter leurs récriminations contre le pauvre pachyderme. Il ne s’agit pas d’une rumeur, mais plutôt de racontars arbitraires et infondés qui s’alimentent les uns les autres pour arriver à une accusation totalement gratuite. Cette gradation dans le rejet est terrible, elle ne laisse aucune chance à l’éléphant. L’éléphant est traité de paresseux alors qu’on lui interdit de faire quoi que ce soit. Il est même accusé d’avoir volé l’oiseau qui l’accompagne de son plein gré depuis le début ! C’est incroyable ! La scène du jugement est dure : l’éléphant et le juge sont au centre, tout autour des bonshommes patates de tout genre. Les personnages de la communauté sont menaçants. Ils sont constitués de peu d’éléments, parfois des yeux, parfois un nez, parfois juste une forme colorée ou transparente. Mais ils sont nombreux et ils regardent l’accusé méchamment. L’accumulation de leurs formes, de leurs couleurs, de leurs postures fait leur force.
La fin est inattendue. L’éléphant reste encore une fois très détaché du procès dont il fait l’objet. Il ne se révolte pas, il semble juste attristé. Il n’essaie pas de se défendre, il ne demande pas à l’oiseau de témoigner. C’est un incendie inattendu qui va le rendre actif. Devant la panique de la communauté il n’hésite pas à utiliser ses compétences, c’est-à-dire à aspirer de l’eau par sa trompe pour éteindre le feu. Le lecteur pourra s’amuser de voir que l’eau aspirée vient des WC, une petite marque comique qui détend l’atmosphère. Mais le plus drôle reste le retournement de comportement des habitants qui changent littéralement d’avis sur l’éléphant et le portent en héros. Ils lui accordent maintenant tous les droits ! Et l’éléphant se retrouve en short de bain sur une plage à boire un café, manger une banane et lire son journal en compagnie de son ami l’oiseau. Que demander de mieux ? Il pourrait s’agit d’une fin ambigüe sur le rapport à l’héroïsme et au mérite si l’animal ne marquait pas son incompréhension en disant « Ils sont vraiment bizarres ces gens-là ». En effet, comment justifier cette nouvelle adoration de la communauté ? Ne s’agit-il pas d’une nouvelle injustice, même si elle est favorable à notre petit héros qui est quand même content.
Un enfant un peu âgé (ou un adulte) pourra lire dans ce livre un terrible récit de l’immigration sublimé par des personnages animaliers et symboliques. Il percevra facilement le rejet de l’autre et l’agressivité d’une communauté envers un inconnu. Il s’indignera du changement de comportement de la communauté qui passe d’un extrême à l’autre tout en considérant l’aspect cynique de la situation finale. Un jeune enfant, lui, comprendra simplement l’éléphant en se glissant dans sa peau et dans ses émotions. Il adoptera naturellement la posture de l’animal triste car victime des injustices des autres puis content car idolâtré après un exploit. Il peut penser simplement que les bonshommes bizarres sont d’abord méchants puis deviennent gentils juste parce qu’ils sont sauvés. C’est en réfléchissant sur les raisons de cette méchanceté et de cette gentillesse excessive que le lecteur pourra aller plus loin dans sa compréhension. Les questions telles que « pourquoi les gens refusent tout à l’éléphant au début de récit ?», « pourquoi deviennent-ils gentils d’un seul coup ?», « dans quelle mesure l’éléphant est-il un héros ? » pousseront le lecteur à élargir son interprétation et à réfléchir sur les relations qu’on entretient avec les gens qu’on ne connaît pas.
Une histoire très bien construite. En peu de mots Davide Cali dénonce la posture d’une communauté qui rejette l’étranger puis change d’avis en un tour de main. Son personnage, l’éléphant, naïf et crédule, donne beaucoup de force au récit, ilsubit sans jamais se plaindre. Seuls les faits sont le reflet du drame qu’il vit. Une illustration moderne et expressive. Giulia Pastorinopropose des dessins aussi sobres que le texte. En peu de traits, grâce à des jeux de formes et des effets de couleur, le lecteurvit l’expérience de l’éléphant et partage avec lui de nombreux sentiments. C’est étonnant, c’est parfois très fort.
Pas pour les éléphants est un récit à valeur universelle important à lire pour être capable de prendre du recul sur toute sorte de situation qui implique un collectif face à un individu.
Pour aller plus loin
*Un album, coup de cœur de notre site, qui évoque la cohabitation entre deux communautés
*Un album pour les plus grands (à partir de 7/8 ans environ)qui montre comment un étranger accueilli pour ses compétences peut être rejeté rapidement pas une communauté qui n’a plus besoin de lui.