Satomi et le souffle de vie
Auteur _ Illustrateur | Sissi Brioche |
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Editeur | Sarbacane – 2024 |
Orpheline de mère, la jeune Satomi vit avec son père Hiro Akira, dans une belle demeure dont elle ne sort jamais. Elle rêve de devenir archère. Mais elle a beau s’entraîner avec acharnement, chaque jour elle manque sa cible. Et pour cause, ses yeux ne voient pas plus ouverts que fermés. Un matin, un vent facétieux pénètre par la fenêtre et détourne la flèche de Satomi pour la planter en plein cœur de la cible… C’est Ki, le petit courant d’air, un yokaï malicieux, qui va devenir son ami. Grâce à lui, Satomi prend peu à peu confiance et ose même s’inscrire au concours de kyudo réunissant les meilleurs maîtres du Japon, organisé par le Shogun. Le grand jour arrive…
Mots-clé : Asie, différence
Présentation
En première de couverture se tient une petite fille souriante, une flèche à la main, les yeux fermés, savourant semble-t-il la vie et le vent qui fait voler ses cheveux et quelques feuilles autour d’elle. Cette illustration reflète tout à fait l’atmosphère de ce très joli conte japonais qui relate la relation harmonieuse qu’une fillette entretient avec Ki, un petit esprit malin qui deviendra son ami et son guide.
Satomi est aveugle mais elle a l’ouïe fine d’un chat. Elle aime le tir à l’arc. Evidemment elle n’arrive pas à viser précisément une cible, mais elle peut déceler des sons que personne ne perçoit. C’est grâce à ce don qu’elle identifie Ki, un yokaï,soit une sorte d’esprit farceurdont l’unique pouvoir est de déplacer l’air. Ki a l’habitude de faire peur aux humains. Mais Satomi ne le craint pas, elle comprend vite qui il est. Ki apprécie sa franchise, son franc parler et les deux enfants (Ki est encore un enfant) lient connaissance et deviennent amis.
Leur amitié se transforme en une véritable complémentarité lorsque Ki propose à Satomi de l’aider à viser juste. Ainsi il oriente la fillette à l’oreille dans ses tirs et accompagne ses flèches jusqu’au cœur de la cible. Les deux enfants jouent. Ils jubilent aux poc-poc-poc que font les flèches quand elles pénètrent au centre de la cible.
Il n’est plus question de jeu lorsqu’il s’agit de participer au concours organisé par le shogun, l’empereur en personne. Il y a de la tension, de la suspicion dans l’air. Mais le duo reste uni pour le meilleur. En effet la flèche de Satomi sauve l’empereur d’une morsure mortelle de serpent. L’empereur est infiniment reconnaissant envers la fillette. Satomi ne peut pas néanmoins dévoiler la présence de Ki à ses côtés. Un entretien privé avec l’empereur et une explication avec son père lui ouvrent les portes de la vie et de la découverte du monde extérieur en toute sécurité.
Les très jolies illustrations apportent une dimension esthétique très agréable au récit. Le choix des couleursconcrétisela sobriété du contexte. L’énergie des traits donne vie aux personnages. Chaque page plonge le lecteur dans l’univers du conte par la seule découverte des images.
Une histoire merveilleuse, dynamique et tendre. Des personnages attachants, attendrissants. Satomi et le souffle de vie est un bel album, agréable à lire, qui véhicule des principes de vie importants tels que la confiance, l’amitié, le courage, la volonté.
Nos commentaires
Le début du récit permet de bien identifier Satomi, la petite héroïne, et son contexte de vie.
Satomi est aveugle mais elle ne s’en plaint pas. Elle profite de son talent à entendre. Elle adore écouter la sauterelle et son Grivgri !, le Flapflup ! du moineau et même le Pup que fait un pétale se posant délicatement à la surface de l’eau. Satomi ne fait pas que contempler la nature, elle est aussi passionnée de kyudo, un art martial traditionnel aussi appelé « la voie de l’arc ». Dans cette pratique Satomi n’est pas une simple archère. Elle cherche l’harmonie entre son tir et sa gestuelle dans un rituel qui demande une grande concentration. Cette recherche est possible même sans l’usage de ses yeux. Elle aime décocher les flèches, elle aime les écouter siffler.
Satomi est orpheline de mère. Elle porte d’ailleurs le hakama rouge de sa mère disparue pour pratiquer le kyudo. Ce pantalon à la couleur flamboyante représente autant le souvenir d’un être cher que l’importance d’une tradition ancestrale. Son père, ancien samouraï, la protège autant que possible. Certes la fillette a le droit de s’entraîner au dojo avec son arc et ses flèches mais elle ne peut sortir de la maison. Le monde extérieur est plein de dangers et Hiro aime trop sa fille pour l’exposer à un malheur quelconque.
Le récit est donc ancré dans la culture japonaise mais ce n’est pas un obstacle à la compréhension. Les illustrations apportent tous les repères nécessaires. Satomimène une vie facile mais assez solitaire. Elle se montre enjouée, sensible, volontaire. C’est un personnage dans lequel les lecteurs pourront facilement se projeter.
Ki, le petit yokaï, le deuxième personnage de l’histoire, est un être étonnant. En règle générale un yokaï n’est ni un génie, ni un sorcier, ni une fée comme nous l’entendons en Europe. C’est une créature extraordinaire, une espèce de phénomène qui perturbe les normes, les connaissances du monde. Ses manifestations ou interactions avec les hommes sont souvent présentées comme la cause de malheurs. Aussi les hommes les évitent-ils le plus possible.
Ici Ki est encore un très jeune yokaï. Il possède comme unique pouvoir la possibilité de se changer en courant d’air. Il peut se transformer en souffle du vent ,en brise, en bourrasque, en brin d’air, en souffle d’air, en bise, en filet d’air… Il est facétieux, taquin. Il aime embêter le monde et faire peur aux gens mais il n’est pas méchant. Il choisit ses victimes au hasard et son arrivée dans le jardin de Satomi n’est pas du tout anticipée.
Ki est étonné d’être si facilement repéré par Satomi qui l’entend rire et se déplacer. Il ne s’attend pas à entrer en communication avec une humaine qui s’intéresse à lui sans avoir peur en lui demandant même : « De quoi as-tu peur ? Pourquoi te caches-tu ? ». Son aspect, ses métamorphoses ne peuvent effrayer la fillette qui ne voit rien. En fait Ki est heureux de trouver en Satomi une personne avec qui parler. Au vu de nos recherches il ressemble à Kiko, un yokaï référencé dans la mythologie japonaise comme pouvant s’attacher à un humain par amour. Il faudrait évidemment confirmer ce rapprochement avec l’auteur.
Satomi et Ki tissent un lien d’amitié fort. Ki peut parler à la fillette en toute liberté. Il apprécie son écoute, son ouverture d’esprit, sa gentillesse. Il affirme son besoin de découverte et d’aventure. Satomi raconte sa vie confortable mais aussi les limites que lui impose son handicap, elle n’est pas autonome dans ses déplacements.
La proposition de Ki d’aider à viser juste ne représente pas une simple compensation à la pratique du kyudo. C’est une proposition à conforter le lien de confiance qui unit déjà les deux personnages. Satomi doit lancer la flèche en direction de Ki (« Lance-moi la flèche ! ». Le geste n’est pas anodin. Il n’est évidemment pas question de viser un être vivant mais d’orienter le tir à l’oreille pour que Ki puisse agir facilement sur la trajectoire de la flèche. Et ça marche ! En témoignent tous les poc-poc-poc qui résonnent à chaque fin de tir ! Ainsi l’art du kyudo est-il sublimé par le yokaï. Les flèches partent et virevoltent jusqu’à attendre leur but en traçant des trajectoires étonnantes, magnifiques au vu de l’illustration toute en énergie et en rondeur de l’auteur.
Bien sûr, le talent de Satomi étonne, intrigue, attise des jalousies. L’invitation du Shogun au grand concours de Kyudo est un sujet d’effroi pour le père de Satomi. Mais c’est une fierté pour l’enfant. Elle n’a pas conscience de l’enjeu politique et idéologique de ce regroupement. Elle ne pense qu’à la joie de montrer au monde sa capacité à pratiquer l’art du Kyudo. Pour la première fois elle sort de chez elle, pour la première fois elle se retrouve au milieu d’une foule, pour la première fois elle est exposée à la médisance (« sorcière », « tricheuse »). Mais Satomi sait se concentrer et elle fait toute confiance à Ki qui la guide… jusqu’à lâcher sa flèche dans un Fuuuuuvvvzzzzz ! vertigineux. D’autant que la flèche se dirige droit sur le shogun !
Malgré l’issue positive de son tir Satomi aurait pu être accusée de sorcellerie. Mais le shogun est un sage qui comprend le monde et sa magie. (« Tu as de très bonnes oreilles, Satomi, et tes flèches, de très bons yeux. Voilà tout »). Nul ne sait si Satomi lui révèle la présence de Ki lors de son entretien privé. Mais l’histoire dit bien qu’elle explique à son père son secret, le libérant ainsi de son angoisse à laisser sa fille découvrir le monde.
Dans la pure tradition des arts martiaux, devenue adulte, Satomi part aux quatre coins du monde pour enseigner le Kyudo. La voie de la transmission de l’art martial est respectée, Ki étant toujours à ses côtés.
Les illustrations participent autant que le texte à la magie de cet album. Les crayonnés suggèrent la précision comme la fragilité des éléments. Les dégradés de brun posent une ambiance calme d’un même ton mais nuancé. Ils sont soutenus par différentes notes rouges, le hakama de Satomi bien sûr, mais aussi quelques feuilles virevoltantes. Les parties visibles des corps sont teintées de pêche, ce qui apporte une infinie douceur aux personnages.
Satomi est adorable. Son visage rond, l’étirement de ses yeux, le petit palmier au sommet de son crâne, les petites nattes qui bordent son visage la rendent gracieuse et sympathique. Elle est toujours expressive. On la voit concentrée quand elle écoute ou quand elle se prépare à tirer, surprise à l’arrivée de Ki, fière à l’idée de participer au concours. Elle illumine chaque page avec son pantalon rouge.
Les différentes représentations de Ki sont réjouissantes. Il n’est parfois qu’un tourbillon vif voire fulgurant mais il peut aussi être une forme courbe, souple, surmontée d’une tête de renard. C’est également un jeune garçon avec deux épis en forme de petites cornes de diable sur la tête. Vêtu de son masque il devient presque chat. Ses multiples transformations ne cachent jamais son petit sourire malicieux, signe de son caractère facétieux.
Les mises en page permettent des interactions entre les représentations. En début de récit le face à face entre Satomi s’endormant sur une page et son père l’observant avec amour mêlé d’une certaine angoisse sur l’autre page est très émouvant. Le gros plan en page pleine de Ki masqué en face de la représentation en petit format du même Ki se démasquant devant Satomi montre bien la fragilité du yokaï qui n’est qu’un enfant. Chaque double page est travaillée pour donner autant d’expression au texte et à l’image.
L’album Satomi et le souffle de vie porte bien son titre. Outre les deux personnages évoqués il est bel et bien question de trouver le souffle qui guidera la vie. Satomi, l’héroïne, donne envie de s’assumer et de grandir avec ses qualités et ses différences. L’irrévérencieux Ki apporte un petit vent de folie léger et amusant. L’universjaponais, dépaysant, laisse toute la place au merveilleux pour laisser libre cours à l’imaginaire. Voilà un album plaisir, amusant et diablement sympathique.
Pour accompagner la lecture
L’animation La princesse Mononoké de Hayao Miyazaki permet d’approcher toute sorte de yokaïs, maléfiques et bénéfiques. Le film est assez violent, il n’est recommandé qu’à partir d’une douzaine d’année.
Nous proposons sur notre site d’autres albums avec le mot-clé « Asie ». Le cœur du Rouge-gorge est un album dans lequel on retrouve de nombreuses valeurs esthétiques du Japon.