L’éléphant et le ouistiti

L’éléphant et le ouistiti
Auteure

Sophie Lamoureux

Illustratrice

Mercé Lopez

Editeur

Kaléidoscope – 2024

C’est l’histoire d’un éléphant féroce qui règne sans partage sur la savane. A coups de canon à eau, il tyrannise les autres animaux : SPLAFF … Nul n’ose s’opposer à lui. Mais l’éléphant s’ennuie. L’idée lui vient alors de lancer un défi que personne ne pourra relever…sauf peut-être un tout petit ouistiti !

Mots-clés : domination-pouvoir, ruse, jeu-défi

Présentation

Quel tyran cet éléphant ! Il ne lui suffit pas d’être le roi de la savane, il ne peut s’empêcher d’être FEROCE avec tous les autres animaux ! Pour cela, il possède la meilleure arme, sa trompe, qu’il utilise comme canon à eau pour faire régner sa loi. Tous les animaux le craignent et s’en méfient mais se soumettent à ses désirs : lui servir de canapé pour qu’il s’assoie sur eux confortablement, agiter son éventail pour leventiler, l’ombrageren portant une grande ramure de palmier, ou lui servir de cible pour recueillir ses jets de cacahuètes dans une calebasse.

Et cela ne lui suffit pas ! Malgré la satisfaction de tous ses désirs, il s’ennuie. Voilà donc venu le temps des paris qu’il lance à chacun pour pouvoir le dominer un peu plus et jouer en gagnant à coup sûr. Ce sont évidemment des paris impossibles à relever : demander au rhinocéros de porter la girafe, au lion de manger l’hippopotame, au zèbre d’escalader un rocher… Ce sont plutôt des occasions de dominer son peupleencore plus en le menaçant puis le punissant par des jets d’eau violents qui le font trembler.

Et comme il veut toujours s’amuser davantage, il monte d’un cran la stupidité de ses provocations en demandant qui pourrait déplacer un baobab tombé au sol jusqu’à la mare la plus proche. Tout le monde se détourne et craint la suite de son projet. Seul un petit ouistiti, le plus petit de tous les animaux, relève ce défi en monnayant sa victoire et en imposant ses règles. Tous les animaux se moquent de lui, maisil s’installe au creux de l’arbre et se prépare à faire la sieste sans bouger. Le roi essaie de comprendre ce qu’il veut faire, le relance, s’énerve…et la journée passe ainsiautour d’échanges vifs entre eux deux. Le petit singe commence alors doucement à le provoquer en lui disant qu’il va gagner puisque l’éléphant, lui, a oublié quelque chose. L’éléphant cherche, cherche et ne trouve rien. Sa colère monte de plus en plus et la fin de journée arrivant, il pompe toute l’eau qu’il peut pour arroser violemment le petit imposteur.

Mais quand il a fini, il n’en croit pas ses yeux : le baobab n’a pas bougé mais la mare a déménagé pour se trouver autour de l’arbre ! Le ouistiti a gagné, l’éléphant est humilié…

Nos commentaires

Voilà donc un petit conte qui reprend l’opposition classique entre un grand dominant et un petit rusé qui arrivera à ses fins malgré son handicap de taille. L’autrice commence par mettre en scène les deux personnages principaux :

• L’éléphant, qui pense que sa taille et sa force lui donnent le droit de dominer tout le monde, ce qu’il fait dans la terreur, la bêtise et la satisfaction personnelle. Les autres animaux subissent ses humiliations mais ne peuvent pas faire autre chose qu’obéir sans se révolter ou s’opposer. Il s’est nommé ROI mais sa couronne semble bien fragile. C’est un simple coup de crayon que lui a dessiné l’illustratrice, une espèce de couronne de pacotille qui ne lui tient pas bien sur la tête et manque de tomber à chaque action. Les expressions qu’elle croque de ses « sujets » montrent bien la peur, l’écrasement, la soumission alors qu’il se vautre sur eux, les bombarde d’eau à tout bout de champ et cherche toujours à monter d’un cran sa domination.

• Le tout petit ouistiti qui ne fait pas de bruit, absent au début de l’histoire, qui intervient courageusement face à son roi. D’où sort-il ? Que veut-il ? Tous se moquent de lui et de son arrogance à vouloir relever le dernier caprice de leur Majesté.Mais s’il le fait, c’est qu’il a déjà un plan en tête, qu’il est suffisamment rusé pour le mener à bien mais que le lecteur ne le découvrira qu’à la fin du livre.

Le récit bascule donc avec cette intervention du singe et l’intérêt principal est dévoilé : que va pouvoir faire le tout-petit face au plus grand ?

Si le ouistiti n’apparaissait pas dans les scènes précédentes, on peut imaginer qu’il n’en avait pas moins vu les déroulements et qu’il avait fomenté sa vengeance d’une façon mûrement réfléchie. Son plan tient en plusieurs phases qu’il va dérouler doucement. D’abord il va négocier les règles du jeu à son avantage (dix montagnes de bananes pour lui) et ensuite poser des garde-fous pour qu’il n’y ait pas de triche. Ensuite il met en place une provocation non-violente qui consiste à excéder l’éléphant, à s’en moquer, à en rire tout en se prélassant sur l’arbre qu’il est censé déplacer.
Au fur et à mesure de l’avancement de la journée qui correspond à la durée du pari, le roi ne supporte pas l’attitude exaspérante du ouistiti qui le nargue. Le lecteur va suivre sur les dessins cette progression de l’énervement de l’éléphant en le voyant changer de couleur selon la montée de sa colère : il va d’abord « faire grise mine », puis « rire jaune », « voir rouge » et enfin « avoir une peur bleue », « être vert de rage » puis « avoir une colère noire ». L’illustratrice s’amuse à le transformer peu à peu en le coloriant grossièrement de ces couleurs et en lui donnant des mimiques de détestation très expressives dans ses regards, sa bouche, sa trompe mais aussi dans ses positions et ses mouvements.
Le roi est désespéré : c’est le moment que le petit singe choisit pour ajouter un élément encore plus perturbateur. Il prédit l’échec à son adversaire en lui disant qu’il a oublié quelque chose qui va le mener à sa perte. De quoi s’agit-il ? Qu’a-t-il bien pu perdre ? Il n’en peut plus, le roi, de ne rien comprendre et de risquer de perdre. Il ordonne à tous les autres animaux de chercher avec lui, ce qu’il a oublié….Et là le singe, le voyant à bout, l’applaudit. Ultime provocation qui met l’éléphant dans une telle rage qu’il aspire toute l’eau de la mare pour« pulvériser ce petit macaque » insupportable en l’aspergeant brutalement avec la totalité de cette eau ! Il ne comprendra qu’après que c’était ce que cherchait la petite bête. Elle a trouvé comment rapprocher la mare du baobab !

Notre avis

Cette ruse sera essentielle à expliciter aux enfants pour comprendre le mécanisme mis en place. Pour cela on peut remonter l’histoire à l’envers avec eux : pour gagner, le singe a besoin que l’arbre soit entouré d’eau. Comme il ne peut pas déplacer l’arbre, il lui faut trouver le moyen de déplacer l’eau. Et qui mieux que l’éléphant qui bombarde si bien de l’eau à tout le monde pour le faire ? Comme il a aussi compris que c’est quand l’éléphant est en colère qu’il utilise l’eau ainsi, il suffit qu’il trouve le moyen de le mettre dans cet état pour qu’il le fasse de lui-même. Il met alors en place des situations qui vont progressivement faire monter la colère afin que le roi perde le contrôle de lui-même. Il ajoute alors quelques doses de provocation pour lui faire perdre toute patience. En perdant son calme, l’éléphant a alors perdu et qui lui était indispensable pour gagner. Ce chemin à rebours de l’action est celui de la détermination rétrograde qu’utilisent les écrivains, en particulier dans les romans policiers.

Car c’est sur cet enchaînement d’incompréhension, d’impatience, d’énervement, d’impulsivité et d’égo surdimensionné qu’a misé le singe. Et s’il gagne son pari, c’est qu’il a su attendre que le roi fasse le travail pour lui en le poussant au maximum dans la frustration et le manque de contrôle. Le ouistiti a réussi à faire perdre sa patience à l’éléphant et lui a donné une bonne leçon, plutôt amusante. Tout son travail est basé sur une finesse de langage. L’éléphant voulait que l’arbre soit déplacé jusqu’à la mare. Le ouistiti a fait en sorte que ce soit l’eau qui se déplace jusqu’au baobab. C’est l’opposition entre stratégie et patience contre mépris et violence. Une réflexion qui peut faire réfléchir les enfants.

Voilà un joli petit album qui est à la fois une fable et une histoire humoristique. Les illustrations concourent, avec leurs couleurs et leurs tracés vifs et anguleux, à donner du dynamisme et à mettre les lecteurs dans une attente qui les réjouira : le petit a vaincu le gros et en plus il l’a ridiculisé !L’excellente complémentarité texte et images donne un ensemble très réussi que les lecteurs pourront feuilleter à l’envi pour s’en délecter.

Pour aller plus loin

Nous avions déjà sélectionné l’album C’est l’histoire d’un éléphant d’Agnès de Lestrade et Guillaume dans lequel un éléphant déversait sa mauvaise humeur sur les autres animaux.

Toujours sur notre site, vous retrouverez Singe et le monstre de Gilles Bizouerne et Roland Garrigue où un petit singe malin va sauver les autres animaux d’un monstre qui les terrifie tous.

Nous avions aussi apprécié le livre de Pierre Deylie : Si j’te mords, t’es mort ! chez Didier Jeunesse qui raconte une rivalité entre un serpent et le lion pour savoir qui est le plus fort.

Et dans les contes plus classiques : Un petit chacal très malin d’après un conte hindou, chez Flammarion Jeunesse dans lequel la ruse d’un petit chacal permet de se débarrasser d’un tigre dangereux.